disrepair

Sortie de l'eau au pas sec, agacé presque de la tournure des évènements. Aurait voulu brillé pour la galerie, s'était retrouvé à presque se noyer dans un verre d'eau. Ou un lac, qu'importe. Quelques égratignures sur le derme, rien par rapport à l'égo en miettes. Ollivander aurait raté une baguette sous ses yeux que le brun se serait fendu d'un sourire plein de dents. Là, rien. Au contraire, Neodymius avait l'air des bons jours malgré les crocs plantés dans les mollets, achevant de culpabiliser le cadet. Chemise fut remise tout comme le pardessus éliminé, les mains enfoncées dans les poches pour qu'elles s'y réchauffent un peu. A l'instar de l'humeur au contact de l'aîné, rayonnant presque de sa balade, contagieux dans son allégresse (presque niais). Ils prirent le petit sentier vers leur gite dont la porte s'ouvrit sans un grincement (bon présage ?).

Evarist connaissait le ton des reproches - habituelles, presque réconfortantes : leurs absences voudraient dire qu'il en aurait fini avec lui -, connaissait le regard aussi. Les lippes s'étirèrent en sourire en coin, un peu narquois, un rien trop tendre alors qu'il s'agenouillait auprès de son blessé, remontant le pantalon au tissu que trop soyeux pour être plongé dans des eaux gelées. Le baume volé fut sorti de la poche, plus utile là que sur les égratignures qui couraient sur sa joue et les doigts trempèrent dedans avant de se poser le long des morsures. Sourcils légèrement froncés trahissaient l'application alors que l'azur tirait sur le pétillant (pas tout à fait mais presque). "Je pensais que tu serais au goût de la créature du lac mais que veux-tu, elle doit préférer la chair fraîche. Jamais je ne me débarrasserai de toi..." Cela sonnait trop comme un serment alors il rabaissa l'étoffe d'un geste sec. "Comment pourrais-je te tourmenter si je te tuais ?"

Les yeux fixaient l'ailleurs avec intensité, la suite de la réponse fut tue (il mourrait avec Neo) et Evarist se releva, tournant les talons comme pour remettre de l'ordre dans leur abris. Il n'y avait rien à ranger. Un enchantement avait maintenu en état le mobilier réduit au strict minimum et les le placard laissé entrouvert ne dévoilait qu'une ration militaire affectionnée des briseurs de sort et une bouteille sans étiquette dont il se saisit. "Viens, le soleil ne va pas tarder à se coucher" ordonna-t-il, bien décidé à ce que Neodymius ne rate pas une seconde de clarté. C'était que son teint criait le manque de vitamine D et d'air frais et que le banc (orienté ouest) juste devant la cabane offrait une vue plongeante sur les environs. Pas de jolis verres en cristal pour cette soirée, juste le goulot poussiéreux et l'alcool brûlant. Evarist en prit une longue gorgée pour se réchauffer avant de tendre la bouteille à son acolyte. "Qu'est-ce qui t'occupes tant en ce moment ?" Presque un murmure, en écho à la discussion d'avant départ, en manière détournée de prendre des nouvelles après des mois sans mots.

Au mot divertissement, il n’avait jamais vu la trogne de l’Homme, définition même de bien d’autres termes pourtant. La sensation sous ses doigts survivait encore (toujours) et il s’en était détaché juste dans un sursaut qu’il avait nommé honneur (ou quelque chose du style). Pourtant il en restait collé, pas par les pognes cette fois mais juste par le frôlement et son alliance à l’annulaire lui parut bien vaine. Des années pour contempler au final une mort sans panache. Qu’il avait pu voir sans décrypter. Qu’il avait compris à posteriori. Troisième œil clair que pour son nombril dont le nom coulait sur sa langue en trois lettres enrobées avec que trop de miel aux relents désespérés. Trois lettres qui en avaient pris le collant aux vues de comment il y revenait, de comment il restait suspendu à la moindre esquisse de rictus.

De sa bouche s’échappa un léger rire. En rêve - ceux éveillés car les autres ne se soumettaient aux règles ordinaires - l’entropie des boites alignées tutoyait les records. Evarist s’y voyait presque à la batte, à dégommer les forteresses que l’autre avait bâtit. Tabula rasa et l’union ferait le reste. Ou le carnage, à voir (il n’avait pas vu). Et la survie et l’artisan lui semblaient toujours sur le fil.
Un rêve.
Deux
Trois de trop.
Il ne pouvait se le permettre. Il ne voulait que rien ne survive à Neodymius, que Neodymius survive à tout. Que ses sourires trop rares soient les derniers jamais esquissés. Pour ne pas souffrir encore. Il lui prit la bouteille entre les mains, peau contre peau (encore). Evarist réalisa à quel point il avait froid, à quel point il était seul. Mercymorn ne reviendrait pas, les excuses qui en découlaient ne marchaient pas et il sacrifierait ses héritiers sur le temple des Ollivander (ou les donnerait tout simplement, en mère devant Salomon) si l’héritage de la dynastie tenait tant à l’autre. Il aimait aussi le panache du point final d’un empire, le tut.

Il prit une gorgée.
Deux.
Trois de trop peut-être.
L’alcool lui brûlait l’œsophage. Il y avait dix ans de cela, il aurait peut-être su dire ce qu’il y avait dans la bouteille. Là, il s’en fichait et l’ivresse n’était même pas encore présent. Juste la morsure des gelées, le goût du sang dans la bouche, les ruines en tête. Il se voyait glisser entre ses lèvres une cigarette pour se donner contenance, sa main - plutôt que d’aller la chercher au fond de ses poches - préféra tomber sur le genou de l’autre. Comme une évidence, il se pencha. Au début assuré, au milieu hésitant, à la fin rien de plus qu’un frôlement de lèvres, presque redevenu à l’adolescent. "Excuse moi" souffla-t-il, sans préciser pourquoi. La main était toujours posée, les yeux vissés à ceux de l’autre. Presque troubles à ne plus voir à quoi s’attendre.

Sensation de brûlure sur les lèvres, tout le long de la trachée, jusqu'au bout de ses doigts, foutu alcool, foutu froid. Elles s'étirèrent quand même, mi rictus amer, mi autre chose, face aux excuses balayées si rapidement que l'on pouvait douter qu'elles aient existé. Tant mieux, Evarist les regrettait déjà. Elles avaient été faites dans des lettres et des lettres, toutes restées inachevées, toutes préférées à des déclaration de haine voilées devant lesquelles Chimène pâlirait. Des testaments déguisés au cas où il ne retrouverait pas son chemin jusqu'à l'atelier sentant le renfermé et le bois. Dont le maître des lieux était aussi celui de son âme.

Et il lui saisissait la main, lui baisait la paume et la mine du voyant ne frémit presque pas. Il ne voulait pas de ça (n'avait aucune idée de ce qu'il voulait vraiment, comme il n'avait aucune idée de pourquoi il l'avait embrassé là), la tendresse semblait papier de verre sur sa peau à mesure que les années avançaient. Elle ne mènerait à rien et ne resteraient que les éternelles écorchures qui survivraient longtemps aux joues et mollets éraflés.

Azur accrocha l'or blanc alors que la pulpe le frôlait et la culpabilité vint par vague. Avant de se dissiper à la voix de Neodymius, murmures effaçant les traits de Mercy comme ils les avaient toujours fait. "Je ne rentre jamais vraiment" dit-il, tout aussi bas. Ici, il se sentait presque chez lui pourtant. Il retira sa main, presque timide avant de lever les yeux au ciel, de pointer le doigt vers une première étoile annonçant les constellations. Le ciel était dégagé, la nuit promettait d'être glaciale mais depuis qu'Evarist s'était approché de Neo, il ne craignait plus qu'un seul type de froid.

Les serments s'étaient ternis, restaient pourtant. Evarist savait pourquoi, se réjouissait d'être fidèle au poste (car cela voulait dire que Neodymius était encore là, à risquer de finir comme un homme hors course depuis longtemps). Il ne répondit rien - on ne répondait rien aux faits - préféra allumer une cigarette et la première bouffée irrita plus que ne réchauffa sa trachée.

La fumée se mélangeait à celle de son souffle, azur suivit leur course vers les étoiles, les envia un peu. "Il faudra revenir à la bonne saison, on peut y voir des aurores" marmonné. Cela serait sans doute un spectacle moins ridicule que lui dans le lac. Soupir, gorgée d'alcool, aurait peut-être du rester à ses bouquins (ou auprès de ses fils qui lui reprochaient toujours plus ses absences). Les yeux se fixèrent à Neodymius en mouvement, suspendus à la courbe de ses lèvres, à la recherche d'ombres de sourires auxquelles il n'avait plus vraiment droit.

Ce fut lui qui sourit finalement. Rien d'accessible aurait été vérité trop amère. Le temps, les remarques, le reste avaient mis à mal toutes ses illusions. Evarist continuait pourtant, les miettes n'étaient pas si mal, l'atelier lui était toujours ouvert (ou du moins la porte s'en forçait facilement). "Aujourd'hui ? Juste que tu vois ça." Il désigna le ça du bout de sa cigarette. Le lac éclairé par la lune, les montagnes qui les encerclaient, la neige à s'en lasser, les étoiles. "Et toi Neo, qu'est-ce que tu veux ?" Il n'avait qu'à le dire et ce serait sien.

Le regard résolument fixé aux volutes échappant de sa bouche. Fumée devenait présage, il ne prit pas la peine de les décoder. Les étoiles au ciel suffiraient (et Evarist ne voulait pas son esprit embrumé). Peut-être un peu tard pour ça. Les joues avaient rougi et il accuserait volontiers le froid. Les pans de son manteau furent resserrés, n'arrêtant aucun frisson. Il ne s'en plaignit pas, sentir encore les morsures glacées signifiait bien qu'il était vivant.

La réponse le surprit (pas qu'il ait attendu un vrai désir, pudeur - ou crainte d'aveu de faiblesse ? - régnait en maître) et arracha un nouveau sourire ainsi qu'un bref éclat. Les yeux raccrochèrent à l'homme, presque doux. "Jamais je ne te forcerai à quoique ce soit." Qui serait-il pour imposer sa volonté, lui qui ne ployait le genou devant rien si ce n'était ses principes (liberté en maître mot annonçait-il à qui voulait le croire). Exceptions faites des prochaines excursions vers le lointain où Neodymius serait bien obligé de le suivre, de celle de ne pas mourir sous sa garde.

La bouteille fut récupérée des doigts de l'autre, il en sentait de nouveau la chaleur, s'en éloigna pour ne pas s'y brûler. Le silence les enveloppa de nouveau et Evarist le laissa courir. Mots n'étaient qu'artifices pour trop se blesser (pour souffler sur de méphitiques braises). Le niveau de la bouteille descendit peu à peu, pas que de son fait. La silhouette continua à frissonner, insensible aux remèdes de l'alcool mais il ne rentrerait pour rien au monde. Ce serait s'avouer vaincu et troubler l'instant. La vision de Neodymius se découpant entre nuit noire neige d'albâtre et s'évaporerait alors, en énième chimère trop rêvée.