Le talon de mes bottes claquait contre le pavé de la zone résidentielle sorcière en plein cœur de Londres. Le tempo était rapide, afin de m’adapter aux larges enjambées de celui que j’accompagnais, mais mon pas restait sûr. En effet, si nous bénéficions d’une courte accalmie dans le climat maussade et hivernal de la journée, les pierres ornant le sol de la rue restaient humides, et de fait plutôt glissantes si ce n’était traîtresses. Et loin de moi l’idée de me fouler une cheville sur un week-end hors du château séculaire. Ces derniers étaient assez rares pour que je veuille en profiter, même si c’était pour honorer une étrange coutume que nous avions instaurée bien des années plus tôt, à savoir nous retrouver au moins 3 fois dans l’année -en dehors des fêtes- avec mes frères.

Ainsi, j’évoluais à hauteur d’Emrys, et nous nous rendions chez notre aîné, Percy. Non pas du fait de son aînesse sur nous, mais bien par commodité du fait de sa cécité. Et si nous avions d’ores et déjà échangé quelques banalités avec mon autre frère, le trajet se trouvait dès lors bien silencieux. Ce qui n’était probablement pas pour nous déplaire, admettons-le.
Serrant davantage mon élégant manteau autour de ma taille, mes pensées étaient pour l’heure accaparées par des priorités bien à moi : mes prochains cours, ou encore le comportement récent de certains élèves. Or, dans mes dits élèves, se trouvaient nos trois enfants respectifs : Luc, Eurydice, et bien évidemment Owen -même s’il persistait à vouloir s’appeler Othello, comme son autre oncle. Trois enfants brillants, à leur manière, et présentant depuis plus ou moins longtemps des dons similaires aux nôtres, et particulièrement développés dans notre branche : la double vue. Luc était sans nul doute celui étant le plus à l’aise avec son don, là où mon fils le découvrait tout juste et était pour le moins dépassé. Ma chère nièce, quant à elle, était plutôt discrète sur le sujet. Sans doute ses visions étaient-elles bien plus épisodiques.

Lorsqu’enfin nous arrivions devant la lourde porte gardant la demeure de notre aîné, je m’arrêtais afin de laisser à Emrys l’honneur d’y toquer. Il ne fallut alors que peu de temps avant qu’on nous ouvre. Quelques instants plus tard, nous étions installés dans le salon, ayant pour ma part pris place dans un des fauteuils de cuir tournant presque le dos à la cheminée. Le maître des lieux, quant à lui, se faisait presque attendre.

Une promesse se doit d'être honorée en ce jour, et, je suis homme de parole, malgré tout. Tout ceci à cause d'une proposition qui s'est faite, il y a de cela quelques années et qui a eu pour but de mettre en exergue nos relations entre mon aîné et ma chère cadette. En cela, se voir en plus et en-dehors des fêtes inhérentes à la famille Gaunt pour discourir de sujets divers qui, -malheureusement-, peuvent nous tenir à cœur et alléger de ce fait nos consciences.
Par Salazar, il est judicieux toutefois de constater que je me plie à cet effort certain.

Tout comme celui de ralentir quelque peu mon allure alors que Bethsabée, -que je me plais à surnommer Beth par pure et simple habitude-, semble tout de même ne pas y être contraire. Au bout de quelques secondes, nous nous accordons avec une aisance certaine, nous poussant même à échanger sur divers points de vue avant de rencontrer Percival. Même si notre 'pudeur', -là aussi ce terme m'hérisse au plus haut point-, nous n'effleurons que la surface de nos inconscients. Car je me doute, au vu de mon emploi au sein du Ministère de la Magie qui est fortement relié à la psyché humaine, que ma tendre sœur doit y être quelque peu sujette. À ces préoccupations qui n'éclosent que dans nos esprits, bien évidemment.

En ce qui me concerne, je me retrouve à penser à cette envie qui me colle à la peau. Celle de devenir prochainement le Directeur du Département des Mystères, faisant campagne auprès de mes subordonnés et de ceux que je considèrerais toujours comme étant des incapables notoires. Mais, nécessité ne fait-elle pas loi ?
Ainsi que ce siège au Conseil des Purs, que j'apprécie tout particulièrement et qui me permet de voir les défauts qui gangrènent le Château séculaire. L'époque où j'en foulais les pierres en tant qu'élève de la noble Maison Serpentard, me manque assurément.

Cependant, je ne peux qu'être fier, -sous couvert d'une jalousie qui m'est propre à être cet enfant du milieu-, que ma jeune sœur soit la Directrice de notre ancienne maisonnée commune. Ainsi qu'une professeur certainement émérite, appréciée de ses étudiants et de ses étudiantes.
Cela est cette réflexion qui m'accompagne alors qu'elle-même me convie à nous signaler tous deux à notre aîné. Toquant alors de mon index ganté de noir à la lourde porte de bois sombre, je laisse passer Bethsabée la première par galanterie fraternelle, et me glisse à sa suite. Retirant écharpe et long manteau sombre, afin de prendre place dans l'un des fauteuils, non loin de celui choisi par ma cadette.

Et par Merlin, ce que je n'aime pas attendre !
Percy, brille-t-il ainsi par cette volonté de me faire sortir si aisément de mes gonds ? Cela est ce qui semble se produire, alors que mes iris balayent la pièce encore dépourvue de la présence attendue de Percival, et que mes doigts en viennent à tapoter les accoudoirs, par réflexe.
Bon sang.

Je ne saurais dire si c’était à cause de la misère relative dans laquelle avait évolué notre famille depuis quelques génération, et de laquelle nous nous étions tout trois tirés, mais une fois de plus je ne pouvais que constater à quel point nous aimions tous cette forme de faste dans lequel nous évoluons à présent. Et si cet état de fait était d’autant plus visible chez mes frères de part leurs demeures respectives, je n’étais guère en reste, appréciant tout particulièrement l’élégance et le raffinement de ce qui pouvait m’entourer dans mes appartements à Poudlard, ou dans ce que je pouvais même porter. En outre, j’alternais aisément entre vêtement offrant une certaine praticité nécessaire à mon poste, et ceux rappelant la quintessence de notre lignage ô combien glorieux.

En cet fin après-midi, le vêtement que je portais n’avait pas le faste d’une tenue de soirée, mais n’en restait pas moins distinguée. Et mes iris, réhaussé d’une délicate touche de maquillage, se posaient avec une certaine attention sur tout ce qui pouvaient nous entouraient. Un environnement pour le moins connu, mais dans lequel je notais cependant le moindre petit changement depuis ma dernière visite. Et par changement, je n’incluais en aucun cas la quantité dantesque d'entremets colorés que l’elfe de maison venaient de faire apparaître sur la table basse. Une fois de plus, Solène s’était surpassée, nous offrant là de quoi nourrir une harde entière. Quantité qui serait pourtant probablement insuffisante dès lors que Luke ou Owen se trouvaient présents. A l’instar de tout garçon en pleine croissance, l’estomac de ces deux-là était semblable à un gouffre.

Il nous fallut encore plusieurs longues minutes avant que Percival nous fasse l’honneur de son auguste présence, minutes qui mirent une fois de plus à l’épreuve la patience d’Emrys, qui n’avait rien de légendaire.

« Percy. Quel plaisir de te voir, tu sembles en pleine forme. »

Il y avait une certaine chaleur dans ma voix, et pour cause… n’étant pas particulièrement tactile, cette dernière faisait office d’étreinte de salutation. En outre, il y avait toujours ce petit quelque chose de provoquant dans l’attitude de notre aîné, qui me faisait dire que Percival avait pleinement conscience de l’attente que nous avions eu à subir.

« Nous t’attendions cependant avant de nous servir, il aurait été indélicat de notre part de commencer sans notre hôte ~ » ajoutais-je en retour, dans une amicale et discrète petite pique.

Je ne peux décemment nier que de me retrouver en compagnie -future- de mon aîné et de ma cadette, m'enchante plus que de raison. Du moins, à la hauteur de ce qui semble être correct et accepté par cette famille dont nous sommes les illustres et prestigieux représentants. Notre nom est généralement associé à un titre de noblesse que je n'ai point peur d'employer, quand le besoin s'en fait sentir. Notre aïeul étant de ce fait, Salazar Serpentard. Ce qui nous pousse au faste et à la reconnaissance.

Cela se traduit de différentes manières, chez chacun d'entre nous. Si Percy et moi-même partagions un amour pour la démesure au vu d'un Manoir dont la superficie était plus que respectable au regard du monde, -même si, bien évidemment le mien est plus conséquent par simple esprit de supériorité-, pour Beth, cela se perçoit au niveau de ses atours. Ma jeune sœur est toujours tirée à quatre épingles, toujours impeccablement apprêtée et sans nul défaut.

Avec un mince sourire où se perçoit aisément mon impatience, -attendre est l'apanage de ceux qui n'ont plus rien-, je me plais toutefois à constater que Solène s'est sciemment surpassée. Nous octroyant une myriade de mets, tous plus appétissants les uns que les autres. Dans un défilé aux senteurs alléchantes et à la vision charmante.
Même si la Créature n'est pas reconnue pour avoir un tempérament ... disons ... appréciable.

Lorsque notre aîné apparaît enfin, au bout d'un temps qui m'a paru de ce fait interminable, je détourne mes prunelles grisées pour les poser sur sa silhouette. Et, je ne peux que rejoindre ma cadette, concernant son observation. Notre hôte me paraît être en pleine forme même si je me doute, que de faire patienter ses invités, l'a quelque peu amusé.
Surtout ma propension à ne pas vraiment accepter l'expectative.

- Je rejoins Beth et sa vision des choses. Était-ce un petit calembour destiné à parler de nos dons respectifs et de la cécité de mon aîné ? Je laisse la libre interprétation aux deux concernés. Solène s'est surpassée. Je tiens à le signaler. Rendons au moins à Solène, ce qui est à Solène. J'octroie un sourire en coin à mes deux condisciples, prêt à entamer n'importe quelle spécialité préparée par l'Elfe de notre frère aîné.

Suis-je un tantinet curieux ? Il semblerait.
Ce qui n'est évidemment point une partie de mon caractère et encore moins ce que je souhaite dévoiler à mes interlocuteurs et interlocutrices. Même si, soyons un tant soit peu honnêtes, mon emploi me pousse à l'être et à sublimer cet état de fait.
Attendant que Percy nous incite à nous servir, j'en viens à poser une question triviale mais qui toutefois, se destine à être l'entame de notre conversation.

- Eh bien ... eh bien. Comment vous portez-vous ? Avez-vous eu des nouveautés dans votre existence qu'il serait judicieux de partager ? Pour ma part, il m'en vient une à l'esprit. Et, ce n'est pas de gaieté de cœur que j'en viendrais à la partager à mes deux interlocuteurs.

Loin s'en faut.

Il y avait une certaine once de malice dans l’éclat de mes prunelles, alors que je suivais l’échange qui s’opérait entre nous, les membres de la fratrie Gaunt. Je ne pouvais nier le fait que j’avais toujours eu un certain plaisir, enfant, à suivre les débats grandiloquents de mes frères, puis d’y prendre part lorsque j’eus assez de maturité pour le faire. Et les choses avaient toujours été ainsi entre nous. S’il y avait une réelle affection, elle était bien masquée par nos masques de marbre et nos langues de serpents. Néanmoins, j’avais bien conscience qu’au fil des années, le fossé entre nous, creusé par nos vies et nos espérances, n’avait fait que s’agrandir. Plus encore lorsqu’il était question de mes deux frères. Emrys n’avait jamais su se contenter de sa place, celle du second fils, et nourrissait une jalousie toute particulière qui le poussait à chercher l’excellence et le dépassement dans tous les domaines auxquels il s’adonnait. Et à celà, notre aîné, ce cher Percival, répondait par son habituel sarcasme ponctué de dédain. Quant à moi, je restais neutre dans leurs petites querelles et menait mes propres batailles dès que le besoin se faisait sentir. Or, ma principale préoccupation restait Poudlard et ses étudiants, une sphère qui, jusque-là, ne concernait pas mes aînés d’une manière autre que par la scolarité de leurs enfants. Jusqu’à cette année, tout du moins. Car c’était d’un oeil peu amène que j’observais l’implication pour le moins déplorable du Conseil des Purs sur la gestion de l’école. Conseil… dont Emrys faisait partie.

Me saisissant délicatement d’une assiette de porcelaine dans laquelle je venais placer d’un coup de baguette un cupcake et une tartelette, je portais mes iris pastels sur Percival lorsqu’il mentionna une visite de son cadet dans son bureau. Mon attention se déporta alors un instant sur le concerné, n’étant pas au courant de ce que notre aîné se faisait un malin plaisir de mettre en avant -je n’en doutais aucunement.

« Tiens donc. Je ne peux, pour ma part, en aucun cas m’enorgueillir d’une visite de mon frère lors de ses passages aux réunions du Conseil. J’imagine de ce fait que cette dernière revêtait d’une certaine importance. »

Evidemment, en digne Gaunt que j’étais, je ne pouvais laisser passer cette perche si habilement tendue. Et posais, dès lors, un regard appuyé sur le seul qui pouvait s’en rendre compte.
Ainsi, je m’esquivais tout autant de la question de notre aîné, attendant d’avoir des éclaircissements sur cette situation dont je n’avais connaissance mais qui éveillait d’ores et déjà ma curiosité. En outre, j’avais effectivement quelques informations, que d’aucuns jugeraient importants là où d’autres n’y verraient que des ragots. En l’occurrence, j’estimais que la plupart ne concernaient pas directement mes frères, et que ces derniers n’avaient pas à savoir plus que de raisons les secrets de mes élèves.

Quand Percival, -notre cher aîné-, nous honore enfin de sa présence au sein même de sa propre demeure, je ne peux dès lors qu'octroyer un rictus entendu. Celui, envers qui j'éprouve une certaine jalousie, se pare d'apparats pour le moins obséquieux et d'une logorrhée verbale prompte à notre ascendance.
En même temps, quelle famille aussi pure que ce sang qui s'écoule dans ses veines peut prétendre à posséder un aïeul présent lors de la construction de ce Château séculaire, là où ma très chère sœur, officie justement ?

Salazar, étant l'un des quatre fondateurs, dont il me fut assuré d'avoir ma place au sein des Vert et Argent, comme les deux autres membres restant de cette fratrie qui n'hésite pas à une seule seconde à faire montre d'un certain venin enrobé d'une pointe de fiel.
Et, je dois avouer que notre hôte est assez ... doué dans ce domaine. À son geste théâtral, je me permets un rire fugace, parce qu'après tout, il y a une certaine once de vérité dans ses propos.
Moi-même, ne pouvant le nier.

- Nullement honte, tu le sais bien. Mon regard grisé pétillant d'une certaine forme de malice attribuée à cette situation, mais tout autant aux mets préparés par Solène, pour lesquels je ne me fis pas prier plus longtemps afin de les goûter. ... bien. Siffle-je, alors que j'opte tout naturellement pour un morceau d'entremets à la framboise et une tartelette au chocolat noir et écorces de bergamote qui viennent orner mon assiette encore vide d'un léger mouvement de baguette.

M'apprêtant toutefois à les déguster, cette intention est de ce fait, marquée par une interruption. Provenant en premier lieu de Percival, dont Bethsabée se sert pour en surenchérir ses propos, ce qui me fait délaisser mes victuailles nouvellement trouvées.
Haussant mes sourcils dans un soupir net d'agacement, je viens reposer l'assiette sur l'un des guéridons, non sans scruter avec une œillade bien plus sombre et appuyée, les iris opaques de mon interlocuteur. Geste que, de toute manière, il lui est impossible de constater.

- Une importance capitale, très chère Beth. Commence-je doucement, venant appuyer mes dires dans un mouvement pompeux de l'une de mes mains, l'autre s'étant naturellement remise sur l'accoudoir où elle y avait été précédemment. ... je comptais sur Percival, pour faire asseoir ma candidature, concernant le fait de devenir le prochain Directeur de mon Département.

Cependant, la doléance de ma cadette, fut quant à elle, bien enregistrée.

- Eh bien ... je me ferais un malin plaisir de venir discourir avec toi autour d'une tasse de thé, sur les quelques manquements de tes ouailles, Bethsabée. Parce que même si ma sœur est la Directrice pour le moins prestigieuse de Serpentard, j'ai bien peur que parmi ses mêmes ouailles, certaines n'y trouvent pas leur place.

Les autres, ceux et celles qui peuplent Poudlard et que mon être peine à croiser dans les couloirs, je ne leur adresse qu'un dédain manifeste.
Nul intérêt. Nulle ambition. Juste des indésirables.