La pleine lune approche à grands pas, à trop grands pas. Morrigan le sent dans sa mauvaise humeur, elle le sent dans son coeur qui accélère pour rien, elle le sent à la colère qui gronde en elle, elle le sent à ses nuits sans sommeil et à ses envie de viande crue. Elle le sent dans son cuir chevelu qui la chatouille, à ses muscles qui sont atteints de spasmes, et à son envie de pleurer n'importe quand pour aucune raison. Elle serre des dents, elle tourne en rond, et Silas est occupé à son boulot. Elle sort donc pour prendre l'air, habillée d'une chemise trop grande en flanelle dessus un débardeur noir, et d'un bas de jogging. Ses cheveux sont relevés en chignons, et elle marche vite. Trop vite. Elle a chaud, et les passants la regarde étrangement. Il faut dire qu'elle porte une simple chemise sur un débardeur, alors que la température frôle les -8 degrés. Elle finit par entrer dans une salle d'arcade, attirée par l'odeur des churros et par le bruit des machines à sous. Avec un peu de chance, elle trouvera une occupation pour se défouler.
Le lieu est bondé, vu que c'est les vacances d'hiver et que les gens veulent un endroit pour se réchauffer. Elle va se chercher un seau de 30 churros, sous les yeux ahuris de l'homme s'occupant de la nourriture. Il lui donne son seau, elle demande ensuite une grande bouteille de soda, et elle va se trouver son occupation pour éviter de penser à son humeur de chien. Elle s'installe à la machine de danse danse revolution, l'allume et commence à faire des pas rapidement. Elle est synchro, elle est dans les temps, et ses pieds bougent si vite que ça lui donne le tournis.
Quand soudainement. Une odeur.
Elle s'arrête, à peine essoufflée, son seau de churros toujours à côté d'elle, et elle cherche. Elle scanne chaque personne qu'elle voit, jusqu'à ce que son regard se pose sur un homme. Brun. Qu'elle ne connait pas. Elle fronce les sourcils. Il avance dans la salle comme s'il marchait sans but, et quand il passe devant elle :
"Eh ! Tu veux danser ?"
Lui demande-t-elle, en sachant très bien que lui aussi doit vivre un jour de bouse d'hippogriffe et que lui aussi, doit avoir besoin de se défouler. Ou de s'occuper l'esprit. Ou qu'importe. Elle étend son bras pour l'inviter sur la machine.
Tu tiens pas en place. C'est plutôt rare chez toi, parce qu'en général tu te formalises pas de passer tes journées enfermées avec des bouquins pour les vacances. Surtout pas quand tu dois préparer des heures de cours parce que ta patronne est tombée dans le coma. Génial. Sauf que pour le coup t'es pas capable de t'assoir plus de deux minutes avant de sentir le besoin irrépressible de te lever, de faire le tour de la pièce, de grogner - ou quelque chose du genre. Tu te sens comme un foutu lion en cage et t'es pas certain de savoir pourquoi. Ou plutôt tu veux pas le comprendre, préférant de donner l'impression d'être idiot et incontrôlable. Sur le côté de son lit, un bouquin sur la lycanthropie te donnerait sans doute pas mal de réponses, sauf que tu l'ignores autant que tu peux deux depuis mois.
A la place, tu décides de quitter les lieux, de sortir de la maison familiale, pour retrouver l'extérieur. Tu as pas déménagé - encore - tu refuses de vivre seul. Tu sais pas ce que tu crains, sauf que clairement tu es pas prêt à prendre un appartement et à vivre en dehors de l'immense manoir des Selwin. Pour l'heure, tu es bien là. Sauf une fois par mois où tu dois trouver un coin pour te cacher du reste de l'humanité pour te transformer. Mais à cela tu veux pas penser. Pour le moment, tu rejoins rapidement le centre ville de Londres. Il y a un lieu où tu aimes de rendre depuis longtemps - Cardan était pas le dernier pour vouloir t'accompagner, tout comme Lisha. Mais cette fois t'as été chercher ni l'un ni l'autre. Tu as envie de battre ton propre record au Dance Dance Revolution loin du regard des autres.
Tu arrives dans les lieux, te fait happer par l'odeur de gras, de sucre et de sueurs. Il y a des rires, des bruits partout, des ding ding des machines à sous et des manèges qui sont dans le fond. Puis il y a le Dance Dance Revolution, et une fille qui se trouve déjà là. Tu grimaces, t'avais pas forcément prévu d'avoir de la compagnie. Sauf qu'elle vient droit sur toi, et tu sais pas pourquoi, tu te détends à son approche. Eh ! Tu veux danser ? Euh... Je... T'es prit de court, tu sens ton palpitant qui frappe fort, et ton instinct qui te dit de suivre cette fille. Mais tu la connais pas. Tu devrais te méfier, t'es pas un type très sociale; ou peut être que si mais avec un verre dans le nez. Sale journée, hein ? Ça passe jamais vraiment. Hein ? T'es pas sûre de comprendre, fronçant les sourcils tu te places d'un côté de la machine pendant qu'elle se met dans l'autre. Tu connais si bien la machine que t'es pas obligé d'entendre la musique pour suivre le rythme quand même. C'juste... ouais pas la meilleure journée. Et toi ? On se connait ? Parce que peut être que t'as oublié, en vrai.
Les salles d'arcade sont certainement les endroits préférés de Morrigan. Dans n'importe quelle ville où elle est allée, bien que peu nombreuses, elle prenait toujours plaisir à se perdre dans ces bruits, entre ces machines, pour s'assourdir. Tout pour oublier sa condition, tout pour oublier le loup qui grogne en elle. Et le bruit est la seule chose qui lui permet de faire ça : s'oublier. A quelques heures de la pleine lune, elle a besoin de ça. De cette vie, de ces rires, de ces bruits, et de cette musique mise un peu trop fort. Une fois ses churros en main, elle jette son dévolu sur la danse danse revolution, et enchaine quelques pas, rapides, contrôlés, maitrisés, avant d'être stopper par une odeur. Celle d'un loup, qui vient d'entrer dans la salle d'arcade. Elle sent son désarroi, elle sent qu'il est jeune. Alors elle l'interpelle. "Euh... Je..." Il semble déboussoler, un peu perdu, comme s'il ne la sentait pas autant qu'elle, elle le sent. Plus que son odeur, elle sent tout un tas d'émotions contradictoires, et elle a envie de l'aider.
Une sale journée, en effet, c'est ainsi que le corps réagit à l'approche de la pleine lune, c'est ainsi que le loup se manifeste après des semaines à être endormi. "Hein ?" Il fronce les sourcils, et se place quand même à côté d'elle sur la machine. Elle sourit, lance une chorégraphie , et elle se met à faire les enchainements. Elle le regarde en coin, et remarque qu'il ne comprend toujours pas ce qu'il fait là, ni qui elle est. Ou plutôt, ce qu'elle est. "C'juste... ouais pas la meilleure journée. Et toi ? On se connait ?"
"On ne se connait pas, non. Mais les nuits avant la pleine lune sont compliquées pour tout le monde, pas vrai ?"
Morr tourne la tête vers lui, et lui sourit avant de lui faire un clin d'oeil, et continue les pas. Flèche du haut, du bas, gauche, gauche, droite, haut. Elle ne s'essouffle pas, et enchaine avec une facilité déconcertante, en se concentrant sur tout, sauf sur le loup intérieur.
"Inspire profondément, et tu comprendras pourquoi je te comprends aussi bien." Parce qu'elle imagine qu'elle doit puer le loup, tant celui-ci est proche de la surface de son esprit. "J'imagine que ça ne fait pas longtemps."
Elle continue de danser, tapant les carreaux de la machine avec précision et se rapprochant du perfect. Le louveteau à ses côtés semble tout aussi déterminé à exploser les scores.
"Morrigan, au fait. T'as rien à craindre. Et si je peux t'aider, ça serait avec plaisir. J'aurais aimé qu'on m'aide, moi aussi."
Vous mettez pas de temps à suivre le rythme, à frapper en même temps les pas de la machine qui s'excite en mille couleurs et vous félicite par une voix robotique. Tu l'écoutes à peine, t'es comme à moitié présent - ton corps est là mais ton esprit vagabonde, et en toi il y a autre chose qui gronde et exige autre chose. Tu voudrais bouger plus vite pour calmer l'excitation qui brûle chacun de tes muscles. Faut dire que tu te sentirais capable de courir un foutu marathon - tout en te sentant trop épuisé pour survivre à une journée de plus encore. Un combat acharné en ton fort intérieur, que tu sais pas mener de front. Alors tu danses. On ne se connait pas, non. Mais les nuits avant la pleine lune sont compliquées pour tout le monde, pas vrai ? Tu figes un moment, perds trois points - elle prend de l'avancé et tu le réalises assez tôt pour pas qu'elle te distance de trop malgré tout. Avec une voix si naturelle, elle te jette ça à la gueule et t'es comme un con. T'es sensée réagir comment à la question, à la remarque si franche et évidente pour elle. Si nouvelle et perturbante pour toi. Tu te demandes si - mais ça serait bizarre non ? Tu veux pas te rendre paranoïaque à croire que chaque personne que tu croises est un loup-garou. Tu le veux pas, parce que ça serait fou de le penser. Inspire profondément, et tu comprendras pourquoi je te comprends aussi bien. Alors tu le fais - tu inspires profondément et un truc s'agite en toi en même temps qu'une odeur plus boisé t'arrive. Tu pensais pas être aussi sensible aux odeurs mais t'es forcé de le constater - cette fois ça t'échappe pas. Tu sens le sucre, le gras, les autres - les centaines d'odeurs différentes, et une en particulier. Un qui est familière et rassurante et te donne envie de rester là. Tu réalises après quelques minutes que c'est la sienne. J'imagine que ça ne fait pas longtemps. C'est ma troisième fois. Tu déclares, frémissant à l'idée de devoir encore passer par là.
T'as peur de la douleur, de la peur, du froid, de devenir un tueur. C'est si présent en toi que tu luttes sans même l'éviter. Tu as peur de ce que tu es. Peur de ce que tu peux faire aux autres. Peur de disparaitre. Peur, uniquement. T'es terrifié, et tu le réalises - comme si à être près d'une autre lycanthrope, tu lisais mieux tes propres réactions. Morrigan, au fait. T'as rien à craindre. Et si je peux t'aider, ça serait avec plaisir. J'aurais aimé qu'on m'aide, moi aussi. Le jeu s'arrête, elle gagne, et tu lui tends une main ami pour répondre à son invitation à parler. Emrys. Lâches-tu, avec un sourire à moitié convaincu. Ca fait longtemps pour toi ? Demandas-tu parce que tu sais pas trop comment continuer cette conversation - t'es juste bien trop à l'aise pour ne pas la continuer.
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