Pourquoi diable est-ce qu’elle avait choisi l’arithmancie comme cours cette année? Son père l’avait pourtant avertie : elle allait détester, elle allait vouloir s’arracher les cheveux, chaque devoir et chaque travail pratique serait un véritable supplice. Mais depuis quand est-ce que Diana Sparks écoutait les conseils qu’on lui donnait? Ce n’était pas dans ses habitudes, tout simplement. Surtout pas si elle pouvait lire entre les lignes un subtil sous-entendu comme quoi elle n’était pas à la hauteur du défi. Alors, évidemment, pour le simple principe de n’en faire qu’à sa tête, elle s’était inscrite au cours, promettant à son père qu’elle lirait son avenir des dix prochaines années au moyen des mathématiques à la fin de l’année.

Les paroles de Michael Sparks cachaient-elles un quelconque message subliminal? Du tout. S’était-il trompé dans ses prédictions? Absolument pas. Et il les avait faites sans aucune technique de divination. Ce n’était pas comme si lui aussi, quelques années auparavant, s’était cru plus savant qu’il ne l’était vraiment dans le seul et unique but de prouver aux rejetons puristes qu’un sale sang-de-bourbe était capable de maîtriser des méthodes ancestrales sans avoir baigné dans la magie depuis le biberon. Et ce n’était pas, non plus, comme s’il connaissait sa fille bien-aimée comme s’il l’avait faite.

Alors Diana pestait. Elle détestait l’arithmancie, avait envie de s’arracher les cheveux et revenait justement d’un saut à la bibliothèque où elle avait tenté – vainement – de prendre pour une fois une certaine avance dans ses devoirs, s’attaquant au plus emmerdant en premier. Elle avait passé au moins une bonne heure à griffonner des chiffres sur un parchemin, s’attirant les foudres des autres élèves chaque fois qu’elle se mettait à rayer agressivement et un peu trop bruyamment ses calculs ratés. Sa patience épuisée et sa fierté aussi froissée que les bouts de parchemin qu’elle avait chiffonné et brûlé d’un Incendio preste, elle avait quitté les hauts lieux du savoir, préférant regagner sa salle commune et abandonner ses devoirs pour le moment.

Passant devant l’une des grandes fenêtres qui donnaient sur le terrain de Quidditch, elle s’arrêta pour suivre des yeux les capes rouges qui virevoltaient sous le soleil automnal. Son regard ne perdit pas de temps avant de se fixer sur la silhouette qui se tenait devant les anneaux, la faisant souffler du nez. Le fait que Lucian pouvait jouer au Quidditch pendant qu’elle était en train de jouer à l’élève modèle ne faisait qu’alimenter davantage sa frustration. Le pauvre n’y était pour rien, mais fallait-il préciser que « Diana » et « mauvaise foi » formaient une rime parfaite? Son jumeau était toujours sa victime préférée.

Elle finit par se détourner de la fenêtre dans un soupir, fit à peine quelques pas, et entendit son nom être hélé depuis l’autre bout du couloir. Oh non. Pas elle. Pas maintenant. Ni jamais, en fait. Aucun moment n’était un bon moment pour devoir se taper Niamh Mandragoran. Elle n’eut aucune chance de l’éviter, car l’autre folle à lier s’était ruée sur elle comme si sa vie en dépendait, la forçant à reculer jusqu’à ne plus pouvoir, bloquée par le mur. Elle arqua les sourcils en entendant les craquements contre ses oreilles.

« Ho, mais baisse d’un cran, Mandragoran! Casse pas tes petits poignets fragiles, ce serait dommage pour plein de raisons. »

L’article de journal. Elle l’avait complètement oublié, celui-là. Elle n’avait évidemment pas écrit un traitre mot; en fait, elle ne se souvenait même pas du sujet. Par contre, elle avait décelé un semblant de menace dans les propos de la Serdaigle, ce qu’elle n’appréciait guère. Yeux et nez plissés, mâchoire serrée, elle inspira un coup avant d’enrouler ses doigts autour de sa robe de sorcier au revers bleu, se redressant pour venir la dominer, même si ce n’était que de quelques centimètres à peine, la tirant d’un coup sec vers elle avant d’habilement interverser les positions, la repoussant à son tour contre le mur, près de l’endroit où s’était trouvé son dos quelques secondes auparavant. D’autres craquements se firent alors entendre, mais Diana n’en fit rien.

« J’apprécie pas trop qu’on vienne me menacer au détour d’un couloir. De toute manière, même quand j’écris des choses, tu repasses systématiquement par-dessus parce que c’est pas assez bien pour toi. Je t’apprendrai rien en te disant qu’on est jamais mieux servi que par soi-même. »

Comme elle se rapprocha davantage, le regard à son tour bien planté dans le sien, elle vint poser sa main sur la pierre pour lui enlever toutes les issues possibles. Elle n’eut cependant pas l’occasion de se faire plus menaçante, car un mécanisme sembla s’être enclenché. Les pierres frottaient les unes contre les autres, faisant tomber de la poussière. Écarquillant les yeux devant le phénomène, la bouche entrouverte, Diana se recula aussitôt, levant instinctivement les deux mains en l’air alors que le mur semblait se fendre.

« J’ai rien fait! »

Il aurait sans doute été plus poli, et surtout plus aimable, de courir vers sa collègue journaliste pour lui prêter main forte. Évidemment, Diana n’allait pas le faire. Il fallait être fou pour tendre la main à celle qui l’avait assaillie et acculé contre le mur quelques instants auparavant. Alors la blonde restait à l’écart, guettant instinctivement les deux extrémités du couloir de peur de devoir se taper injustement une heure de colle si un préfet un peu trop zélé passait par là et décidait que défoncer des murs ne figurait pas dans ce qui était permis dans le règlement de l’école.

Lorsque son regard croisa de nouveau celui de la Serdaigle, elle haussa un sourcil circonspect. Une préfète, elle en avait une sous les yeux. Elle n’aurait quand même pas l’audace de lui faire ce coup bas, si? L’accuser de l’avoir fait trébucher volontairement pour pouvoir lui échapper et fuir ses responsabilités journalistiques pendant un peu plus longtemps. Cependant, l’enthousiasme qui semblait s’être emparée d’elle envoyait un tout autre signal. C’est vrai que Niamh était une incorrigible fouineuse. Le problème, s’il en était un, c’est que Diana partageait ce trait de personnalité. Et devant pareille découverte, il était bien difficile de partir dans l’autre direction et faire comme si rien ne s’était passé. Elle aurait bien voulu rester de marbre; ça aurait sans doute été bien plus facile. La vérité, c’est que la curiosité commençait à la gagner… et à prendre le dessus.

Ainsi, lançant un dernier coup d’œil vers le bout du couloir, elle finit par s’avancer vers le trou béant qui s’était formé. Lorsqu’elle se trouva sous l’arche ainsi formé, elle leva les yeux pour observer les pierres qui semblaient s’être emboîtées les unes dans les autres. L’interrogation de la brune vint interrompre le mouvement de main qu’elle venait de lever vers les pierres. Une pointe d’énervement et d’indignation au fond des pupilles, la mâchoire serrée et les sourcils froncés, la Sparks se tourna rapidement vers elle. De quel droit se permettait-elle de poser les mêmes questions qu’elle se posait, au même moment où elle se les posait? Ça rappelait haut et fort de faire bien attention au plagiat, de bien citer ses sources dans ses articles, mais ça osait copier ses pensées? Pfff.

« C’est manifestement lié aux pierres », répondit-elle en laissant ses doigts vagabonder sur les rebords abrupts du nouveau portail. « Elles sont ensorcelées pour former un mécanisme… »

Comme elle termina sa phrase, les pierres se mirent à trembler, faisant tomber d’autres grands filets de poussière. Instinctivement, la Serpentard recula de quelques pas jusqu’à ce que ce qu’elle vienne se heurter à Miss Parfaite, de laquelle elle s’empressa de se décoller en observant avec stupéfaction – et horreur – le mur se refermer.

« NON, NON, NON! », s’écria-t-elle, se précipitant vers le mur dès lors que la dernière pierre vint se remettre en place, palpant frénétiquement le mur à la recherche d’une issue. Toutefois, il n’y avait pas la trace d’une quelconque issue ni aucune démarcation pouvant indiquer la présence d’une porte ou d’une trappe.

Comme un fauve qu’on venait de piéger, Diana se recula et fonça contre le mur, lui donnant un violent coup d’épaule qui lui vaudrait sans aucun doute une belle ecchymose, sortant ensuite sa baguette pour lancer plusieurs sorts explosifs qui n’eurent pour seul effet que de faire tomber davantage de poussière. Frustrée, elle lâcha un cri et buta dans le mur, crachant un chapelet de jurons lorsque la douleur s’empara de son pied. Après quelques autres tentatives, elle tapa une dernière fois contre le mur avant de s’en éloigner, les deux poings bien serrés, le dos voûté.

« Super, on est coincées ici », grommela-t-elle en boitillant vers le milieu de la pièce, ce qui ne l'empêcha pas de botter dans un des nombreux coussins qui se trouvaient par terre.

D’ailleurs, pourquoi y avait-il autant de coussins ici? Et des couvertures? Et des tables basses? Des étagères remplies d’objets divers, allant de livres à des jeux, en passant par tout ce qu’il fallait pour préparer du thé, en plus de bouteilles d’alcool remplies à moitié, vides ou presque vides. Les murs étaient recouverts de dessins, de mots et d’initiales, et des guirlandes de papier avaient été disposés un peu partout. Dans un coin, il y avait un foyer en pierre qui rappelait tous les autres du château. La salle n’était pas bien grande et faisait quelques mètres carrés à peine, mais elle était plutôt chaleureuse, bien que poussiéreuse.

« On est où, d’ailleurs? », demanda la blonde en terminant de faire un tour sur elle-même, se tournant de nouveau vers sa compagne de cellule. « Tu dois bien le savoir, toi qui sais absolument tout. »

Diana aurait dû sauter de joie et se donner des tapes dans le dos devant pareille découverte (en ignorant totalement l’apport de la Serdaigle, évidemment). Elle en était pourtant incapable. Plantée au beau milieu de la pièce circulaire, elle rangea sa baguette par dépit, secouant sa robe de sorcier – dont l’ourlet était devenu gris pâle – en faisant tourbillonner la poussière à ses pieds. L’endroit avait beau avoir déserté pendant longtemps, ce n’était pas une raison suffisante pour être aussi crade. Elle n’était certainement pas la plus maniaque de la propreté, son état en témoignant plus souvent qu’autrement, mais un grand coup de balai était nécessaire pour rendre l’espace accueillant et convivial. Alors qu’elle suivait du regard Madame la Rédactrice en Chef faire sa petite visite, elle lâcha un lourd soupir lorsqu’elle lui indiqua qu’il s’agissait d’une pièce secrète.

« Oui, merci, j’avais c- »

« Mais ça, tu l’avais compris toi aussi. La seule chose… »

Diana n’entendait plus rien, manquant tout du reste de la phrase, trop concentrée à sentir son sang commencer à bouillir comme une marmite d’eau laissée trop longtemps sur le feu. La chaleur était montée du bout de ses orteils et gagnait peu à peu son visage. Il ne fallut pas beaucoup de temps avant qu’elle ne sente ses joues irradier. D’abord le l’interception dans le couloir, puis le placage contre le mur, ensuite les mêmes questionnements, et maintenant la complétion de phrases? Qu’avait-elle donc manger au petit-déjeuner pour sortir le grand jeu de cette manière? Si ses yeux trahissaient jusqu’alors son mécontentement face à la situation dans laquelle les deux adolescentes se trouvaient, ceux-ci brillaient désormais d’une lueur tempétueuse, et ne tardèrent pas à se braquer sur la préfète pour pouvoir la fusiller sans détour.

« Cornedrue, Queudver, mouais… On dirait plus des surnoms d’mauvais goût. Tu devrais peut-être ajouter le tien à la liste : Langpendue. »

Elle sourit, l’air un peu trop satisfait. Oh, si seulement son frère avait été là. Il aurait sûrement été admiratif de sa répartie, y aurait ajouté sa verve légendaire, et devant une Niamh outrée, leurs poings se seraient percutés avec fierté pour venir sceller cette alliance fraternelle dévastatrice qu’était la leur. Mais c’était là tout le drame : Lucian n’était pas là pour au moins rendre son incarcération avec Dame Mandragoran moins pénible. Le dragon était obligé de supporter la princesse, alors que la princesse, il l’aurait jetée par la fenêtre à défaut de n’en avoir fait qu’une bouchée. D’ailleurs, la princesse semblait essayer de retracer le fil des événements.

« T’es pas censée avoir, genre, une mémoire phénoménale? » s’enquit Diana en renvoyant sa cape vers l’arrière pour s’accroupir, dessinant deux grands traits dans la poussière du bout de l’index. « Alors moi je me promenais tranquillement dans le couloir, quand tu m’as sauvagement sauté dessus en mode ‘Bla bla bla, LE JOURNAL, bla bla bla, TON ARTICLE, bla bla bla’. Ça a fait crack. » Elle leva les yeux vers elle, s’assurant qu’elle avait son attention. « Je t’ai dit ‘Houla, ma pote, tu vas t’calmer direct’, puis t’as fait ‘GNNN, je suis petite, et faible’. Ça a fait crack. » Après avoir dessiné un smiley à la bouille bien peu flatteuse, elle croisa les bras sur ses cuisses. « Donc selon moi, c’est dû à une suite d’actions, pas à une suite de mots. Je doute que les murs décident de s’ouvrir en entendant les agresseurs agressés geindre. »

Après lui avoir envoyé un regard lourd de sens, sourcils haussés un peu provocateur, elle reposa son attention sur le sol, observant la poussière se mouvoir légèrement. Elle plissa les yeux, suivant une ligne droite vers le mur d’en face, là d’où elle venait.

« Il y a un courant d’air, en tout cas. C’est pas totalement hermétique. »

Heureuse nouvelle que celle-ci; elles n’allaient pas devoir se battre pour une réserve limitée d’oxygène. Enfin, heureuse nouvelle surtout pour Miss Parfaite, se dit-elle, convaincue qu’elle aurait le dessus dans une lutte pour la survie.