Morrigan - she wolf

Je me souviens du froid …

Un froid polaire, du genre à vous glacer sur placer, et à vous brûler les joues. La neige qui s’accumule par centimètres, le vent qui forme des congères, le silence pesant, et le calme qui règne. Je me souviens des rires, éclats de voix. Je me souviens de ce lac gelé, des heures à patiner dessus pour passer le temps. Il n’y avait rien d’autre à faire, dans cet endroit du monde. Pas de magasins, pas de salles d’arcades, pas cafés où se réunir. Seuls le froid, la neige, et le vent glacé. Je me souviens de lui, de son rire cristallin, de son envie d’aventure, et de frissons. Je me souviens de ses joues rouges, de son regard brillant, de son bout de nez rouge, également. Je me souviens de son accent français, de ses jurons que je ne comprenais pas, de son amour pour son pays. Je me souviens de ses parents, qui avaient rêvé de ces vacances près du cercle polaire pendant des années. Je me souviens de ce premier baiser, de ses lèvres gercées, glacées.

Je me souviens des larmes …

Des adieux sanglotants, des promesses de se revoir. Ses parents reviendront, ont-ils assuré, mais moi, je ne crois pas à tout ça. Je préfère me dire que je ne le reverrais jamais, plutôt que de me bercer de belles promesses. Il est parti comme est parti l'hiver : brusquement, en laissant derrière lui que de l'eau gelée, et un parfum de fleur. Silas est parti, et avec lui, mon premier amour, et mes premiers émois. Je me souviens des jours qui ont suivi, avec ce sentiment de vide. Je me souviens de la Norvège qui se réveille d'un hiver qui n'a que trop duré, d'une nuit de plusieurs semaines. Le grand Nord se réveillait, et moi j'avais l'impression de m'endormir, attendant patiemment le prochain hiver pour le revoir, lui.

Je me souviens de l'adolescence ...

De ces années ingrates, qui passaient et laissaient des boutons, et des cicatrices disgracieuses sur mon visage. Je me souviens de l'école, des enfants méchants, et de leurs remarques blessantes. Je me souviens des hivers qui passaient, sans revoir Silas, son sourire, et l'éclat de ses yeux. Je me souviens du jour où j'ai décidé de ne plus aller à l'école, à mes seize ans, préférant aider mon père vieillissant à la scierie. Je me souviens des échardes pénétrant l'épiderme de mes mains, je me souviens des ampoules, je me souviens des larmes le soir quand ma mère bandait mes plaies. Je me souviens de ma volonté de plaire à mon père, et de le rendre fier. Lui qui a toujours voulu avoir un fils, je voulais être celui qu'il n'aura jamais. Je faisais du sport, je faisais travailler mes bras, parce que je voulais être forte, je voulais être assez.

Et plus que tout, je voulais oublier cette solitude qui me rongeait, et qui me faisait regarder la lune pendant des heures.

Je me souviens de mes dix-huit ans …

Des bougies soufflées sous les aurores boréales, et de la majorité enfin là. L'indépendance que j'attendais depuis si longtemps. Je me souviens d'une surprise, que mes parents ont su taire durant des semaines, qui les faisait sourire lors de leurs messes basses. Je me souviens de le voir passer la porte du salon, avec ses cheveux blonds, et sa peau parfaite. Il avait grandi, lui aussi, et en six ans, il est devenu encore plus beau qu'il ne l'était à ses quatorze ans. Je me souviens d'être restée un moment stoïque, sans pouvoir bouger, sans pouvoir parler. Je me souviens d'avoir bondi sur mes pieds, pour retrouver l'étreinte réconfortante et chaleureuse de ses bras, et son parfum qui m'avait tant manqué. Je me souviens de la nuit polaire, mais également des lumières boréales qui illuminaient le ciel. Je me souviens de sa main dans la mienne, et d'une conversation qui ne se terminait pas. Six ans sans lui, et tellement de choses à lui raconter. Je me souviens de la chaleur de sa peau, des frissons qu'il me donnait en me caressant doucement la main. Je me souviens l'avoir emmené à la scierie, dans le local qui servait de salle de pause. Je me souviens de ses lèvres, de les retrouver, enfin, et de savourer chaque seconde de lui. Je me souviens de sa peau contre la mienne, des promesses de toujours, et de la façon dont il m'a aimée pour la toute première fois.

Je me souviens de cette nuit ...

Je me souviens de l'odeur du feu de camp que nous avions fait avec Silas, et de son corps collé contre le mien pour se réchauffer. Il fait un froid de chien, et la pleine lune était haute dans le ciel, déversant sa lumière sur la neige scintillante. Je me souviens des rires, des baisers glacés, et de la fumée qui nous brûlait les yeux. Je me souviens du grognement sourd qui venait de la forêt. Je me souviens du bruit des pas sur la neige, presque étouffé. Je me souviens de la main de Silas serrant la mienne, et de mon cœur battant frénétiquement contre ma poitrine. Je me souviens de lui, noir, sortant des bois, le pelage aussi sombre qu'une nuit sans lune, et ses yeux rouges luisant comme auras maléfiques. Je me souviens de la voix paniquée de Silas, me disant de courir. Vite. Je me souviens de la course effrénée, et des hurlements du loup qui semblait prendre plaisir à nous chasser.

Je me souviens être tombée, je me souviens du froid de la neige. Puis lorsque ses crocs sont entrés dans ma chair, je me souviens de ce hurlement qui a fait craquer mes cordes vocales.

Et la nuit est tombée, pour ne plus jamais laisser le jour se lever.

Je me souviens du réveil ...

Je me souviens de la panique, de mon corps tremblant. Je me souviens de Silas, qui dormait encore à côté de moi, le bras en sang. Je me souviens de cet homme, qui me regardait avec un sourire mauvais. Je ne voyais en lui qu'un démon. Je me souviens de sa voix grave, quand il m'a parlé. Je me souviens de ce sentiment de soumission que j'ai ressenti quand j'ai croisé ses iris. J'étais sienne. J'étais à son service. Je me souviens des larmes qui brûlaient mes yeux, lorsque je suis tombée à genoux devant lui. Je me souviens de Silas qui se réveille, et qui se met à genoux devant cet homme, lui aussi. Je me souviens de ses yeux sur nous, de nos têtes baissées. De ces surnoms dont il nous a affublés.

Charybde et Scylla.

Je me souviens de l'envie de sang ...

De ma première transformation, et de l'excès de salive dans ma bouche. Je me souviens de mes os craquant un par un, de ce mal de dents abominable, et de la sensation de la neige sous mes coussinets. Toujours en Norvège, mais je n'avais pas vu mes parents depuis vingt jours. Ils ont fini par abandonné les battues et nous ont déclaré morts, tous les deux. Je me souviens de sa voix dans mon esprit. Tue. Tue. Tue. Contrôlée par le loup, j'ai tué.

Et ce n'est qu'en me réveillant le lendemain que j'ai vu les visages effrayés de mes parents, figés à jamais ainsi.

Une éternité dans la peur et la souffrance.

Je me souviens des larmes, de l'envie de vomir, de l'envie de mourir. Je me souviens les avoir regardés pendant des heures, en espérant qu'ils se réveillent. Je me souviens de la main de Silas sur mon épaule. De l'appel de la meute. Il fallait partir.

Je me souviens avoir laissé derrière moi ma joie, mon nom, et mon histoire.

Je me souviens des heures sombres ...

Considérés comme des moins que rien, on se démenait avec Silas pour ne pas devenir fous, pour ne pas sombrer. On s'aidait, mutuellement. Il était partout où j'étais, comme mon ombre. Quand les mots de l'Alpha étaient trop durs, il était là pour m'aider à les encaisser. Je l'aimais. Ô comme je l'aimais. La meute a fini par migrer en Angleterre, j'ai abandonné mon pays, mon nom, mon essence. C'était pire pour Silas, qui a été déclaré mort par ses parents, qui n'ont eu aucune nouvelle de son voyage en solitaire. Je le console, quand la nostalgie se fait trop présente. Je le prends dans mes bras, je le berce. Je lui dis que je l'aime, et que tout ira mieux.

Je me souviens des tueries, de la guerre, des masqués qui gravitaient autour de nous. Je me souviens d'avoir riposté à l'attaque d'un village. Je me souviens des coups de fouets, zébrant mon dos de cicatrices qui n'ont jamais complètement guéri. Je me souviens des bras de Silas, de ses murmures réconfortants. Je me souviens de sa protection, de ses je t'aime, de son odeur qui me rappelait la maison.

Je me souviens de la fugue ...

La fin de la guerre est arrivée, avec elle la chute de Voldemort et des mangemorts. Je me souviens de Fenrir, de sa rage à la perte de la guerre, de la colère qui vrombissait en lui. Je me souviens de ce regard échangé avec Silas. Il faut partir. Sa voix qui s'insinuait dans mon esprit, comme il le fait si souvent. Alors on est parti.

Je me souviens du silence, dès qu'on a quitté la meute. La paix intérieure, sans les entendre. Je me souviens d'avoir couru une nuit entière à quatre pattes, la pleine lune rejetant sur nos fourrures ses rayons maudits.

Je me souviens de la ville, de cette cachette dans un entrepôt qui puait le poisson pour redevenir humains sans que personne ne nous voie. Je me souviens de l'attente, en étant cachés, ayant peur de se faire retrouver par Fenrir, et le reste de la meute.

Il nous fallait un Alpha. Et vite.

Je me souviens de Remus ...

Je me souviens de son odeur réconfortante, et apaisante. De la façon dont j'avais envie d'être à lui, de devenir sa bêta. Je me souviens l'avoir observé, l'avoir pisté. Il avait l'air bon. Il avait l'air respectueux.

Je me souviens de la discussion avec Silas, et de nos mêmes avis.

C'était Remus.

Et on doit trouver un moyen de l'approcher.