Crying Lightning (Laertes)

Bleu infini qui s'imprime sur les rétines calfeutrées derrière les verres teintés de ses solaires qu'il ne daigne retirer depuis qu'il est arrivé à Nice. Le ciel, la mer, les mini-jupes sur les jambes sans fin, les chemises criardes qui peuplent les boîtes de nuit des environs. Les couleurs se confondent, se mélangent et les jours s'enchainent sans parvenir à en suivre l'écoulement, parfois, souvent. Rente mensuelle arrachée à la génitrice dans un élan sentimental, légèrement culpabilisant orchestré autour des creux de sa propre histoire. Il s'en moque, en vrai, de retourner sur les traces éventuelles de la rencontre qui a démarré son existence. Les souvenirs maternelles sont trop flous pour en tirer quoique ce soit, propre voyage initiatique terminé avec un marmot au nom flamboyant et le doute permanent sur lequel des deux autres anglophones (les yeux bleus polaires qui l'ont fait frissonner ? Le rouleur de mécanique à l'humour particulier, toujours à la limite du trop ?)  de cette soirée aurait pu subir les pleurs du morveux, si elle lui avait refourgé. Le premier vrai braquage (et les premières déceptions, aussi), c'est toujours auprès de ses parents, souffle-t-il parfois dans un soupir enivré dans l'appartement miteux qu'il partage avec ce qui s'apparente le plus à un frère.

Les jours deviennent les mois et ne sont pas totalement perdus. Français inexistant devient la pointe de comédie de certaines soirées, avec son accent désastreux mais qui débloque les tournées qui lui permettent de s'éclipser quand vient enfin l'heure de payer la sienne. Coup d'oeil qui s'aguerrit de jour en jour pour trouver la prochaine proie, le·a prochain·e a entrainé dans son jeu. Argent qui flambe, encore, toujours, jusqu'à ce que les poches vides les obligent à se regarder réellement pour la première fois de la soirée. C'est le rire qui l'emporte. Cinna qui devient un prénom qui apparaît de plus en plus dans ces histoires. Compagnon d'infortune aux ambitions dépassant leurs moyens. Et aux idées tout aussi farfelus. La fortune des environs tentatrice leur font réaliser leur premier crime et leur première réussite les gonfle d'orgeuil. Pourquoi pas, après tout ? Pourquoi pas eux, reprenant ce qui leur revient autant qu'aux autres ?

Trainées vertes qui veulent à tout prix les toucher, les vaillants gamins qui n'en font qu'à leur tête, sur l'embarcation qu'ils se sont vus obligés d'emprunter à long terme. Son coeur est prêt à jaillir hors de son cage thoracique, battant la chamade. Le parfum de Belinda encore présent sur la chemise qu'il a renfilé à la hâte avant de fuir la colère du mari trompé qui veut désormais sa peau, sur le rivage, à hurler à ses sous-fifres de le - les - rattraper. Les villes se succèdent toujours pour des raisons crétines, des situations gênantes qui les rend hilares.

Chape de plomb qui les accueille, les oblige à pousser des soupirs. Un pour la beauté perdue, l'autre pour le retour forcé au bercail. On aurait dû tenter Toulouse alors qu'ils savent tout deux que le pourtour méditerranéen s'enflamme avec eux. Soleil regretté devant autant de morosité, goût âpre de l'échec qu'il n'avait jamais soupçonné qui s'invite à chaque bouchée. Il n'a pourtant rien contre sa mère patrie. Rien, justement. Aucun attachement, rien qui n'arrivait à se contenter des cartes postales disparates, toujours remplies de banalités sur le temps, les filles, les aventures arrangées pour paraître bien plus acceptables avec ses ami·e·s  - de passage ou de longues dates. Pas de promesses de retour, même bref. Les premiers jours, il n'a que le futur départ comme sujet de conversation. Ils ne s'éterniseront pas sous la pluie, il ne supportera éternellement le vent glacial qui souffle dans les paroles absurdes de cette langue à trois-quart avalée.

Il y a trois coups à la porte, inattendus. Un regard dans la direction de son colocataire, interrogateur. Lui n'attendait personne mais peut-être que ? Non, la même question fleurit dans l'esprit. Ils décident d'ignorer mais les coups reprennent après la pause réglementaire, de bienséance. Il y a le défaut de la dictamencie - commencée quelques semaines après leur rencontre, tant ce fut une évidence, grâce à un mentor qui les pris d'affection à Nice, la bataille d'image dans les têtes pour décider qui se lèverait, cette fois, avant que Laertes capitule. Il y a le pas qui traîne, les malédictions sur 19 générations qui se jouent dans sa tête, prêtes pour l'ignoble qui ose les déranger alors qu'ils sont calmement chez eux, pour une fois. Il y a la porte qui s'ouvre sur des mines sombres, officielles, qui demandent après Monsieur Tristram. Il n'y a personne pour l'appeler comme ça, normalement. Sueurs froides qui coulent le long de sa colonne vertébrale. Se sont-ils fait surprendre ? Impossible. Ils font attention. Rien ne peut les relier aux différents cambriolages, qu'ils espacent suffisamment pour éviter toutes suspicions. Il y a le verdict qui tombe, Laertes qui ferme la porte, retourne s'effondrer dans le canapé. Et pour seule réponse au visage soudainement lugubre, l'âpreté de la réalité. Sa mère est morte. Il ne réalise pas encore, non. Le couperet tombera plus tard dans la nuit, le réveillant en sursaut. Sa mère est morte. Il se morfondra quelques heures, un jour ou deux maximum avant de d'endosser son rôle à nouveau. Les affaires n'attendent pas, ni sa douce du moment.

Séjour qui s'éternise et pourtant, c'est loin de lui déplaire. Le temps est toujours morose. Et pourtant, ils s'y sentent bien. Peut-être qu'ils resteraient bien, finalement ? Jusqu'à ce qu'ils soient obligés de déguerpir.