↠ Chaîne de douleur ↞ Presque trois ans de vie avaient suffi aux Sparks pour comprendre que les jumeaux débordaient d’énergie. Et s’ils voulaient avoir un semblant de soirée de paisible et une nuit relativement tranquille, ils devaient s’assurer que cette énergie soit adéquatement dépensée. Ces enfants-là, il fallait bien les épuiser! Alors lorsque le week-end arrivait enfin, libérant ainsi Elsie de son calvaire administratif, que Mika pouvait laisser le restaurant entre de bonnes mains et que le temps le permettait, la petite famille partait à l’aventure. À la plage, en ville, à la campagne ou, comme ce jour-là, en forêt.
« Ralentis, Diana, tu vas finir par te faire mal! »Mais rien ne peut ralentir Diana, pas même l’inquiétude bienveillante d’un père qui peine à suivre la cadence de la pile électrique qui lui sert de fille. Haute comme trois pommes, elle s’élance sur les sentiers boisés. Elle court comme si elle venait de retrouver sa liberté après avoir été incarcérée pendant des mois ou des années. Elle court parce que c’est grisant de sentir son cœur cogner contre sa poitrine et son souffle lui assécher la gorge. Jouer dehors est toujours un plaisir, surtout quand frérot, papa et maman sont de la partie. Alors elle court vite. Toujours plus vite. Il faut bien qu’elle prouve au monde qu’elle est la plus rapide, et surtout, plus rapide que Lucian.
« Att’ape-moi! », crie-t-elle en regardant son frère par-dessus son épaule.
Erreur. Inattentive, elle ne remarque pas les racines devant elle. Son pied gauche vient se coincer pile poil dans l’espace entre ces dernières et le sol, et le résultat est immédiat. La gamine perd pied, fait un vol plané et tombe lourdement, éraflant genoux et coudes. Ça fait mal.
Super mal. Tant à son petit ego qu’à son petit corps. Alors que son père court la rejoindre en hurlant une énième fois son nom, elle se redresse lentement, sentant les larmes lui monter aux yeux et sa lèvre inférieure trembloter. Elle regarde le mélange de sang, de poussière et de gravier qui salit sa jambe, prenant une grande inspiration quand Papa vient la cueillir et l’asseoir sur un rocher moussu à proximité. Pas question de pleurer. Pourtant, malgré ses efforts, un hurlement de douleur et des pleurs se font bel et bien entendre. Ils ne sont pas sortis de sa bouche, mais de celle de son frère.
« Mais qu’est-ce qui se passe, mon trésor? », s’enquit immédiatement Elsie, prenant le bambin aux bouclettes dorées dans ses bras, tentant de le consoler.
« J’ai-ai ma-al! », répond-il entre deux hoquets, se blottissant contre sa mère en serrant ses petits poings.
« Pa-artout! Ça-a brû-û-ûle! »Tandis que Mika sort le nécessaire pour nettoyer les plaies (il était toujours prêt… pas le choix avec ces deux terreurs), Diana se tourne vers son frère et sa mère dans la plus grande des confusions. Pourquoi diable est-ce que Luc était dans tous ses états? C’était elle qui était tombée, elle qui avait mal partout, qui avait les genoux, les coudes et les paumes en feu, elle qui avait envie de pleurer. Elle était jeune, mais certainement pas idiote, et elle comprit au regard sérieux qu’échangèrent les parents que quelque chose clochait. Est-ce que c’était sa faute? Dans le doute, elle renifla à quelques reprises le temps de ravaler ses larmes, essuyant du revers de la main ses cils humides. Elle ne voulait qu’une chose : que Luc cesse de pleurer.
↠ Onde de choc ↞ « C’est mon tour, c’est maman qui l’a dit! »« C’est pas vrai, on a regardé Scooby-Doo hier! Moi je veux regarder Sabrina! »Chez les Sparks, technologie moldue et magie se mélangeaient le plus naturellement du monde, et se chamailler pour savoir qui allait avoir le contrôle du programme télé de l’après-midi faisait partie du quotidien des jumeaux. Si on leur avait bien fait comprendre que pour bénéficier d’un tel privilège, il fallait qu’ils acceptent de regarder leurs dessins animés préférés à tour de rôle, ils faisaient fi de ce règlement plus souvent qu’autrement, préférant livrer une lutte perpétuelle comme deux souverains de royaumes ennemis se disputaient un territoire.
Seulement, cette fois, le combat était bien plus engagé que d’habitude. Diana adorait Scooby-Doo, mais c’était bien trop facile d’acquiescer, de s’installer avec frérot devant l’écran et de passer un bon moment. Avoir le dernier mot était plus important. Alors lorsque Lucian décida de prendre les choses en main et d’abandonner la joute verbale, se levant d’un bond pour aller tourner la molette de la télévision pour changer de chaîne, la petite lui emboîta le pas direct, sourcils froncés, ne perdant pas une seconde pour faire tourner la molette à son tour. L’aîné se retourna, défiant sa sœur du regard en faisant passer la molette à gauche. La cadette s’empressa de la ramener à droite. À gauche. À droite. À gauche. À droite. Encore une fois. Et encore, des dizaines de fois. Qui des deux allait se lasser le premier? Cela pouvait bien durer des heures; le premier était aussi borné que la deuxième, mais certainement pas aussi amère. Car à chaque fois que la molette passait du côté de Lucian, l’humeur de Diana s’assombrissait.
« Je t’ai dit qu’on regardait Sabrina! C’est mon tour! »« Et moi, je t’ai dit qu’on regardait Scooby-Doo! »Mâchoire serrée et yeux plissés, elle fusilla son frère du regard. La tempête grondait, et elle ressentit le besoin de venir le bousculer. Pourquoi tenait-il autant à regarder la bande de la Mystery Machine alors qu’ils pouvaient tout aussi bien apprécier les mésaventures de la jolie sorcière blonde? Colère, frustration et tout un amalgame d’émotions fortes et violentes commençaient à faire bouillonner son sang. Et par-dessus tout, Luc restait planté là, à grimacer, au lieu de répliquer. Qu’est-ce qu’il fabriquait? Il préparait encore une scène? L’énervement s’invita bien vite à la fête. Ses petits poings se serrèrent et elle n’eut le temps que de s’avancer d’un pas. La réplique arriva d’un coup.
« ARRÊTE, DIANA! »Sensation étrange que celle-ci. Elle se figea sur place, donnant l’impression qu’elle obéissait enfin aux commandes de Lucian, et tout sembla se mettre en pause autour. Ses oreilles se mirent à siffler bruyamment, brouillant tous ses sens. La douleur qui envahit alors sa tête était si vive, si intense, que tout son corps sembla oublier comment fonctionner correctement. Ses doigts se crispèrent, ses yeux se révulsèrent et, raide comme une barre, elle tomba à la renverse. Pendant les quelques secondes de conscience qui lui restèrent, elle cru entendre un « Diana! », puis un vague « Maman! », puis plus rien. Le noir total. Ironiquement, elle était comme une télé qu’on venait d’éteindre : elle ne réagissait plus.
***
« Quand est-ce qu’elle va se réveiller? »« Bientôt. Le médecin a dit qu’il fallait seulement être patient. »« Je…J’ai pas voulu lui faire mal… »« Je sais, chéri, je sais. »La conversation semblait distante, étouffée, comme si elle avait lieu dans la pièce d’à-côté. Sa mère et son frère se tenaient pourtant à son chevet, la première plaçant une serviette imbibée d’eau froide sur son front. Depuis combien de temps étaient-ils là? Elle ne savait même pas où elle se trouvait. En fait, elle ne savait plus grand-chose. Faiblement, elle entrouvrit les yeux et tourna la tête vers les deux silhouettes qu’elle distinguait difficilement. Ses lèvres se séparèrent, mais avant qu’elle n’ait l’occasion de dire quoi que ce soit, elle entendit un cri, puis en poussa un à son tour. Le sien était plutôt faible et étouffé, en partie parce qu’elle avait l’impression qu’un anaconda était en train de l’écraser et de la broyer pour pouvoir en faire qu’une bouchée.
« Je suis dé-déso-soléééééé! », sanglota Lucian, resserrant son étreinte en venant mouiller son cou d’un mélange de larmes et de mucus.
« Lucian, laisse ta sœur respirer! », s’empressa d’ordonner Elsie, qui se redressa pour tenter de les séparer.
Elle se ravisa toutefois bien vite quand la blondinette, tout affaiblie qu’elle était, referma les yeux pour venir enfouir le bout de son nez dans les bouclettes de son jumeau, refermant ses bras autour de lui. Respirer était secondaire quand Luc n’était pas loin. Et peu importe ce qu’il s’était passé, la simple idée de lui en vouloir ne lui traversa jamais l’esprit. Et tant pis pour Sabrina.
↠ Jeux d'esprit ↞ Le regard désespéré et apeuré, Diana courait comme si sa vie en dépendait. Elle était essoufflée, l’air qui passait dans sa gorge devenant un râlement lorsqu’il s’échappait d’entre ses lèvres asséchées. Derrière elle, de grandes ombres la poursuivaient, se déformant et tournoyant. Elle avait beau accéléré, elle avait l’impression de ne pas avancer. Les ombres, elles, s’allongeaient, rattrapant chacun de ses pas, centimètres par centimètres, pour finalement l’encercler totalement. Elle freina abruptement, manquant de se casser la gueule en perdant l’équilibre. Elle recula, s’essuyant la bouche du revers de la bouche en prenant à peine le temps de reprendre son souffle.
Cette fois, tout était plongé dans l’obscurité. Un épais voile noir composé des longues capes que semblaient porter les ombres monstrueuses avait recouvert cet espace vide. Au loin, toutefois, brillait une lumière vive. Elle se concentra dessus, grimaçant en sentant qu’elle commençait à se fatiguer. Il fallait qu’elle sorte des ténèbres, avant de se faire avaler. Plus elle approchait, et plus cette étincelle prenait elle-même la forme d’une silhouette, empruntant bientôt les traits doux et sereins de son frère. Avec l’énergie du désespoir, elle redoubla d’efforts pour l’atteindre, mais au moment où elle tendit la main vers lui, son visage sembla se tordre de douleur, et la puissance du halo doré qui irradiait de sa peau diminua alors que les ombres s’enroulèrent autour de son corps jusqu’à étouffer complètement son éclat.
« N-Non…! NON! NON, NON, NON! », hurla-t-elle alors que son frère s’écroulait, terne, sans vie, sans éclat.
« Vous ne faites pas d’efforts, Miss Sparks. »Une voix masculine qui excédé. Un long soupir. Les abysses laissèrent place à un bureau froid, la lumière artificielle la forçant à fermer les yeux pour éviter d’être aveuglée. Diana tremblait comme une feuille sur le fauteuil, le souffle court, dégoulinant de sueur. Elle n’avait même plus la force d’envoyer promener le vieux McGrady, son maître d’occlumancie. Elle prit le verre d’eau posé devant elle, en prenant une longue gorgée. Le déclic de la poignée attira son attention, et elle rouvrit les yeux, les tournant vers la porte, voyant son père entrer dans la pièce, l’air grave.
« Tout se passe bien? »« M. Sparks, pour la énième fois, ne soyez pas alarmé par les cris. Cela fait partie du processus. Cela étant dit, les cris seraient moins fréquents si votre fille se concentrait convenablement pour me repousser. »« Mais je me concentre! Je fais de mon mieux! »L’eau semblait l’avoir ragaillardie. Le vieil homme haussa un sourcil dubitatif, ne semblant pas le moins du monde impressionné par l’attitude de la gamine.
« Si c’était vraiment le cas, Miss Sparks, je ne réussirais pas à entrer aussi facilement dans votre esprit après la sixième séance. Vous vous laissez bien trop submerger par vos émotions; en particulier la peur. Mais ce n’est pas une excuse. Vous devez apprendre à sceller le tout de sorte qu’il n’y ait plus aucune fuite. »Poings serrés, la petite souffla fort du nez en se levant d’un bond, dévisageant son professeur. Elle était prête à lui casser les lunettes, à lui arracher le partiel et à le lui faire avaler. Il ne bougea pas d’un centimètre, posant calmement ses lèvres sur le rebord de sa tasse de thé, prenant une gorgée.
« Diana. »La voix ferme de son père l’arrêta dans son élan, et elle se rassit sur le fauteuil. Mika s’accroupit devant elle, lui prenant les deux mains, son pouce caressant doucement sa peau lorsqu’il sentit les tremblements qui la secouaient encore.
« Ma chouette, écoute-moi. Je sais que c’est difficile et qu’on t’en demande beaucoup. Fais-le pour Luc. » Il marqua une pause, scrutant le visage livide de sa fille, venant chercher son regard épuisé du sien. Il sentit son cœur de père se tordre de culpabilité.
« Lui aussi travaille fort pour toi. Vous êtes les plus forts, tous les deux. »« Parce qu’on est les enfants de maman? »« Précisément », pouffa Mika avec un sourire, venant déposer un bisou sur son front moite.
« Continue de faire de ton mieux. Moi, je t’attends, et quand ce sera fini, on ira manger une glace. D’accord? »« D’accord… »Le grand brun se redressa, lança un dernier regard au professeur, puis sortit de la pièce. Il referma la porte derrière lui, regagnant la chaise inconfortable sur laquelle il était assis depuis maintenant près de deux heures. Une quinzaine de minutes plus tard, et pour la troisième fois de la journée, le cri de pure terreur de sa fille résonna dans le couloir et dans toute la salle d’attente, le forçant à fermer les yeux. Il savait qu’elle y parviendrait et que c’était la bonne chose à faire. Ça ne rendait rien de tout ça plus facile pour autant.
↠ Flèches acérées ↞ Malgré la logistique et la planification qu’elles nécessitaient, les visites chez les grands-parents Sparks étaient toujours un grand événement. Il était tant anticipé qu’il avait le droit à sa propre inscription sur le calendrier affiché sur le réfrigérateur, encerclé plusieurs fois au marqueur rouge. Mamie Jackie et Papy Lenny vivaient dans une charmante petite maison en bord de mer, dans un coin plutôt reculé. Il n’y avait pas plus chaleureuse comme demeure, et l’immense parcelle de terre sur laquelle elle se dressait était le plus grand et le plus merveilleux des terrains de jeu. Comme leur père avant eux, les jumeaux y faisaient les quatre cents coups, revenant bien souvent couverts de boue et des brindilles plein les cheveux (surtout Diana) lorsque sonnait l’heure des repas pour le plus grand malheur de grand-maman qui adorait l’ordre et la propreté. Cependant, elle était bien préparée à gérer deux mini tornades, ayant élevé elle-même le puissant ouragan qui les avait engendrés. Et pour une maman dite « moldue », avoir un fils au sang magique n’était certainement pas une mince affaire.
Cette année-là, le voyage estival annuel revêtait une importance toute particulière : les jumeaux fêtaient leur 10e anniversaire. Le passage d’un chiffre à deux chiffres se devait d’être souligné en grand. Après l’habituel trajet en voiture de plusieurs heures, la petite famille arriva enfin à destination. À peine eurent-ils mis pied à terre que les deux grands-parents sortirent, venant enlacer les deux gamins blonds et les couvrir de papouilles, les poussant ensuite à l’intérieur. Au milieu du salon au modeste décor se trouvaient deux énormes paquets. Ravie de voir ses deux petits-enfants regarder les étrennes avec des yeux ronds, Mamie Jackie les invita à avancer vers ces derniers pendant que son mari aidait leur fils et sa femme à décharger la voiture.
« Joyeux anniversaire, mes amours! Luc, tu peux déballer le cadeau jaune. Diana, toi, tu peux t’occuper du bleu. »« Pourquoi est-ce que c’est toujours Luc qui a les plus gros cadeaux? », demanda la fillette avec une moue contrariée en se postant devant le présent aux couleurs azurées, remarquant que celui de son frère était plus haut.
« Parce que c’est moi le plus vieux, le plus beau et le plus sympathique de nous deux », répondit le garçon du tac au tac, la narguant avec son sourire le plus charmant.
« On peut aussi aller offrir ton cadeau à un enfant plus reconnaissant, Diana », lâcha Elsie en lui lançant un regard désapprobateur.
« Et si tu te contentais de remercier Mamie Jackie et d’ouvrir ton paquet avant de faire la désagréable? »Diana soupira et dévisagea Luc en roulant des yeux, puis commença à déballer son paquet. Elle s’arrêta à mi-chemin en entendant son frère pousser un cri de surprise, curieuse de voir ce qu’il venait de découvrir.
« WOAH! Une planche de surf! Trop bien, merci! »Alors qu’il se lança dans les bras des grands-parents heureux d’avoir combler leur petit-fils, sa jumelle continua d’arracher le papier cadeau pour dévoiler une simple boîte de carton. Elle l’ouvrit, sa bouche et ses yeux s’ouvrant bien grand en sortant un arc, un carquois, des flèches et des gants d’archer. Pour une fois, elle avait le bec bien cloué, se retournant vers les grands-parents.
« Comment vous avez su…? »« Oh, on est plutôt bien informés pour des vieux », répondit Papy Lenny en riant, lui faisant un clin d’œil.
Il est vrai qu’elle avait montré un certain intérêt pour le tir à l’arc au cours des derniers mois, feuilletant des livres et des magazines sur le sujet, faisant semblant de tirer oiseaux et écureuils en émulant le bruit des flèches qui fendent l’air. De tenir enfin un vrai arc dans ses mains lui conférait un sentiment incroyable. Elle lâcha toutefois tout le matériel pour se jeter dans les bras de Mamie et Papy avec Luc.
« Merci! »« Et c’est pas tout… »Mika arriva derrière eux et leur tendit à chacune une enveloppe. À l’intérieur se trouvait un certificat d’inscription à des cours privés : de surf pour le premier, de tir à l’arc pour le deuxième. Ainsi, les jumeaux allaient pouvoir s’adonner chacun à un sport qui les passionnaient, ces derniers s’ajoutant à leur amour commun pour le vol à balai et le Quidditch. Évidemment, aucun des deux n’allait attendre le début de leurs cours pour essayer leurs cadeaux. Après tout, y avait-il meilleur endroit que la maison de Mamie Jackie et de Papy Lenny pour surfer les vagues de la Manche ou décocher quelques flèches dans les vastes champs à proximité?
↠ Crapauds baveux ↞ Elsie et Mika le savaient depuis longtemps maintenant : le moment de laisser les oisillons voler d’eux-mêmes loin du nid familial était arrivé. Emplettes complétées et valises faites, il était temps de se rendre à la gare de King’s Cross pour prendre le fameux Poudlard Express. Une fois sur place et les chariots chargés, Luc et Diana décidèrent évidemment de faire la course jusqu’à la colonne qui permettait d’accéder à la plateforme 9 ¾, bien trop excités d’enfin découvrir le grand château qui avait vu grandir leurs parents. Avant qu’un autre combat pour savoir qui des deux serait le premier à franchir la passerelle, Elsie demanda à Mika d’accompagner Luc de l’autre côté, posant une main sur l’épaule de Diana. Une fois seules, la mère s’accroupit devant sa fille, venant poser son autre main sur son autre épaule, plantant son regard dans le sien.
« Diana, à Poudlard je veux que ton frère et toi soyez là l’un pour l’autre, peu importe ce qui se passe. »« Maman, quand est-ce que Luc et moi on s’est laissé tomber? », rétorqua la jeune fille en levant les yeux au ciel. Elle perdit bien vite son air sarcastique quand elle sentit les doigts de sa mère resserrer leur étau sur ses épaules.
« Je suis sérieuse. Ton frère contrôle mieux son don, mais pas complètement. Tu es la mieux placée pour le savoir. Je compte sur toi pour veiller sur lui et le protéger. Tu peux faire ça pour moi? »Diana hocha la tête, mais ça ne semblait pas être suffisant pour Elsie, qui se fit plus insistante, venant lui prendre doucement le visage.
« Promets-le-moi, Diana. »La blondinette était saisie. Sa mère avait-elle un don de voyance insoupçonnée, pressentant qu’un grand malheur s’abattrait sur les jumeaux lors de leur passage à Poudlard? Elle savait bien qu’ils ne pouvaient pas être plus soudés qu’ils ne l’étaient déjà. Évidemment, comme n’importe quels frère et sœur, ils se chamaillaient souvent, mais ça ne rimait pas avec un quelconque manque d’amour mutuel. Maman avait toujours été particulièrement protectrice lorsqu’il était question de son garçon solaire, mais sa demande était beaucoup trop solennelle pour ne pas inquiéter un tant soit peu sa jumelle. Elle vint enrouler ses doigts autour des poignets de sa mère, plongeant son regard dans le sien avec le plus grand sérieux du monde.
« Je te le promets, Maman. Je laisserai rien arriver à Luc. »Elsie sourit, déposant un baiser sur le bout de son nez.
« Merci, Moonbug. Viens, allons rejoindre ton frère et ton père. »***
Cela faisait environ une heure que le train avait quitté la gare. Recroquevillée sur la banquette qu’elle partageait avec Lucian, Diana somnolait, bercée par les douces vibrations du train. Sa tête dodelinait dangereusement depuis quelques minutes déjà avant de venir se déposer dans le creux du cou de son frère, poussant un soupir satisfait lorsque son niveau de confort augmenta drastiquement. Le moment fut cependant de courte durée, car celui-ci se redressa subitement, la faisant sursauter.
« Mais qu’est-ce qui t’prends, ça va pas? », râla-t-elle d’une voix endormie, toisant le blondinet en se grattant le crâne.
« Non, je m’ennuie. Mais ça va pas durer. Viens, on va faire une méga course de crapauds! », dit-il fièrement, ouvrant ses mains pour révéler un crapaud pustuleux bien gras, qui se contentait de se tenir là et de gonfler et dégonfler sa gorge, clignant paresseusement des yeux.
« Tu le cachais dans ton froc depuis tout ce temps, celui-là? », demanda-t-elle, les yeux rivés sur le batracien à l’air idiot.
« Ah, règle numéro un, très chère sœur : un professionnel ne révèle jamais ses secrets. Allez, magne-toi! Tu seras la première à être témoin de la supériorité et de la domination totales de Zorro! On sera bientôt riches! »« Zorro…? Attends, Luc- M*rde! »Et il était déjà sorti, se baladant de cabine en cabine, parcourant un wagon après l’autre pour trouver un digne adversaire à Zorro. Diana le suivait à la trace, serrant la mâchoire en voyant les gens rigoler ou être absolument confus après le passage du flamboyant adolescent. Personne ne serait assez idiot pour accepter de prendre part à une stupide course de crapauds, si? L’univers était bien décidé à lui prouver le contraire.
« J’suis sûr que moi j’peux te battre à la course! Charming est super rapide, le plus rapide des crapauds. »Diana se tourna pour voir un garçon aux cheveux noirs se détacher du groupe, brandissant un gros crapaud vert comme s’il s’agissait de la huitième merveille du monde. L’échange de sourires et de regards qui suivit scella le destin des adolescents, comme un contrat silencieux.
À la vie, à la mort.
Pour le meilleur et pour le pire.
« C’est pas vrai… », marmonna la blonde en secouant la tête. Pourquoi fallait-il qu’il y ait à bord de ce foutu train un imbécile pour trouver géniales les idées saugrenues de son crétin de frère? Tenir sa promesse allait être plus ardu que prévu, finalement…
***
« Hmm… voilà un esprit qui ne manque pas de cran. Le courage et la hargne coule certainement dans ton sang. Tu n’as pas froid aux yeux, et tu n’hésites pas à lever le poing pour défendre tes convictions. Gryffondor t’irais parfaitement. Toutefois, je décèle en toi ruse et astuce, une détermination sans faille et un certain amour pour la provocation. Tout ceci, doublé à un sens du leadership bien développé, m’emmène à penser que ta place se trouve à… SERPENTARD! »Le torse bombé et un grand sourire aux lèvres, Diana sauta du petit tabouret, se dirigeant vers la table des vert et argent qui célébraient leur nouvelle recrue. Passant devant son jumeau qui attendait toujours de connaître son sort, elle frôla son bras du bout des doigts. Comme elle prenait place sur le banc à côté d’une fille aux yeux aussi noirs que ses cheveux, elle tourna immédiatement son attention sur l’estrade alors que Luc y était appelé. Comme avec elle, le verdict du Choixpeau ne fut pas immédiat. Lorsqu’enfin il cria le mot
« GRYFFONDOR », Diana eut l’impression que le sol se déroba sous ses pieds. Une véritable douche froide. Et le regard inquiet que lui envoya son jumeau n’arrangea rien. Elle aurait voulu se lever, le tirer par le bras pour qu’il vienne la rejoindre, mais elle resta figée sur son banc, le regardant rejoindre son partenaire de course de crapauds. L’inquiétude fut vite remplacée par la joie, les deux garçons se prenant déjà par les épaules en riant. Leurs tables respectives n’étaient qu’à quelques mètres, mais à chaque rire, elle avait l’impression de reculer de dix kilomètres. Elle n’existait plus.
Les jumeaux avaient autant de choses en commun qu’ils avaient de différences. Un tel résultat n’avait donc rien de surprenant. Mais pourquoi diable est-ce que ce vieux chapeau rapiécé avait décidé de l’envoyer à Serpentard si c’était pour envoyer Lucian à Gryffondor? La maison lui irait parfaitement, non? Alors pourquoi vouloir les séparer? Pas que représenter la maison reptilienne ne plaisait pas à la blondinette : ses deux parents en avaient tous deux fièrement porté l’emblème pendant sept années. Toutefois, l’idée de devoir être loin du centre de son univers lui déplaisait grandement. Pis encore, elle craignait de faillir à la promesse qu’elle avait fait à leur mère, qu’il arrive quelque chose à l’adolescent solaire pendant son absence. Et c’était sans parler des nuits. Sans Luc pour la rassurer, les cauchemars auraient le champ libre pour lui pourrir la vie.
« Si tu veux, je t’en passe une deuxième. T’as pas encore connu l’humidité des murs des dortoirs », lui glissa à l’oreille sa voisine de table avec une pointe d’humour.
Elle baissa les yeux, constatant que ces derniers étaient humides et qu’une certaine douleur irradiait dans ses doigts et sa paume droite. Inconsciemment, elle s’était emparée d’une petite cuillère à condiments et l’avait serré si fort qu’elle en avait plié et légèrement tordu le manche. Sans un mot, Diana la déposa sur la table et s’empressa d’essuyer le coin de ses yeux. Oh, elle était en colère, oui, mais c’est la terreur qui, pernicieusement, commençait à la gruger. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait seule.
↠ Poings serrés ↞ La lettre qui avait été envoyée à tous les élèves de Poudlard avait eu l’effet d’une bombe chez les Sparks. L’arrivée du Conseil des Purs à la tête de l’établissement scolaire, leur niveau système d’éducation et leurs nouvelles règles n’avaient rien de rassurant. Surtout que cela coïncidait avec l’arrivée des jumeaux en cinquième année, l’année des BUSE. Pour l’occasion, on allait les envoyer dans une arène afin de combattre comme des gladiateurs? Les puristes n’avaient jamais été populaires dans la famille, mais là, ils étaient carrément devenus les ennemis à abattre.
Assise dans la cabine qu’elle, son frère et Jake avaient déniché, jambes et bras croisés, Diana avait les yeux rivés sur la fenêtre. Regardant sans grande attention le paysage défiler à vive allure, le visage fermé, elle ruminait son retour à Poudlard. Tout était différent cette année. Il y avait cette nouvelle administration, puis le drame de Pâques dernier, qui était venu ébranler une bonne partie des élèves. Les ordures qui prônaient la pureté de sang allaient se sentir pousser des boursoufflets, elle le sentait. Surtout dans le véritable nid de vipères dans lequel on l’avait envoyé quatre ans plus tôt.
« À quoi tu penses, Didi? », demanda Jake en s’approchant, ayant bien remarqué que la blondinette n’avait pas levé un sourcil ou lancé une insulte depuis le début du trajet malgré les dizaines de plans foireux qui avaient alimenté leurs conversations à Luc et à lui.
« À moi qui pète la gueule de tous les membres de ce p*tain de Conseil des Purs. Et de tous ces connards de puristes », répondit-elle machinalement sans se retourner.
« À nous, tu veux dire. »Elle lâcha un petit cri en sentant les bras de son frère l’entourer et l’attirer vers lui, suivi d’un grognement lorsque Jake vint resserrer l’étreinte. Elle se débattit quelques secondes, pour le principe, mais finit par poser une main sur l’avant-bras de chacun, fermant les yeux en les sentant coller leurs tempes contre les siennes. Diana pouvait bien faire semblant, il n’y avait pas d’endroit plus rassurant et plus douillet qu’entre les deux Gryffondor.
Nous. Envers et contre tous. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, ces derniers semblaient plus vifs que jamais. Des têtes allaient rouler cette année.