Qui de mieux placer qu’un préfet ou une préfète pour faire régler l’ordre et la discipline à Poudlard? Et qui de mieux qualifiée qu’Aisleen Greengrass, capable de réciter le règlement par cœur depuis la première année, pour camper le rôle? Certains la disaient coincée, d’autres lui reprochaient sa quête de perfection et ses airs suffisants en lui donnant des surnoms princiers qu’elle détestait. Tant pis. On lui avait toujours dit que les règles existaient pour une bonne raison et que de les suivre coulait de source. Elle portait donc avec fierté l’insigne épinglée sur sa robe aux couleurs de Gryffondor, se montrant digne de la confiance du corps professoral depuis maintenant deux ans.

Et si elle suivait le règlement à la lettre, Aisleen ne faisait jamais de zèle… ou presque. Il est vrai que l’an dernier, lorsqu’on lui avait confié le titre pour la première fois, elle s’était fait un point d’honneur à viser certains camarades avec qui les relations n’étaient pas des plus cordiales. Lorsque l’occasion d’en envoyer un en retenue se présentait, elle prenait parfois un malin plaisir à le faire, le sourire du devoir accompli étirant ses lèvres lorsque pour toute réponse elle recevait doigts d’honneur et autres obscénités. Elle ne s’en formalisait pas, se disant simplement que le nombre de personnes qui semblaient avoir été élevés par des macaques augmentait toujours de façon effroyable.

Faire ses rondes n’était donc pas une corvée pour la Greengrass. Bien au contraire, se balader dans les couloirs et dans le parc de l’école alors que les couloirs étaient déserts avait quelque chose d’aussi excitant qu’apaisant. Elle ne savait jamais sur qui ou sur quoi elle tomberait, et aucune ronde ne se ressemblait. Si parfois elle était accompagnée, elle était bien souvent seule. Lorsque tous les préfets se réunissaient en début de soirée, Aisleen se portait souvent volontaire pour prendre le trajet qui passait par le parc et les serres. Il s’agissait de ses endroits préférés dans le château, alors pourquoi pas en profiter pour allier l’utile à l’agréable?

La balade nocturne de la préfète était commencée depuis une bonne trentaine de minutes lorsque cette dernière atteignit le grand bâtiment vitré. D’une main, elle ouvrit la porte et entra à l’intérieur. Toutefois, avant même de pouvoir profiter de l’odeur terreuse et humide qui embaumait les serres, elle remarqua du mouvement près de la plus grosse plante en pot la plus proche. Elle n’eut pas non plus le temps de demander à voix haute s’il y avait quelqu’un, car la coupable sortit de l’ombre pour se dénoncer d’elle-même. Aisleen haussa les sourcils, un peu surprise par pareil comportement, et plutôt ravie d’entendre son nom prononcé correctement, pour une fois.

Si l’Irlandaise n’est pas non plus la plus sociable ni la plus populaire de l’école, elle possède une excellente mémoire des visages et des noms. Et si elle est loin de connaître absolument tous ceux qui fréquentent le château, elle s’applique au moins à le faire pour les membres de sa maison. C’est important, en tant que préfète, de ne pas seulement s’en tenir à ses camarades de classe.

« Seraphina, que fais-tu- », commença-t-elle, avant d’ouvrir de grands yeux, voyant un grand tentacule pourvu de dents acérés s’avancer vers la brune, puis un deuxième, et ce qu’elle devina être une poignée d’autres bouger dans l’ombre. Elle sortit sa baguette et empoigna l’avant-bras de la septième année de sa main libre, passant derrière elle d’un mouvement vif. « Petrificus Totalus! »

Les tentacules se figèrent dans les airs, et la plante émit une petite plainte aigue pour bien indiquer son mécontentement. La rouquine posa ensuite ses grands yeux bleus sur les mandragores, baguette parée, prête à agir si jamais l’action soudaine avait mis fin à leur sommeil paisible. Pour son plus grand bonheur, elles dormaient encore à poings fermés. Elle se retourna alors vers la rebelle du soir, rangeant sa baguette.

« Tentacula vénéneuse… tu as eu de la chance de ne pas te faire mordre quand tu étais juste à côté d’elle, mais ton parfum a dû bien lui plaire… » Elle esquissa un petit sourire, puis pris un air plus sérieux. « Je vais retirer trois points à Gryffondor au lieu de cinq. Pour ton honnêteté. Ça me semble plutôt juste », annonça-t-elle en levant les yeux vers le plafond de la serre, réfléchissant à voix haute. Elle reporta ensuite son attention sur Seraphina. « À moins que tu ne sois venue ici pour être au calme ET pour venir récolter certains ingrédients pour préparer des potions pour de futurs mauvais coups? »

Même si elle avait les yeux légèrement plissés, son sourire n’avait toutefois pas quitté ses lèvres, signe qu’elle plaisantait. À moitié, du moins. C’était toujours prudent de poser les bonnes questions.

Avec une année complète d’expérience en tant que préfète sous la ceinture, Aisleen avait appris à déceler les véritables fauteurs de trouble des rebelles du dimanche. Il ne fallait pas beaucoup de perspicacité pour se rendre compte que sa camarade rouge et or appartenait à la deuxième catégorie. Elle ne doutait pas de sa sincérité, ayant bien du mal à s’imaginer la brune s’infiltrer dans les serres pour venir cueillir le nécessaire à la préparation de potions explosifs et d’élixirs aux effets indésirables. En plus, souvent, les vrais malfaiteurs avaient la fâcheuse manie de rouspéter lorsque des sanctions leur étaient données. Du misérable point aux heures de colle, rares étaient ceux qui opinaient docilement et qui se soumettaient à l’autorité de la préfète ou du préfet qui les avait pris la main dans le sac et qui avaient entravé leurs plans. D’ailleurs, maintenant qu’elle avait retiré ses points comme elle le devait, la rousse considérait que son rôle d’agent de la paix avait été bien rempli et qu’elle pouvait désormais en endosser un autre : la présence bienveillante.

« Là-dessus, je suis bien obligée de te donner raison », concéda la Greengrass en poussant un petit soupir. « La salle commune peut vite se transformer en véritable cacophonie, surtout quand Sparks et Hamilton décident d’en faire le théâtre de leurs idées saugrenues. On ne s’entend alors plus penser. »

Elle-même en avait fait les frais à maintes reprises. Les deux cinquième année étaient parmi les personnes les plus créatives qu’elle connaissait, ce qui, dans leur cas, n’était pas nécessairement un compliment. Se laisser porter par les intrigues de ses romans fantastiques et romantiques préférés devenait alors un vrai défi, et tout comme Seraphina, elle préférait de loin s’isoler dans un endroit paisible pour rêvasser et pour – fallait-il l’avouer – remplacer les héros principaux par Geoffrey et elle.

« Tu as bon goût, en tout cas », ajouta-t-elle après un petit moment, jetant un coup d’œil aux plantes plongées dans la pénombre. « Je crois que les serres figurent parmi mes endroits préférés du château. Si je pouvais, je passerais tout mon temps ici sans jamais me lasser. »

Doux euphémisme que celui-ci. Comme pour venir renforcer ses dires, elle ferma les yeux, son sourire s’agrandissant en prenant une grande inspiration et en se laissant bercer par les innombrables bruits qui parvenaient à son oreille, preuve que même la nuit tombée les serres étaient grouillantes de vie. Se rappelant toutefois d’un détail de la conversation, Aisleen rouvrit les yeux pour les braquer sur son aînée, croisant les bras.

« Eh bien sache que les rondes changent souvent, justement pour éviter que certains les apprennent par cœur. Nous les avons changés il y a deux jours. Je ne sais pas comment tu obtiens tes renseignements, mais tu n’as pas eu les bonnes informations à temps, malheureusement. »

Y avait-il un réseau d’informateurs à Poudlard? Se pouvait-il qu’un groupe d’élèves écoute aux portes? Ou alors un préfet de la brigade avait la langue bien pendue ou vendait ce genre de renseignements? Aisleen se fit une note mentale d’en toucher un mot à Niamh. Elle savait que la préfète de Serdaigle voudrait venir à bout de ces questions et mènerait l’enquête en bonne et due forme. D’autres auraient sans doute profiter du malaise manifeste de Seraphina pour l’acculer au pied du mur, lui braquer une lumière aveuglante dans les yeux et lui tirer les vers du nez, mais pas Aisleen – surtout pas quand elle avait devant elle quelqu’un qui n’avait transgressé les règles que pour son bien-être et qui n’avait jamais cherché à faire quelque chose de mal.

« Au fait, qu’est-ce que tu dessinais? Je peux voir? Si tu veux bien me montrer, j’entends. Je ne te retirerai pas les deux points restants si tu refuses », dit-elle en riant doucement, espérant que la septième année ne lui refuse pas cette chance, elle qui était toujours si curieuse.