c o m è t e ✧✦✧ magda

✧✦✧

Silence de la pièce perfore le cœur quand écho parvient jusqu'aux tympans de Magda. Lentement une main fragile, qu'aujourd'hui elle a du mal à reconnaître, s'approche du bras, doigts délicatement maladroits cherchant à réconforter dans une plainte de culpabilité. Sourire se fend sur les pétales malmenées de trop souvent s'arracher du bout des dents petites peaux dépassant. La langue, elle, se mouve pour former les parfaites syllabes maternelles.

"Pourquoi tu t'excuses, mama ?" Sans parvenir à saisir tous les remords que l'adulte traine. "Tu es belle, ma fille. Et tu es gentille. Mais à cause de moi, tu es coincée ici, tu dois t'occuper de tes frères et sœurs, de la maison, des papiers, de la rentrée d'argent. Ton vieux père n'a jamais été doué pour s'occuper du foyer... Et quand tu viens, tu ne te plains pas, tu fais comme si j'allais rentrer et que tout va bien... Li Xiu... Merci de toujours me raconter tes aventures comme si ce n'était qu'une fin de journée et que tu venais de rentrer."

Les prunelles se noient sans que le sourire ne fane vraiment ; il est des mots qui atteignent plus que d'autres, et dont la lourdeur ne se ressent que lorsqu'on sait lire à travers. Mama Chang n'en a plus pour très longtemps et se sent rongée par sa propre absence, cet isolement qui l'empêche de voir grandir ses enfants. "C'est grâce à toi. Tu sais, si je suis comme ça. C'est parce que tu m'as élevée et aimée, mama. Et j'apprécie m'occuper d'eux, même si tu sais à quel point les triplets sont... fougueux. Ça n'a jamais été un poids. C’est la famille, c’est naturel. Et ça m’aide à avancer." Rire perce à travers la mélancolie. L’esprit est distrait à chaque instant de cette façon - s’inquiète pour les plus jeunes et oublie de s’inquiéter pour soi. C’est sa façon à elle de gérer ses propres émotions. "Tu n'as pas à culpabiliser. Tu ne l'as pas voulu, ni choisi… C’est la vie, maman. Il n’y a personne à blâmer.”

Les mains se joignent - les iris se câlinent par les tendresses muettes, seul flotte l’amour dans la chambre, nouvelle, de St Mangouste.

✧✦✧

"Tu te souviens de Nana ? On a reçu une lettre il y a deux jours. Elle t'était adressée alors on ne l'a pas ouverte. Tu préfères la lire toi-même ? De toute façon je n'ai jamais été douée avec les kanji." "C'est parce que tu n'as jamais eu vraiment l'occasion. Aller, donne-moi ça." Un mouvement de la main, étrangement tonique, femme qui reprend un peu d'énergie en apprenant qu'une vieille amie pense encore à elle parfois. "Très chère Eun Ji. Ton aînée a pris le temps de m'envoyer une lettre ensorcelée il y a quelques semaines, pour m'informer de l'avancée de ton état mais aussi demander de mes nouvelles. Son japonais ne s'est pas amélioré avec les années, mais j'apprécie la finesse du sortilège utilisé pour me faire entendre sa voix." Rictus moqueur au coin des lèvres bienheureuses, entendent tout deux presque la vieille japonaise s'offusquer de l'accent écorché de la demoiselle.

"Je me porte aussi bien que me le permettent mes vieux os, et tu sais que l'argent n'a jamais été un problème. Mais tu me manques, tout autant que cette gamine émerveillée et bien trop pipelette qu'était Lili. Je me souviens encore de cette petite gosse revenant de l'école, les yeux si pétillants et plein de vie, capable de me parler pendant des heures de Quidditch et de potion. Elle me répétait presque les paroles de ses professeurs, mot pout mot. Elle n'a jamais été douée pour parler ma langue mais elle la comprenait divinement bien." Rires perforent alors - Nana au jugement si prononcé et à la critique si haut placée. Il a toujours fallu montrer un certain talent pour qu'elle s'autorise un compliment.

"J'ai été heureuse de recevoir sa lettre, moins d’apprendre que malgré le déménagement à Londres, ton état ne s’améliore pas. J’espère tout de même que tu as pu voir tes enfants grandir et qu’ils sont tous devenus aussi beaux que leur mère (et qu’ils n’ont pas hérité de la calvitie précoce de leur père). Tu sais que s’ils veulent, ils sont toujours les bienvenus chez moi, ma maison est suffisamment grande pour les accueillir comme il se doit.” Silence s’ensuit pendant quelques secondes. “J’aurais aimé te rendre visite une dernière fois, mais le travail est prenant ici, tu sais à quel point le palais impériale a du mal à se séparer de sa miko*. Eun Ji… Je continue à prier pour toi et tes enfants, chaque jour. Les divinités les accompagneront, crois-en mon troisième œil, ils vivront de belles vies. Alors ne t’inquiète pas trop. Ton amie, Nana O.”

*Une Miko est une prêtresse shinto, qui travaille généralement dans un sanctuaire et assure un rôle d'intermédiaire entre les homme et les divinités (kami) du shintoïsme

✧✦✧

“Tu te souviens ?” Les éclats s'égarent au loin, Eun Ji se perd à admirer le ciel lointain. A côté, sa fille aînée qui s’affaire à couper la pomme en petits morceaux pour faciliter le travail de mastication de sa mère, attendant patiemment qu’elle lui révèle le fond de ses pensées. “Tu étais si jeune que tu repartais déjà. Je me rappelle ta première lettre de Poudlard, la description de ton dortoir, de ton lit, les couleurs qui te plaisaient. Tu as toujours eu le sens du détail. Il y avait cette fille avec qui tu partageais la chambre et qui laissait toujours trainer ses chaussettes. Je t’entendais râler à travers tes lettres. Mais tu sais ce qui me rendait fière ? Ta propre fierté quand tu m’as annoncé que tu passerais ta scolarité chez les Serdaigle. Chez les érudits, les curieux, les passionnés. Ça te correspondait bien, depuis Mahoutokoro, tu avais du mal à sortir ton nez des bouquins, il n’y avait que les pleurs de tes cadets pour te réveiller un peu.”

Morceaux sont un à un posé sur le plateau devant la mama. “Ça a été difficile quand tu es partie la première année. Avec Tao, nous avions trop pris l’habitude de nous reposer sur toi. La maison n’a jamais été aussi chaotique et les triplets aussi intenables. Il n’y avait que pour Haneul qu’ils arrivaient à se mettre d’accord et chacun leur tour, ils en prenaient soin. Elle a toujours demandé beaucoup d’attention, je crois que c’est de ma faute.” Inconsciemment, Magda secoue la tête de gauche à droite, déconcertée par cette réflexion. “J’ai trouvé quelqu’un pour s’occuper d’elle lors de l’année qui arrive. Tu sais, ils font aussi leur rentrée cette année. Haneul n’est pas encore assez grande pour rester toute seule à la maison, je veux dire, quand elle ne va pas à l’école. C’est une bonne personne, c’est Ryu qui me l’a conseillée. Une née-moldue qu’il a rencontré à l'orphelinat il y a longtemps. J’ai demandé, elle avait de bons résultats et elle s’est montrée très avenante et pétillante, Haneul a semblé l’apprécier.”

Les discours se mélangent et se suivent, l’été ne fait que commencer mais déjà on pense à la rentrée. Magda n’est pas encore âgée de 15 ans mais les infirmiers lui donnent volontairement quelques années de plus quand ils s’adressent à elle - oublient la jeunesse qui parcourent les traits. “Ryu ? Comment va-t-il ? Ca fait longtemps que tu ne m’en as pas parlé.” “Depuis la semaine dernière ?” Légèreté moqueuse, l’attache qu’a la mère envers ce gosse contraste avec la méfiance du père. “Il va bien. Ryu ne parle pas beaucoup de ses tracas et il pense pouvoir me les cacher… mais tu sais, il suffit que je le regarde un peu trop longtemps en silence pour qu’il finisse par tout m’avouer. C’est comme un super pouvoir, ça marche aussi avec les triplets… C’est vraiment un bon ami, il me demande toujours de tes nouvelles… Mama… Comment tu as sût que tu aimais bien papa ?” Adulte regarde son enfant sous un jour nouveau - attendrit par l’amour qui grandit, premiers émois amoureux qui ne verront jamais le jour de son vivant. Mais rassurée de songer que l’ami en question sera toujours aux côtés de sa fille.

Les grands yeux noirs auront rencontré leurs opposés plus chocolatés lors de la répartition ; petites têtes brunes pourtant se sont croisées et défiées déjà dans les couloirs et escaliers un peu avant. Séparés par les maisons, pourtant, ils ne tarderont pas à se retrouver en classe, proximité forcée par le petit garçon quand il est venu s’asseoir à côté et se présenter. Puis étrangement, ils ne se sont plus jamais quittés - le silence d’abord malmené par la curiosité de Ryu, par ses questions sur la gamine qui pourtant lisait avidement un énième livre de la bibliothèque, semblant visiblement ne vouloir lui prêter aucune attention - mais qui finissait toujours par répondre poliment. Puis sans vraiment qu’elle ne s’en rende compte, la présence du garçon est devenue familière et Li Xiu rebaptisée Magda, lui renvoyait les interrogations, allant même jusqu’à prendre sa défense quand on remettait en cause la légitimité sur les bancs de l’école. C’est ainsi qu’ils sont devenus meilleurs amis. Et plus encore, mais avant que la brune ne s’en rende compte, il faudra bien du chemin.

✧✦✧

Le soleil rayonne sur le Londres sorcier, propice à une sortie entre amies. “Tu es sûre que ça ne te dérange pas Ophelia ?” Pauvre gamine a déjà dû passer la nuit dans l’appartement des Chang, entourée des enfants turbulents, quoique étrangement calmes si l’on compare à d’autres évènements. “J’en serais plus que ravie, en réalité.” Le sourire bienheureux s’agrandit, adolescente qui goûte pour la première fois à la vie des jeunes de son âge, passant de la parfaite soirée pyjama aux présentations avec sa maman. “Et puis ça serait dommage de ne pas profiter de ce temps merveilleux.” Hochement de tête. “Oui, ça fait longtemps qu’elle n’a pas vu le soleil !”

Promenade est douce et délicate, c’est le cœur apaisé que Magda parfois fait la traduction, quand la mama n’arrive plus tout à fait à trouver ses mots, le coréen toujours plus facilement accessible que tout autre langue. “Et tu devrais l’entendre jouer de la contrebasse aussi, je ne crois pas avoir entendu de mélodies si apaisantes avant ! Ophelia est vraiment douée.” Paroles élogieuses sont toujours sincères, sinon la coréenne se serait bien gardée de les prononcer. Et c’est dans cette ambiance légèreté que s’achèvera la journée d’été, avec deux enfants heureuses de partager moments de bonheur - et plus heureuses encore de savoir que sous peu, ce sera au tour de Magda de passer quelques temps dans la famille d’Ophelia.

✧✦✧

“Mama ? On est revenus !” Recroquevillée dans le lit, petite bonne femme vieillie par le temps et la maladie, dont les iris retrouvent de l’éclat à la vue de la petite famille réunie au complet, racontant avec légèreté les vacances au bord de mer, les amusements, triplets toujours se crêpant le chignon - taquineries mesquines qui se tarissent sous le regard désapprobateur de l’aînée - sous celui plus épuisé de trop travailler du père. Patiemment la mère écoute les paroles des enfants, dernière se montre plus réservée et en retrait, que Magda prend en accolade pour la forcer à s’avancer un peu, sachant pertinemment que c’est plus par gêne qu’elle se tient à l’écart - mais qu’au fond elle aussi aimerait participer avec plus de joyeuseté à l’animation.

Longtemps cette après-midi, la famille discutera, partageant un instant de bonheur, habituel mais rendu plus marquant par le voyage précédent - le premier sans la maman. Puis voyant la coréenne épuisée, Li Xiu met les plus jeunes à la porte, invoquant les discussions d’adulte pour laisser ses parents en paix quelques minutes ensemble. En profite pour régler les derniers frais à l’accueil avant de revenir embrasser une dernière fois Eun Ji. “Quand penses-tu me le présenter ?” Les sourcils se haussent. “Ryu enfin, et non pas l’autre idiot dont tu t’es entichée, qui ne prête même pas attention à ma merveilleuse fille.” “Mamaaa… Je ne pensais pas que tu voulais le rencontrer, je veux dire…” Inhabituel pour une famille élevée dans les valeurs traditionnelles asiatiques. “Cette racaille ?” Avec le temps, l’adolescent n’aura pas sût attendrir davantage le cœur du père, pas même au travers des histoires de sa fille. Sans doute parce qu’il se rendait mieux compte qu’elle de l’attrait que le jeune homme lui portait. “Mon aînée n’a pas autant d’amis que mes plus jeunes. Ophelia est déjà passée, une jeune fille adorable d’ailleurs, n’hésite pas à la ramener, c’est toujours un plaisir de discuter avec une personne aussi honnête. Je crois que c’est au tour de ton autre ami, à présent…” Le reste de la phrase laissée en suspens, mais qui ne trompe pas sur les pensées planantes - avant qu’il ne soit trop tard.

“Ryu sera sûrement content de te rencontrer.” Et stressé - on ne rencontre pas les parents d’une jeune fille avant de la demander en mariage chez les Chang, il le sait - même si ici il n’est pas vraiment questions de ce genre de sentiments - pas encore avoué du moins, alors que Magda entretient une réelle peur de l’intimité et qu’elle se sert toujours d’un faux crush pour esquiver les sujets qui effraient, ceux qui viendraient remettre en question ses attaches, qui pourraient rendre cette relation si particulière instable.

✧✦✧

“Le plus beau jour de ma vie ?” La mama répète, refermant le petit recueil de poèmes qui occupe ses jours depuis une semaine. “C’est une question un peu soudaine. Et n’en choisir qu’un sera difficile. Toi-même, lorsque tu regardes ta vie, Li Xiu, je suis certaine que tu n’arrives pas à n’en choisir qu’un.” Simple question devient presque leçon. “Ta naissance - celle de tes cadets aussi. Mais quand on tient dans ses bras pour la première fois son bébé, c’est comme si tout était remis en question, de la plus belle des façons. On apprend ce qu’est l’Amour. C’est ce qui m’a marqué quand je t’ai rencontrée, puis la sensation est revenue à nouveau avec chacun d’entre vous.” Redécouvrir l’amour et la vie, remettre en perspective ses priorités.

“Je crois que pour moi aussi. Même si ce n’est pas toujours facile avec eux, je les aime beaucoup, je vous aime tous, tu sais, maman.” Déclaration qui sort du cœur. “Mais c’est vrai que je ne me suis jamais sentie aussi fière que lorsque Niamh est née et que j’ai pu la prendre dans mes bras. J’aurais aimé pouvoir le faire avec mes petits frères et sœurs mais j’étais trop jeune… Alors quand on me l’a autorisée avec elle, si petite, si fragile, si jolie… J’ai eu encore plus l’impression que je devais en prendre soin… Pas que ce n’est pas le cas avec -” “Je sais. Mais ton rôle de marraine te donne une responsabilité de plus. Et tu verras, quand tu seras une mère à ton tour. Ce que tu as ressenti avec ta filleule n’est qu’une mise en bouche.” “Je ne crois pas, je me sens vraiment… je sais pas.” Et pourtant, le temps donnera raison à Eun Ji, car dès lors que Magda tiendra dans ses bras sa fille, c’est tout un monde qui s’écroulera pour laisser place à un nouveau.

✧✦✧

“Mama ! C’est bon, l’entretien s’est super bien déroulé, Asher, le capitaine de Flaquemare est ok pour que je fasse une période d'essai. Je serai encore que remplaçante mais ils m’ont promis que je servirais pas seulement à établir des stratégies dans le fond de terrain ou depuis le banc de touche !” L’annonce pleine d’excitation, rugit presque la nouvelle qui émerveille la coréenne, les joues creusées et la pâleur extrême, reprend un peu de peps de cette manière. “L’équipe est meilleure ?” “Oui - mais pas seulement sur le plan pro, ils sont aussi beaucoup plus… accueillants. C’est familial, tu vois ? On a pu discuter de tout et de rien, et je n’ai pas senti que ma franchise pouvait être un frein. Et puis le plus vieux, Ewen, ressemble un peu à papa.”

La mine réjouit rassure, Magda perdait de l’éclat chez les Harpies - n’avait pas sa place, pas plus que de quoi nourrir ses ambitions. Alors qu’à présent, jeune adulte revit, alimente ses rêves de grandeur. Très vite, même s’il est toujours difficile de s’ouvrir, on s’attache à l’équipe, aux rires si légers et à l'effervescence dans les vestiaires avant un match, au tonnerre d’applaudissement, aux cris des enfants dans les gradins, aux larmes quand on déçoit et aux tapes dans le dos réconfort, mais surtout à l'ébullition d’une victoire, aux hurlements festoyants - à ces après-matchs où ne règnent que les chants familiaux et les félicitations.

“Mama, j’aurais aimé que tu sois là, tu m’aurais vu filer, comme une flèche et marquer - mon premier but !” “J’aurais aimé te voir, briller comme une étoile.” Immense sourire alors que du dos sort un papier journal local. “Mais tu vas pouvoir !” Et photographie illustrant son début de carrière vient attester à quel point gamine semble fragile mais se montre féroce et maline. En mouvement, image retrace le parfait tir à la trajectoire incertaine et le pauvre gardien qui n’arrive pas à arrêter le souafle. Fierté dans les yeux de la mère, admire la jeune femme qu’elle est devenue, sans jamais faiblir ni faillir. Mais maladie rattrape et la douleur prononcée vient ternir l’instant partagé. Vite les infirmières sont appelées et l’ont obligée à se reposer, mettant fin à la visite, le journal toutefois laissé, que la mère relira encore et encore, jusqu’à le mémoriser.

✧✦✧

Les années filent dans un bonheur inouï, entourée des plus fidèles amis, de la parfaite famille mais aussi de nouvelles têtes qui s’aiment déjà à la renommer - Skyler au tempérament solaire, gamin qui devient petit-frère. Mais temps sombres s’en viennent après ça. Ascension d’un lord noir, jusqu’à empourpré une nuit de février, tuer le cœur d’inquiétude pour la famille bloquée entre les murs d’une école toute autant atteinte, pour Ryu qu’elle sait bien trop téméraire parfois, qui s’engagera sûrement dans les luttes pour protéger les valeurs au moins. La nuit même, c’est à St Mangouste qu’on la retrouvera, non pas auprès de la mère mais pour aider à accueillir les victimes, à offrir quelques couvertures et faire le relais en balais pour apporter des vivres et faire patienter jusqu’au petit matin. C’est le début de la guerre et la suite ne sera pas plus joyeuse, pas lorsque la mère se meurt toujours plus et que l’on commence à pleurer les morts.

Numéro quatre - Ewen au regard paternel devenu absent, une femme et des enfants plus jeunes qu’elle, qui disparait un soir, pour qu'on ne retrouve qu'un corps, des jours plus tard - tué de s'être trop engagé. Il n’est pas le seul - ni ne sera le dernier, mais voilà les Flaquemare amputés de leur sénior et la rage qui grandit. Magda, elle, jamais n’ira combattre la folie - mais combien de fois a-t-elle pansé les plaies d’un soldat sans toit ou d’un amour sans loi ? Justicière n’a d’héroïque que la volonté de garder la famille à l’abri. “Je ne suis pas courageuse.” Avait-elle dit. “Tu l’es, d’une autre façon. En protégeant notre famille.” A la place de la mère, aveux inavoué - culpabilité depuis longtemps domptée. “Et les infirmiers m’ont dit, tu sais, que lorsque tu n’étais pas à la maison ou à t’entraîner, c’est ici que tu venais bénévolement donner un coup de main, Li Xiu.” Toussote, éreintée. “Je suis fière de toi ma fille. Mon seul regret, c’est de ne pas avoir été là pour vous six, tu sais ?” “Je sais mama, mais ne dit pas ça… tu as encore le temps-” “Non. C’est bientôt fini. Mais c’est ainsi, il n'y a pas a regretter, jamais, alors que j'ai pu tant aimer... Avec ma mort naîtra une nouvelle vie.” “Je sais qu’on se retrouvera dans une prochaine vie.”

Solitude et solitaire, le monde a toujours paru si bruyant et la maison toujours pleine - même son appartement, Magda ne l’occupait pas vraiment, l’espace la faisait se sentir ridicule et étrangement, les cris des triplets lui manquait, tout autant que le silence malmené d’Haneul ou les mélodies d’Ophelia. Les taquineries de Ryu, les soupirs du père. Les mots doux de la mère. Brunette ne s’était jamais plainte que du raffut que son environnement occasionnait - et pourtant, aujourd’hui qu’elle voyait la mort en face et se sentait seule, c’était la première chose qui lui manquait. Elle savait, la jeune femme, qu’avec la disparition prochaine de sa mère, tout serait remis en question, qu’importe si les années l’ont aidée à se préparer - il était temps, pourtant, car voir un être tant chérit souffrir si fort et être incapable parfois même de prononcer le moindre mot est déchirant. Prisonnière d’un corps et du malheur, jouet de la maladie - on ne souhaite pas ça, même à son pire ennemi.

Il n’y aurait plus de visites régulières à l’hôpital, ni de longs discours avec Regulus à propos du Quidditch ou de la vie, ni la possibilité de se confier à la sagesse incarnée, venir chercher quelques conseils pour avancer. La mama, toutes ses années, l’avait juste préparée à occuper le rôle de la mère pour les Chang qui viendraient prochainement à perdre la leur. C’était injuste d’après Eun Ji, mais sa fille si téméraire ne l’a jamais vécu comme tel - seule la douleur de son absence avait taché les joues de larmes tristesses - jamais la fatigue d’être trop jeune plongée dans un monde d’adulte. Elle s’était longtemps demandé où l’aînée avait puisé une telle maturité - avant de se rendre à l’évidence que chez la gamine, c’était son premier moyen de garder la tête hors de l’eau et de continuer à marcher. Esquiver ce qui pourrait rendre faible et devenir pilier de la maisonnée. C’était là la force de Magda - son amour immense pour la famille, de sang ou adoptée. Et c’est pour cela qu’Eun Ji Chang, née Lee, ferma les yeux sans s’inquiéter, songeant à la promesse de Nana, il y a des années - que tout irait bien pour ses enfants.

✧✦✧

Assise devant la porte d’un petit appartement qu’elle ne connaît que trop bien, poursuiveuse attend, recroquevillée sur elle-même. Est-ce qu’elle abuse à venir ici au beau milieu de la nuit, incapable de dormir parce que les rêves se transforment en cauchemar et l’étreignent depuis la mort de la mère ? Magda n’a jamais subi le poids de porter les Chang - encore moins depuis que les triplets sont suffisamment grands pour prendre soin d’eux et l’aider à tenir la maison. Et pourtant - le tambourin est fendu et l’esprit doute, plus que jamais, maintenant que son pilier à elle a disparu. “Qu’est-ce que tu fais là ?” Relève la tête prestement, les yeux déjà humides de fatigue et de deuil, pour découvrir la gueule cassée du meilleur ami - haut le cœur alors qu’elle se relève, trop vite sûrement et qu’il n’y a que l’étreinte spontanée pour la retenir.

Cette nuit-là, Magda ne sera plus capable de feindre ni de prétendre que le cœur va à un autre. Et si d’ordinaire ils passaient leur nuit à converser et refaire le monde, lors de celle-ci, les mots se sont noyés dans les flots de tendresses charnelles - dans l’impatience de s’être trop longtemps retenus - dans l’expression la plus sincère de leurs sentiments amoureux. Mais le silence n’aura jamais sût être levé après ça et la nuit fût oubliée pendant huit mois, où lors d’une visite chez le doc annuelle, pour le travail, la brune se découvre enceinte. Même cinéma recommence - elle assise à attendre l’amant, patiemment, jusqu’à ce qu’il vienne rire du fait qu’il finira par faire un double des clés et le lui passer. Il n’y a jamais de bonne façon d’annoncer l’arrivée d’un enfant à quelqu’un qui ne s’y attend pas - malgré tout, Ryu l’a écouté se confondre en explication, que si elle ne s’en était pas rendue compte, c’était sûrement à cause de la pression, du fait que même si elle avait espéré un jour avoir un enfant, là, maintenant, avec la carrière devant elle et qui devrait reprendre prochainement, ce n’était pas possible - qu’il y avait encore l’ébranlement des disparitions, quelques remises en question - et surtout cette guerre, qui planait. Il a écouté - mais surtout entendu. Et a promis qu’il serait là, autant qu’il le pouvait malgré sa vie mouvementée dont elle ne connaissait pas les détails - pour des questions de sécurité.

L’accouchement fût éprouvant - mais il était là, tout autant que le père et la fratrie n'étaient pas loin. Et puis les paroles de sa mère ont raisonné dès lors que la petite fût entre ses bras. Sa fille. Son amour. Tout son cœur, là, au creux des mains. Le plus beau jour de sa vie - attise les larmes pures d’un bonheur qui n’a qu’un nom - celui de Cho.

✧✦✧

CHANG - 4. Le regard se bloque sur le chiffre, remplacé - ancienne 15 qui décide de porter le numéro des séniors, honorera la mémoire d’Ewen - se fera figure sûre et fiable pour les jeunes qui arrivent chez les Flaquemare. De la même manière qu’elle est mère et grande-soeur - pilier et repère des proches. C’est ainsi qu’on l’admire Magdalena - stable et féroce, qu’importe le terrain et surtout, qui n’a pas peur d’être elle ni d’assumer l’histoire pas toujours aussi lisse que les médias le voudraient pour une femme. Mère qui a donné son nom à la plus douce des enfants, les mauvaises langues ne se cachent pas quant à son statut - qu’importe si Ryu est toujours présent, même dans l’ombre - même lorsqu’il s’absente pour le bien du monde. Mais la vérité reste sans doute la plus difficile à digérer pour ses détracteurs : Numéro 4 brille déjà d’une jolie carrière, en a dans la tête, est entourée de proches adorés et s’en sort en tant que mère célibataire et non mariée - pas d’homme pour assurer les arrières, quoiqu’elle remerciera toujours le père d’avoir apporter l’argent nécessaire à son éducation. Jalousie ne l’atteint pas, pas lorsqu’elle entend les enfants l’acclamer et les voit sourire et tendre les bras - qu’on lui réclame des câlins après les matchs - qu’elle sent les petites tapes de ses camarades dans le dos - et qu’à la sortie l’attend sa famille. Pas lorsque chaque jour que les dieux lui donnent, Li Xiu peut voir grandir sa fille, couvée d’un bonheur qu’elle souhaiterait infini - et que dans l’ombre se terrent encore des espoirs d’amour, quand bien même effrayés.

Ainsi Chang dessine dans l’esprit la plus brillante des voies lactées, où chaque être aimé vient éclairer un peu de sa vie - colorer les constellations et les soirées. Et dans son ciel, file toujours une comète.