disrepair

@Neodymius Ollivander

Mû par un pressentiment quelconque, il poussa la porte sans jeter un œil à la personne derrière. Sœur ou nièce, cela ne lui importait peu, ça ne les concernait pas. Comme il était connu - presque en loup blanc - on ne le rattrapa quand il se dirigea vers l'atelier du maître de maison. Les sifflements-ronronnements caractéristiques des sortilèges anti-intrusion s'intensifiaient alors que le sorcier approchait son but. C'était souvent synonyme que l'on arrivait pile au bon endroit - bien qu'Evarist connaissait le chemin pour ce but-ci - alors il les aimait presque et ce fut avec une pointe de délicatesse qu'il les fit taire. Du bout d'une chaussure vieillie, il gratta un symbole dessiné discrètement sur une plinthe pour s'assurer que les enchantements soient à reprendre du début. Il n'était pas venu depuis quelque mois, il y avait eu du relâchement.

En réalité, Evarist venait tout juste de rentrer en Grande-Bretagne. En témoignaient son visage moins pâle qu'à son habitude, deux-trois éraflures superficielles qui lui couraient sur la peau (il fallait voir l'état du géranium dentu qui lui avait servi d'adversaire) et les traits marqué de la fatigue lasse des longs voyages. Certains diraient qu'il était rentré vite, d'autres qu'il était resté longtemps ailleurs pour un homme qui avait perdu une épouse et à qui il restait deux enfants. Evarist ne disait rien, ouvrant plutôt la porte de l'atelier et les yeux bleus embrassèrent les objets familiers. Les flacons contenant mille essences, les tiges de bois déjà taillées ou presque. Pas l'ombre d'un être vivant cependant alors le brun prit une chaise et sortit un livre de la poche de son long manteau. Tête ne fut relevée qu'à l'entente des bruits de pas. "J'ai rêvé de toi l'autre nuit." Sans s'expliquer plus, il vissa l'azur dans le bistre et y chercha comme une réponse.

Yeux détaillèrent le visage, cherchant dans les rides du front une réponse. Rien ne lui vint hormis le constat d'une barre supplémentaire qu'il s'imagina suivre du bout des doigts. Peut-être qu'ainsi, il aurait enfin une date. Les songes n'intéressaient pas Neodymius, Evarist souhaiterait qu'ils cessent. Dormir et ne rêver de rien. Pas de mort, pas de cri, pas de la vision de son lui plus jeune que l'on découpe. Pas celle du corps désormais marqué par les années basculant en arrière devant l'azur impuissant. Vision charmante qu'il dirait tout haut mais vision qui se répétait ad nauseam, creusant les cernes.

L'artisan s'affairait à faire semblant alors brun rouvrit son livre, remonta les lunettes sur son nez, passa une main dans ses cheveux pour déranger les mèches. Invité indésirable mais invité quand même, parierait presque qu'il ne serait pas chassé tout de suite. Il fut un temps où les cauchemars étaient consolés - comme de simples cauchemars d'enfant mais jamais il ne s'était étendu sur le type d'onirisme qui le hantait -, le temps était révolu. Amertume avait pris toute la place et peut-être que oui, il aurait pu ne rien dire. Mais quelque part, il voulait que Neodymius sache. "Je ne sais jamais si tu les lis." Evarist en envoyait quand même, de temps en temps en cours de périple, aux portes d'un danger décrit en quelques lignes alambiquées, avec la promesse qu'une autre missive suivrait bientôt. Puis il n'envoyait plus rien, réapparaissait un jour dans l'atelier, rangeait par couleur les bocaux soigneusement triés et la scène recommençait.

L'odeur des lieux sentait le bois, les potions de conservation, le cigare que Neodymius fumait parfois et d'autres choses qu'il n'arrivait pas à trouver désagréable. Brun se laissa aller contre le dossier de sa chaise, tourna une page, se frotta machinalement la joue blessée. Il pourrait presque s'assoupir au son des gestes répétitifs. "Hypatia m'a dit que cela faisait longtemps que tu n'étais pas sorti" mentit-il. Il suffisait d'humer l'air de la pièce.

Une pointe de satisfaction le sortit un peu de son brouillard. Qui ouvre mais ne lit pas ? Maigre victoire mais victoire quand même alors il sourit un peu derrière son livre, rata des lignes, reprit son paragraphe du début et bientôt ne lut plus du tout. Concentration était allée ailleurs, fronçant légèrement ses sourcils. "Tu es toujours occupé." Réminiscences de gamin déçu quand le modèle déclinait les invitations, toutes droit sorties de l'époque où ils étaient trois. Quand tout n'était encore qu'espoir.

Pupilles ciel vissaient sur l'homme en mouvement, il retint sa respiration comme s'il pouvait l'effaroucher d'un souffle. A croire que c'était lui plutôt que Neodymius qui marchait sur des œufs. "Ce n'est rien, tu sais ?" murmura Evarist, les lunettes pourtant déjà ôtées, le livre lui glissant presque des mains. Il se fit statue et ce fut lui qui eut envie de fuir sans pouvoir bouger. Il ne voulait pas que sa vision se réalise, il en était sûr à cet instant. Parfois il l'était moins, ce serait comme arracher un pansement présent depuis si longtemps que la peau l'avait absorbée. Les paupières vacillèrent à mesure que l'autre approchait. Main calleuse d'artisan contre peau brunie par les rayons. "Je sais où on pourrait aller" ajouta-t'il, se surprenant à prier de ne rien gâcher.

Oui, il s'était regardé et peut-être n'avait-il rien fait pour que cela lui serve d'appât. Ou n'avait pas pris le temps, jugeant l'urgence autre. Neodymius était à ses pieds, frissons retenus, yeux baissés sur lui. A le dévisager sous un jour trop rare. A se retrouver hésitant sur un planisphère trop parcouru. "Tu verras bien." Lèvres s'étirèrent en sourire mutin avant que la moue ne redevienne sérieuse, concentrée sur les doigts courant sa joue, ne sachant pas trop si il voulait les voir s'égarer ou non. L'odeur recouvrait presqu'entièrement celle de l'atelier et Evarist entreprit de deviner les plantes étalées pour ne pas trop penser au souffle sur sa peau. Mots lui effleurèrent l'esprit mais il les ravala, reculant son visage quand les secondes commencèrent à se faire longues.

Lunettes remises sans remerciement - il n'avait rien demandé - et il se releva d'un même mouvement. Main vint se saisir de l'onguent pour en regarder la composition, non sans effleurer la peau de son propriétaire. Il fallait agir vite, ne pas lui laisser le temps des excuses. "Tu es prêt, hein Neo ?" Défi glissé dans chaque lettre. C'était lui le frêle des deux, celui qu'il ne fallait pas brusquer de trop, celui aux égratignures et aux cauchemars vivaces. Celui qui ne voulait pas de la sempiternelle guerre maintenant tout de suite. Quoique là ils étaient peut-être deux.

Livre fut rangé dans la poche de son manteau éliminé par les ans qu'il épousseta d'un geste machinal. Un coup d'œil fut jeté à la ronde, comme pour s'assurer qu'il n'y avait aucun travail urgent en cours. "Tes boîtes sont suffisamment alignées." Remarque sur la pâleur des traits fut retenue : ne pas aller trop loin pour la trêve.

Onguent glissé dans la poche, au cas où. A côté du livre aux marges noircies de relecture et des lunettes. L'aventurier n'était pas myope (sauf peut-être au plus évident) et le palpitant s'emballait déjà à l'idée du grand air, à celle de l'éternelle fuite. Un œil amusé observa la précipitation des gestes de son compagnon de voyage, ne lisant que trop bien en lui, enviant le beau manteau un instant. Il pourrait le demander qu'il l'aurait certainement. Mais les Nott ne mendiaient pas et Evarist ne perdait pas. Trop d'offres généreuses avaient été faites pour s'abaisser à y céder. Vieux pardessus éliminé suffirait bien, runes brodées aux doublures pour contrer morsures du froid - vulgaire placebo aux fils arrachés -, odeur rassurante des périples dont il était toujours rentré.

Neodymius sonna le départ alors brun s'avança. Le trajet était connu : le petit couloir glissant dans lequel les enfants d'hier et aujourd'hui avaient couru, la porte que l'on dépassait trop facilement sans voir, son grincement mélodieux, la petite cour pavée. Un bras tendu - jamais la main - pour que l'autre s'y accroche, un battement des cils pour se remémorer les lieux et tout tournoya.

Froid les cueillirent à la gorge, à en faire regretter de ne pas avoir le goût pour les broderies. Souvenir d'un temps plus doux - non évoqué à haute-voix -, de moins de neige. Crissements à chaque pas, yeux azur embrassèrent le paysage dans son ensemble. Les monts au loin, la forêt encore verte sous la poudre immaculée, le lac à perte de vue. Silence régnait en maître ou presque - parfois un arbre s'ébrouait, dérangeant un oiseau - et Evarist s'y perdit un instant, oubliant jusqu'à l'homme à ses côtés. L'était-il vraiment ? Parfois il se disait qu'il rêvait.

Ancre personnelle ou boulet à son pied, la voix le fit revenir sur terre. Evarist battit des paupières, s'arrachant à la contemplation, air rêveur jusqu'au sourire mélancolique. Quand était-il venu ? Cela lui paraissait lointain "Il y a quatre ans ? Peut-être cinq." Ou juste deux mais c'était avant, quand Mercymorn était encore là. Il ne voulait pas y penser. La demeure sans elle, la tombe à fleurir, la haine à cultiver contre l'homme qu'il ne pourrait jamais détester vraiment. Il le détailla du regard, presque surpris par les cheveux gris alors qu'ils symbolisaient déjà une victoire (mais à quel prix).

Brun se mit en route, prit le petit chemin que l'on devinait à peine sous la neige. La poudreuse les entourait en matelas glacé et il résista à l'envie d'y plonger la main. Le froid l'arracherait aux restes du rêve, rendant l'autre indésirable quand, pour l'instant, la fumée sortant à chaque expiration montrait que ce n'était pas la dernière. "Il n'y avait pas de lac avant, juste une vallée inondable au cœur duquel des sorciers avaient construit un somptueux palais' commença-t-il, voyant laissant place au conteur du passé. "Un jour, on vint les voir pour les prévenir que tout allait être inondé, qu'il fallait fuir au plus vite. Mais ils n'avaient connu que ce pays-là et ne voulaient pas laisser leurs biens derrière eux. Alors ils construisirent un dôme étanche pour les protéger de l'eau et quand ils furent ensevelis, ils remarquèrent qu'ils ne pouvaient pas en sortir. Ainsi sombrèrent-ils dans l'oubli, avec toutes leur richesse." Jusqu'à ce que les banquiers entendent parler de l'or et envoient Evarist et d'autres crever le dôme, piller allégrement jusqu'aux bagues encore aux doigts.

Il ne précisa pas cette partie là, avançant encore vers le lac. "Il y a une maisonnette pas très loin, on pourra y passer la nuit." Cabane en ruine plus qu'abri, de quoi redonner goût à Neodymius à l'air vicié de son atelier (comme s'il s'en était lassé un jour).

Eclat de rire bref étouffé par la neige, une tape dans le dos de l'artisan, toute droit sortie d'un autre temps (c'était geste de Rhodius sur les épaules des autres, que très rarement le sien en singerie maladroite). "Plonger dans un lac glacé te tente mais tu mets la limite à l'hypothétique cohabitation avec deux pauvres mulots transis de froid ? Les risques de peste sont infimes Neo." Sourire montait jusqu'aux yeux clairs, heureux d'être ici, heureux que l'autre réclame la baignade, heureux d'être en vie finalement. Souvenir de Mercymorn fut relégué aux oubliettes, carpe diem et autres niaiseries du style mis à l'honneur (et à jamais inavoués), il mena l'ami jusqu'au bord du lac, contempla la surface gelée avant de la tâter du bout des pieds.

"On a largement le temps avant que le soleil se couche." Il sortit mains et baguette cramoisie de son manteau. La plongée n'avait pas été prévue mais Evarist préférait mourir plutôt que paraître surpris. D'un geste sec, il dégela une portion du lac suffisamment grande pour que l'on puisse s'y glisser, révélant l'eau limpide qui clapotait sous la couverture de glace. Un sortilège pour le froid, un autre pour respirer, rien de trop sorcier jugea-t-il, mettant de côté l'éventualité des pièges subsistants. La cité avait été pillée et le reste laissé aux poissons. Seule l'architecture devrait avoir subsistée, reflet de splendeur d'antan (assez Nott finalement). "Toujours partant ?" demanda-t-il alors même qu'il avait déjà ôté son manteau et s'attaquait  aux boutons de sa chemise Oxford.  

Hochement de tête, coup d'œil au bois de teck dont les corvidés fidèles au poste n'avaient pas vieilli d'une plume malgré les années. "Elle est censée ne plus convenir ?" demanda le brun, presque surpris par la question. Si il avait cru Neodymius au début, l'absence d'usure tendait à démontrer que la baguette n'avait pas été taillée en cinq minutes montre en main avec des oiseaux pré-gravés. Quant à la phrase... Il n'y pensait tout simplement pas, après tout qu'est-ce que connaissait l'autre au latin ?

Chemise rejoignit manteau, dévoilant le torse zébré de cicatrices à l'ancienneté variable. Lot du métier lui valant un dossier épais à Ste Mangouste car tout n'était pas soignable d'une couche de baume appliqué par des doigts presque trop tendres et éventuellement superflue. La joue guérirait de ses balafres, ne laisserait que le souvenir de la peau brûlante sous la pulpe. Idée du bain d'eau froide devint salvation alors que les pensées d'Evarist dérivaient devant le trop bien de la situation. L'orage reviendrait - Nott le devinait, latent, et il avait le visage de Mercymorn -, espérer plus que des miettes de trésors oubliés ne servait à rien. Il rit, hocha la tête de nouveau, hésita à faire une remarque sur son toit à réparer avant de se raviser. Un coup à recevoir un chèque de bon samaritain qu'il jetterait au feu sans même y penser deux fois. "Tant que ce n'est pas le quelque chose qui nous trouve !" surenchérit plutôt, mine goguenarde.

Chaussures et chaussettes enlevées à leur tour, l'œil s'égara un instant de trop sur la silhouette dépourvue des beaux habits habituels, le plongeon suivit, achevant de couper le souffle. Le froid perçait à travers le sortilège, pas à geler jusqu'aux jointures mais présent si l'on ne nageait pas assez vite. Les rayons du soleil frappaient fort sur le lac, illuminant jusqu'au fond descendant en pente douce vers toujours plus bas. Il fallait parcourir quelques centaines de mètres de longueur pour discerner les premiers vestiges, là plus qu'à descendre à pic. Ce qu'il fit non sans vérifier trois fois que Neodymius suivait bien.

>10. Tout se passe bien.

Noyé dans le boulot à en faire ses escapades. Ou l'inverse. Mais celle-ci avait déjà un autre goût que celui de la simple aventure et - après n'avoir que trop regardé par-dessus son épaule - il n'osait plus tourner la tête de peur de ne plus rien trouver. Evarist continuait donc à avancer, résolument, vers la cité engloutie. Œil surnuméraire n'indiquait aucun trésor qu'il n'aurait pas déjà frôlé mais qu'importait. Neodymius voulait voir alors il verrait et peut-être qu'un instant, cela lui ferait entrevoir autre chose que son atelier sans autre horizon que les fagots de bois nobles.

Sous l'eau, le silence se faisait moins lourd, étouffé comme les bruits. Moins voulu que subi, sans aucune guerre sous-jacente (et pourtant), sans œillades démesurément assassines, presque reposant. On se surprenait presque à rêver de reprendre le palais, de s'allonger sur le trône, voire de le partager en Edouard II moins l'incompétence.

Ou avec. Azur quittèrent les rues englouties pour l'ami assiégé, s'arrondirent un peu en croisant le regard de l'assaillant. Le sort fusa, droit, irréfléchi. Un peu trop loin comme pour ne pas risquer une autre cible. Le sable prit le coup, vira - action du remous - nuage de vase gigotant d'autres créatures semblables à la première (dents pointues, yeux perçants, amatrice de l'odeur du sang).

1-10. sauvetage raté
11-30. blanc chevalier
31-60. autre soucis
61-100. neo est autonome (?) et la voie est dégagée  

La pique ne lui tira qu'un haussement de sourcils alors que les yeux attirés par le rouge fixait l'anguille (?) toujours accrochée à la cheville. Il s'en voulut presque de l'avoir mené du confort de son atelier au danger - instant faiblesse - avant que la liste des griefs ne lui revienne. Neodymius pourrait crever mangé par les créatures qu'Evarist s'estimerait à peine vengé de ses tourments. Mais vendetta était loin de ses plans, voyant préférait souffrir encore plutôt que de se détacher de l'autre, chérissait leurs lunes dont le miel n'avait jamais été au mieux qu'aigre-doux.

Baguette fut de nouveau levée pour réparer ses bévues, face au grouillement bestial bientôt tranché par un autre, le geste se suspendit dans le temps, la formule ne vint jamais. Vision de l'ichor en appelant d'autres, ballotement de l'eau favorable à la dérive vers des contrées à l'onirisme trop réel dans lequel il se perdait. Le bras se relâcha, les yeux se troublèrent et un instant, il ne fut plus tout à fait là. De son Illiade, Ollivander avait toujours été le talon, le laissant incompétent, rêveur et que trop vulnérable. A ne même pas sentir les crocs se refermer sur sa chair, à entrevoir le monstre suivant, plus massif, aux dents suintant de venin, qui viendrait de l'est s'ils ne se dépêchaient pas.

1-25. blanc chevalier
26-50. cavalier seul
51-75. achille & patrocle
76-100. zoltar défectueux