Girls just want to have fun ✦ Aisleen & Orphea

« Ma mère me tuerait sur place si elle me voyait. », gloussa joyeusement Orphea en suçant de plus belle sa plume en sucre.

Ce constat peu réjouissant ne semblait pas perturber la jeune fille plus que de raison. Les friandises et autres douceurs au glucose étaient peut-être un tabou indépassable entre les murs du manoir familial, mais au fin fond de l’Écosse, au milieu des collines verdoyantes et des lacs d’eau douce, les réprimandes appuyées de Lydia Sinclair perdaient de leur pouvoir mystique. Bien loin des jupons maternels, la découverte d’Honeydukes avait enchanté la jeune Serdaigle qui ne s’était pas faite prier pour commettre un hold-up.  Douze patacitrouilles, trois paquets de dragées surprises de Bertie Crochue, cinq bulles baveuses, sept chocoballes et deux plumes en sucre rescapées constituaient le butin précieux d’Orphea Sinclair, qui était ressortie de la confiserie avec une généreuse réduction de 15 % sur ses achats.

« Tu dois savoir ce que c’est, non ?, demanda t-elle à l’attention de l’adolescente aux boucles rousses flamboyantes qui l’accompagnait. C’est toujours les mêmes rengaines. »

Puis, imitant les lèvres plissées et le ton solennel de sa mère, elle ajouta gravement :

« Dix secondes dans la bouche, dix ans sur les hanches ! »

Elle poussa l’effronterie jusqu’à ponctuer sa caricature d’un rire moqueur. On l’avait traitée d’insolente pour bien moins que ça, par le passé, et elle ne doutait pas que le futur regorgerait de nouvelles occasions de se faire sermonner. Cette certitude la laissait étrangement de glace. Orphea n’avait pas ri de la sorte depuis des semaines et peut-être même des mois, en y réfléchissant bien. Les occasions de se réjouir n’avaient pas été nombreuses depuis le début des vacances. Beaucoup de ses anciennes amies étaient toujours à Beauxbâtons – loin des yeux et loin du cœur, comme le voulait l’adage. La jeune fille en était réduite à espérer qu’on ne l’oublierait pas trop vite, ce que tolérait assez mal sa fierté écorchée. Bien sûr, elle avait placé beaucoup d’espoirs dans la venue d’Ambre à Poudlard, mais les choses avaient pris un tournant bien plus sinistre que ce qu’elle aurait pu imaginer… Celle qui était encore sa proche confidente quelques semaines auparavant en était venue à maudire l’air qu’elle respirait ; triste conclusion pour une histoire qui ne faisait que des perdantes. À l’issue de ce fiasco, il lui restait Louis. C’était un gentil garçon, agréable à l’œil et à l’oreille. Agréable, certes, mais pas exactement suffisant.
S’il lui fallait sortir ses plus grands sourires et ses plus belles minauderies pour conquérir ce trou à rats sombre et humide qui se faisait appeler « école », elle le ferait sans pleurnicher. Aucune flatterie n’était trop basse pour arriver à ses fins, mais force lui avait été de constater que ses charmes n’avaient été d’aucune utilité pour s’attirer les faveurs d’Aisleen Greengrass. En vérité, il avait suffi aux deux adolescentes d’échanger quelques banalités bien senties durant un cours d’Histoire de la magie pour s’apprivoiser dès les premiers instants. Orphea ne pouvait qu’estimer la facilité de leurs échanges, qui, elle le croyait, tenait à leur compréhension mutuelle. Aisleen avait pour elle une grande lignée, une éducation sans fausse note et des valeurs familiales strictes à honorer. À tous les égards, elle était une alliée précieuse qui connaissait déjà tout de sa situation sans qu’elle n’ait rien à lui dire. Elles jouaient dans la même cour, s’accommodant des mêmes règles officieuses et des mêmes exigences rabâchées depuis l’enfance. Parfois, Orphea se retrouvait dans l’héritière des Greengrass comme dans un miroir déformant.  Elle voulait croire que leur relation s’annonçait des plus fructueuses, ayant toujours entretenu de très bons rapports avec son reflet.
Tout naturellement, elle avait accepté de bon cœur lorsqu’Aisleen s’était proposée de lui faire visiter Pré-au-Lard durant un beau samedi de septembre. L’excuse était toute trouvée pour passer l’après-midi entre filles, et Orphea devait bien admettre que le petit bourg avait quelque-chose d’assez pittoresque. Ou peut-être était-ce seulement le fait de s’éloigner du château qui l’exaltait autant ? Les épais murs de pierre avaient le don de la rendre claustrophobe et elle comptait bien profiter de son évasion pour encore quelques heures.
Son paquet de sucreries bien calé dans une main, l’adolescente s’accrocha au bras de la Greengrass.

« Alors, quelle est la prochaine étape ? »

Plusieurs choix s’offraient à elles, et bien qu’Orphea fût certaine de s’accommoder de chacun d’entre eux, sa voix se fît on ne peut plus sérieuse :

« Attention, la responsabilité qui t’incombe est grande ! Tu es la capitaine de cette expédition et je m’en remets entièrement à toi. »

Seul l’éclat brillant de son regard trahissait son amusement – à moins, bien sûr, qu’elle ait juste eu un peu trop de sucre dans le sang.  

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À bien des égards, Aisleen Greengrass était une source de curiosité intarissable pour Orphea. Il y avait quelque-chose d'infiniment intrigant chez la jeune Gryffondor qu'elle ne croyait jamais avoir entrevu chez aucune de ses compagnes par le passé. Ambre était troublante à sa manière, bien sûr... mais elle ne lui avait jamais donné le sentiment d'étrangeté qu'elle associait à Leen depuis les premiers instants. Cette fille tenait du paradoxe, à la fois familière et parfaitement inconnue. Elle lui avait encore une fois offert la preuve des similarités qui unissaient leurs parents et leur éducation, et pourtant, leurs attitudes n'auraient pas pu être plus contradictoires. Orphea n'avait pas manqué de noter le sursaut de l'adolescente lorsqu'elle avait pris son bras, tout comme elle n'avait pas perdu une miette de la confusion qui avait traversé son regard pâle. L'ancienne étudiante de Beauxbâtons savait qu'aucune de ses vieilles amies n'aurait prêté la moindre attention à un geste si anodin. Les mœurs britanniques étaient-elles si différentes ? Devait-elle s'attendre à ce que tous les élèves se montrent aussi... réservés ? Bien sûr, seul le temps et l'observation lui offriraient ses réponses. Après tout, il aurait été malvenu de demander à Aisleen si elle s'estimait plus coincée que la moyenne...
Comme de coutume, Orphea ne laissait rien paraître des indiscrétions qui agitaient son esprit. Elle continuait à sourire et à se pendre au bras de sa comparse, attendant patiemment que la jolie rousse choisisse leur prochaine destination. Cette dernière sembla considérer la question un moment avant de se décider à parler :

« J’ai cru comprendre que l’écriture était l’une de tes passions, suggéra t-elle pensivement. Enfin, quelqu’un qui a des plumes aussi belles et raffinées que les tiennes ne doit pas se contenter de n’importe quel instrument pour écrire. Si je ne me trompe pas, alors le prochain arrêt devrait te plaire »

Le sourire de la française s'élargit encore davantage.

« Merveilleux !, s’enthousiasma t-elle avant de croquer une dernière fois dans sa sucrerie. Je te suis à la trace. »

Orphea devait bien reconnaître qu'en dehors de son étonnante pudeur physique et morale, Aisleen était une amie on ne peut plus prévenante. Ce n’était certainement pas un garçon qui aurait mis à profit leur première conversation pour lui faire plaisir – s’en serait-il même souvenu ? Qui plus est, elle appréciait réellement l’attention. La jeune Sinclair ne retournerait pas de sitôt dans son habituelle papeterie parisienne, hélas, et elle ne voyait pas de raison de ne pas donner sa chance à une autre boutique – laquelle serait certainement très romanesque.

« Pour ton information, reprit Aisleen tandis qu’elles dérivaient vers l’avenue principale, nous nous trouvons dans un village entièrement habité et fréquenté par des sorciers. Aucun moldu ne se balade ici. D’ailleurs, il aurait été fondé à la même époque que Poudlard, justement pour fuir ces derniers. »

Elle ne pût retenir un rictus, frappée par le ton scolaire de la Greengrass. Lorsqu’elle s’y mettait, l’adolescente pouvait converser comme un livre d’Histoire. Cela avait un certain charme, bien sûr, et qui était-elle pour juger ? N’aurait-elle pas voulu trouver quelqu’un pour écouter ses longues considérations sur le philtre de Mort Vivante et les meilleurs dosages à appliquer ? Midas n’avait pas semblé très réceptif quand elle avait débattu avec lui du grammage de l’ardoise et s’était, de fait, vite assoupi entre ses seins.

« Avez-vous quelque chose d’équivalent en France ? »

Orphea fronça le nez, réfléchissant très sérieusement à la question. Connaissaient-elles des villes entièrement dédiées au monde des sorciers, invisibles et inaccessibles aux yeux des non initiés ? Si de tels endroits existaient, personne n’avait jugé bon de l’en informer. D’autant qu’elle s’en souvienne, elle n’avait jamais entendu que des discours patronisants à l’égard de la société moldue française. L’aristocratie puriste du vieux continent n’avait pas semblé craindre leur interférence depuis bien avant sa naissance. C’était, tout compte fait, presque un jeu de s’approprier leurs espaces en toute impunité – comme voler la tétine d’un bambin impuissant.

« Pas que je sache, non, répondit finalement la Sinclair. Mais il y a des espaces plus grands que des villes dont les moldus ne soupçonnent même pas l’existence. Prends la forêt de Fontainebleau, par exemple. Ils n’en voient que le tiers ! Le reste est une réserve magique protégée – idéale pour les balades à dos de pégase, tu peux me croire. Oh, et ne me lance même pas sur la forêt de Brocéliande ! Les pauvres amours croient avoir tout exploré quand ils n’ont rien de plus qu’un bosquet... Ils ne s’imaginaient tout de même pas qu’on allait leur laisser le rocher d’Excalibur ! »

Les lèvres fendues en un sourire suffisant, Orphea secoua la tête comme s’il était absurde de passer la moindre seconde à explorer cette idée. Elle estimait n’avoir rien de plus à ajouter sur le sujet lorsque ses yeux noirs se posèrent sur l’échoppe devant laquelle Aisleen les avait arrêtées. Son regard passa de l’écriteau qui annonçait « Scribenpenne » en lettres noires un peu passées aux présentoirs minimalistes derrière les fenêtres, sobrement agrémentés de vieux parchemins et de plumes de faisans surélevées par des piles de livres.

« C’est vintage, j’adore ! », roucoula t-elle joyeusement en tirant son amie à l’intérieur.

Au fond de la boutique, derrière le comptoir central, se tenait un jeune vendeur auquel Orphea ne manqua pas d’adresser un salut courtois doublé d’un sourire innocemment enjôleur. Bien qu’elle ne pût en jurer, elle était presque sûre d’avoir vu une pointe de rose colorer ses joues blêmes. Un peu de politesse ne pouvait pas faire de mal, comme le répétait souvent son père.
Elle se pencha à l’oreille d’Aisleen d’un air conspirateur, la tenant toujours fermement par le bras :

« Tu crois qu’il nous fera une réduction ? », gloussa t-elle à voix basse.

Loin de rappeler la voix suave d’une séductrice, son ton évoquait plutôt une fée se délectant de sa propre mutinerie.

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