Kristjana Gallagher - Kneel before your queen

C’était un matin comme on en faisait des plus normaux. Le vent glacial de la saison hivernale cognait contre les vitres de la demeure des Gallaghers. Dans la petite cuisine qui faisait aussi office de salle à manger, Erika Gallagher versait le café fumant dans les tasses en céramique verte. Agée de huit ans, la jeune Anja dévorait une tartine de pain beurré avec insouciance pendant que son père parcourait un recueil de poèmes. La fillette s’apprêtait à enfourner une nouvelle tartine après l’avoir généreusement tartinée de confiture, quand un cri de rage brisa le calme paisible qui régnait sur la maisonnée.

— AAAAAAAAANJAAAAAAAAAAA ! Sale petite peste ! Qu’est-ce que t’as mis dans mon shampoing !

Sursautant, l’intéressée laissa échapper la tranche de pain, qui s’écrasa sur le sol avec un splotch de mauvaise augure qui n’alarma pourtant personne autour de la table. Un tambourinement furieux précéda l’arrivée de sa sœur dans la pièce, enroulée dans un peignoir, encore dégoulinante de l’eau de sa douche. Elle était si en colère qu’Anja ne savait pas bien dire si ce qui sortait de ses oreilles était un résidu de vapeur ou bien de la fumée. Mais ce n’était qu’un détail à côté de ses cheveux. Complètement ébouriffées, ses mèches brunes qui lui avaient toujours valu des compliments arboraient à présent un bleu vif, électrique, presque scintillant. Les deux parents adressèrent un regard suspicieux à leur cadette.

— Anja ? Tu as quelque chose à dire ?
— J’ai rien fait ! s’indigna la petite.
— Menteuse ! Comment mes cheveux sont dev'nus bleus si t’as rien fait ? Arrête de m’prendre pour une idiote !
— C’est toi qu’est trop bête, j’ai rien fait ! C’est trop moche, si j’avais voulu changer tes cheveux j’aurais choisi une meilleure couleur !
— Attention à toi jeune fille, gronda leur mère. Et toi Kristjana, calme-toi, il y a sans doute une explication.
— Bien sûr qu’y a une explication ! C’est cette espèce de folle hideuse qui est jalouse !
— OH ! Ça suffit maintenant ! Plus un mot !
— Mais…
— Un.
— Moi j’ai rien …
— Deux... Sullivan, tu comptes les laisser s’écharper ou venir m’aider à démêler ce fourbi ? , soupira son épouse avec agacement.

Resté silencieux jusque-là, Sullivan grattait sa moustache grisonnante, pensif. Ce pourrait-il que… Non. Impossible. Ils l’avaient adoptée à l’orphelinat des moldus. Le seigneur aurait un drôle de sens de l’humour de lui imposer ça, à lui.

— Hum. J’ai peut-être une idée. Pour aujourd’hui, Kristjana restera à la maison, nous dirons à son professeur qu’elle est souffrante. Anja, tu vas à l’école, et je te conseille de te dépêcher si tu ne veux pas arriver en retard. Je resterais avec elle pour voir comment ça évolue. Si rien n’a changé d’ici ce soir… Il soupira. Il faudra que nous ayons une petite discussion. Anja, j’ose espérer pour toi que tu dis la vérité.

— Mon chéri ? Je peux te parler deux minutes ? Erika l’entraîna dans le vestibule. On peut savoir ce que tu fais ? La teinture ne disparaît pas en une journée. Après la classe j’irais acheter de la teinture noire, il n’y a pas trente-six solutions, chuchota-t-elle d’une petite voix aiguë.

— Je n’en suis pas si sûr, fais-moi simplement confiance.

— Pas évident quand tu me caches des choses… mais soit. Anja, en route !

La fillette suivit sa mère vers la sortie, renfrognée, bougonnant dans sa barbe que c’était pas juste.


Kristjana avait fendu assez de bois pour les trois prochaines semaines. Elle avait construit puis détruit quatre bonhommes de neige. Elle avait couru à travers bois pour espionner leurs nouveaux voisins, sans réussir à en apprendre plus sur leur étrange famille.

Elle refermait à peine la porte d’entrée derrière elle quand elle eut la sensation que sa mâchoire bougeait. Son manteau n’avait pas touché le sol qu’elle grimpait déjà les marches de l’escalier quatre à quatre, pénétrait en trombe dans la salle de bain et se précipitait devant le miroir. Elle resta fixée sur son reflet une bonne minute sans rien dire, abasourdie. Il ne lui renvoyait plus l’image d’une jeune fille de dix ans, mais d’un jeune garçon du même âge, au nez en trompette et aux cheveux blonds comme les blés. Après s’être pincé les joues une petite dizaine de fois, Kristjana se rendit enfin à l’évidence : c’était bien elle dans le miroir, et cette vision, outre les circonstances à peine croyables qui en était à l’origine, ne la dérangeait pas tant que ça. Elle s’observait encore sous toutes les coutures, avec une curiosité mêlée d’incompréhension quand son père pénétra dans la pièce à son tour.

— Kristjana, ma chérie, tu veux bien… il marqua un temps d’arrêt en la voyant, aussi surpris qu’elle, descendre s’il te plaît. Nous avons de la visite.

L’intéressée le regarda comme s’il venait de lui pousser un troisième œil au milieu du front.
— Dans cet état ?
— Précisément. Notre visiteuse est ici pour t’aider.



— Kristjana ? Est-ce que tu as des questions ? demanda l’inconnue avec bienveillance.

— Donc, si j’vous suis bien, je serais, elle pouffa, une sorcière ?

— Exactement. Et même une sorcière très spéciale, puisque tu es métamorphomage.

— Et je devrais aller apprendre la magie dans une école de magie ?

— C’est bien ça.

— Et j’devrais réciter des formules avec une baguette dans ce genre de tenues ridicules ?

Son père fronça les sourcils d’un air réprobateur, mais l’envoyée du ministère n’eut pas l’air de se formaliser du manque de politesse de la jeune Gallagher. Elle devait être habituée à ce genre d’attitude venant des nés-moldus.

— Tu as tout compris. Tu feras ta rentrée à Poudlard le premier septembre prochain, je viendrais te chercher quelques jours avant pour t’emmener acheter tes fournitures scolaires puis t’accompagner à Londres, où tu pourras prendre le train avec tes autres camarades. D’ici là, je serais ta tutrice. Je te rendrais visite une fois par semaine pour t’aider à maîtriser ton don de métamorphose et pour répondre à tes questions. Pour ce qui est de ton école, le ministère se charge de tout. Tu n’y retourneras plus, afin de préserver le secret magique.

— Et mes amis, euh.. moldus ?

— Pour le moment il serait trop risqué de les revoir. Tes pouvoirs sont trop instables. En fonction de tes progrès, nous pourrons peut-être réévaluer cette décision. Elle lui fit un petit clin d’oeil complice. Mais quelque chose me dit que si tu allais frapper chez tes nouveaux voisins, tu trouveras de nouveaux amis très chouettes.


Leur visiteuse repartie, Kristjana se décida enfin à poser la question qui lui brûlait les lèvres à son père qui nettoyait la vaisselle avec un zèle plus que louche.

— Papa ? Pourquoi tu n’étais pas surpris ?

L’intéressé se gratta la nuque avec un regard coupable.

— Je suis ce qu’on appelle un Cracmol… Un enfant de sorciers dont les pouvoirs ne se sont jamais manifestés. J’ai décidé de vivre comme un moldu, parce que la société sorcière ne m’offrait pas de très belles perspectives d’avenir.

— Est-ce que ça veut dire que ?

— Oui, ton oncle, ton cousin, et tes grands-parents sont des sorciers. C’est pour ça que tu ne les as jamais rencontrés.

— Est-ce que maman est au courant ?

— Non…

— Je vois, grinça la jeune fille. Il y a d’autres choses comme ça que tu nous caches ou tu t’es arrêté à un seul mensonge ?

— Je comprends ta colère ma chérie, mais tu dois me comprendre : je n’avais aucune raison d’en parler dans la mesure où je n’étais plus sensé avoir de contacts avec le monde magique. Après tout, votre mère est moldue et ta soeur et toi ne veniez pas d’un orphelinat pour sorciers.

— T’es vraiment qu’un gros nul.

Sans lui laisser le temps de répondre, Kristjana claqua la porte du placard à vaisselle avant de s’enfermer dans sa chambre pour ruminer.