Beaucoup de mythes commencent avec l’avènement d’une nouvelle ère. D’un rien, se crée le grandiose, le tout. Tandis que le récit du héros raconte un développement et un accomplissement de soi, l’on suit le principal concerné, de ses piètres débuts jusqu’à l'apothéose de sa destinée. Le héros est défini comme étant celui qui donne sa vie pour quelque chose de plus grand que lui. Mais qu’est-ce qu’un héros, sans une quête ? Il est donc temps de vous raconter l’histoire de Thaddeus Uriel Chevalier, jusqu’à sa quête de puissance insatiable qui mènera certainement un jour à sa perte.
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Le grand manoir du domaine Chevalier n’avait rien à envier aux aristocrates Parisiens. Spacieux, donnant une vue directe sur l’océan, le blanc prédominait toutes les autres couleurs. La deuxième teinte la plus commune était celle de l’angélite, d’un bleu pur et si clair, qu’il en avait été nommé la pierre de l’ange. Dans ce grand manoir vivait une famille et quelques servants, communément nommés elfes de maison.
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Père ! Thaddeus a encore fauté !-
[Que se passe-t-il ? Pourquoi me dérangez-vous dans l'après-midi ?], demande le père agacé.
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Mais quel mouchard !, peste le cadet.
Un jeune garçon aux beaux habits se tenait assis en tailleur sur le sol, tandis qu’autour de lui s'éparpillaient de nombreux morceaux de bois et autres ingrédients. Son visage juvénile s’était froncé de frustration, alors qu’il pensait pouvoir démonter les baguettes aux défauts de fabrication que son père avait laissé traîner. Auguste, bien trop fier de pouvoir faire réprimander le plus jeune, se tient droit et fier. Deux mains posées dans le dos, son sourire en dit long sur ses intentions. Arrivant dans la salle où se tenaient ses deux fils, son regard sévère les observe, tour à tour, avant que son attention ne se glisse jusqu’au désordre jonchant le sol.
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[Vous avez une minute pour m’expliquer.]-
Je… Euh… Ce sont vos retailles de baguettes, elles sont destinées à être jetées, non ?-
[La question n’est pas répondue.]-
Je regardais juste comment elles étaient faites à l’intérieur… -
Sans votre permission, père. Il a fait un sacré capharnaüm et--
[Suffit !]Les deux adolescents regardent le sol, accablés par la culpabilité. Le maître de la maisonnée les regarde de nouveau, sans piper mot, avant de se mettre à soupirer.
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[Suivez-moi.], signe-t-il de sa baguette tout en désignant Thaddeus. Puis, en pointant le frère, il ajoute :
[Demandez aux elfes de ranger tout ça !]Mené jusqu’à l’atelier sacré et secret de son père, les yeux de l’adolescent brillaient d’admiration. Les machineries coupaient, affûtaient, polissaient chaque morceau de bois qui se présentait — seul — jusqu’au point de départ de la chaîne de fabrication. L’odeur boisée, omniprésente, chérissait son cœur.
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[Tout ce que vous voyez ici, sera bien plus utile qu’un petit couteau et des échardes dans vos doigts. Par là, la menuiserie, classifiant et traitant tous les différents bois stockés dans l’entrepôt.] Il se tourne, avant de pointer une petite porte dans le fond de l’atelier.
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Et c’est ici que vous travaillez sur le perfectionnement ?!, demande Thaddeus un peu trop enthousiaste.
Son père acquiesce, un sourire presque fier s'affichant sur son visage. Rapidement pris sous son aile à la demande du cadet, Thaddeus eut l'autorisation de venir observer son père, prenant rapidement part à la fabrication. Consciencieux et appliqué, sa passion se montra plus solide que celui devant hériter de la fabrique. Auguste eut de la difficulté à savoir s’il en était vexé ou non. Voir son frère aussi doué dans l’artisanat des baguettes, alors que lui n’en portait que peu d’intérêt, limitant ses capacités, avait don de l’irriter.
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Lors de sa quinzième année, son père lui permit d’enfin aller visiter la manufacture parisienne. Non sans beaucoup de soupirs d’Auguste, qui jusque-là en était le seul privilégié. La curiosité et l’intérêt que présentait l’adolescent pour l’entreprise, convenaient au patriarche, lui accordant le droit de l'accompagner. La grande ville était un contraste assez frappant avec la terre de campagne dans laquelle ils se trouvaient en Bretagne. Les tensions de la guerre Moldue se faisaient sentir partout, même dans les quartiers exclusivement sorciers.
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Attends, tu es en train de me dire que les moldus utilisent une forme de magie qu’ils appellent… la science ?, questionne alors Thaddeus.
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Je t’avais dit que Paris était plein de mystère !, ajoute fièrement l’aîné.
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Je n’en reviens pas qu’ils aient réussi à avoir de la lumière sans feu et sans magie. -
Ahh, tu es naïf. Il existe encore tant de choses que tu ignores.Le père adresse un regard accusateur à son aîné. Ce dernier venait tout juste d’entrer et de découvrir la Confrérie, il était hors de question que le secret soit dévoilé aussi légèrement. Ces balades faisaient naître un sentiment relativement étrange dans sa poitrine, comme une impatience qui grandissait tout en le mettant mal à l’aise. Ne comprenant pas d'où ce sentiment venait, Thaddeus avait préféré le taire. Loin de savoir qu’il n’était pas le seul à sentir de telles perturbations entre les murs de la capitale.
Jamais ses visites dans la ville de Paris n’avaient été agréables. Il avait beau se forcer et insister auprès de son père pour l’accompagner, ce sentiment ne paraissait pas le quitter. Une énergie sourde et grondante, qu’il sentait comme parcourir l’intégralité de ses membres, le drainait un peu trop. Chaque journée passée ici le vidait de son énergie sans qu’il en comprenne la raison. Son frère lui disait qu’il n’était simplement pas fait pour fréquenter la ville et la foule. Pourtant, Thaddeus sentait que la vérité était loin de ça.
L’assemblée de la société sorcière française se tenait dans une petite impasse donnant sur ce que les moldus appellent communément la
Villa des Arts. Présentée sous couvert d'ateliers artistiques, personne ne questionnait les sorciers qui s’y rendaient. Après tout, des aristocrates aux tenues excentriques ne pouvaient être que des amateurs d'art. Peut-être était-ce la naissance de ce cliché, juché dans une rue en cul-de-sac. Thaddeus observait souvent silencieusement tout ce qui se déroulait durant ses rencontres, voulant se montrer digne de la confiance de son père. Marchant sans but autre que celui de flâner devant le portail de la cour, Thaddeus se rendit compte que dès qu’il passait devant un boîtier, son malaise augmentait considérablement. Certainement un peu trop curieux, il s’en était approché, dérangé par les gros bourdonnements en arrière de la tôle de métal. Sa main s’avance machinalement, comme s’il était hypnotisé, avant de se poser contre. Un bruit d'explosion déchire alors le silence, suivi d’un cri. Une lumière vive était sortie du groupe électrogène, se servant du corps de l’adolescent comme réceptacle. Loin de se douter que sa magie était attirée par cette force électrique, Thaddeus l’avait appris de manière brutale.
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Vous pensez que c’est une attaque moldue ?-
…-
Ils attaquent tout et n’importe quoi… C’est tout à fait plausible, père !-
…Thaddeus fronce les sourcils, tandis qu’il peinait à ouvrir les yeux. Le visage de son frère était penché sur lui, tandis qu’il pouvait voir son père tracer des lignes à l’aide de sa baguette. N’arrivant pas à déchiffrer, son regard se concentra sur son aîné. Lorsque son frère pose sa main sur lui, il se recule derechef, en la secouant douloureusement. Tous ceux ayant essayé de le toucher depuis l’incident semblaient victimes d’électricité statique.
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Je vous assure, M. Chevalier. Cette blessure est magique. Sinon, mes soigneurs l'auraient guéri dans le temps de le dire avec nos sortilèges. 🗲🗲🗲
L’amour est la plus grande des batailles d’une vie. L’on en sort gagnant, par moment perdant. Parfois, il nous tombe dessus au moment où l'on s’y attendait le moins. Il se tient parfois juste dans l’encadrement d’une porte. Alors âgé de 16 ans, Thaddeus entame sa dernière année à Poudlard.
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On ne m’avait pas menti, sur le charme des Français.Le jeune homme se tourne alors vers la voix féminine, interloqué. Une brunette avec un sourire espiègle, portant le même blason bleu que le sien, accotée sur la bordure de bois.
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Robyn Winchester, on m’a chargé de te faire visiter.-
Eh bien, Robyn Winchester, enchanté. Je n’aurais pas pu rêver d’un meilleur accueil ! On ne m’avait pas menti sur le charme pittoresque des Anglaises, il semblerait. -
Non, c’est juste moi qui fais cet effet sur les beaux parleurs !-
Thaddeus Chevalier, au fait, se prononce-t-il en se courbant légèrement.
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Je sais, c’est écrit sur ma feuille. De nouveau le regard moqueur, Thaddeus ne put s’empêcher de répondre par un sourire amusé. La répartie de sa nouvelle camarade de classe paraissait être aussi tranchante qu’un couteau affûté. Rapidement, il apprit à la connaître, tandis qu’ils ne semblaient plus faire un pas l’un sans l’autre. Que cela soit durant les cours, pendant les repas ou les soirées sur les canapés de la salle commune… Jusqu’à cette soirée, plutôt banale, simplement partagée par les deux élèves de Serdaigle. Les discussions étaient nombreuses, animées et rien ne paraissait les éteindre. Petit à petit, quelque chose dans leurs regards avait changé.
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Tu sais quoi ?, demande-t-elle en observant le plafond tandis qu’ils étaient allongés sur les nombreux coussins de la salle.
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Non ?-
Ce n’est peut-être pas plus mal que le ministère nous interdise de prendre part à la guerre moldue. Je n’imagine même pas tous mes proches dans un combat aussi cruel…Son regard roule sur le côté droit, où Thaddeus se trouve.
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Effectivement…, finit-il par concéder en soupirant.
Mon père tente de sauver les infrastructures du monde magique à Paris. Les bombardements détruisent tout sur leur passage, c’est inquiétant. J’ai des nouvelles assez régulièrement, grâce à ma mère.-
Et tu aurais été obligé d’y prendre part, à la sortie de l’école.Les sourcils du blond se froncent, songeant à l’idée. L’engagement de la gent masculine en âge de combattre avait été imposé au peuple, forçant chacun à prendre ce que les moldus appellent « armes ». Outre cette inquiétude, une autre information plus subtile semble lui bondir au visage.
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Aurais-tu eu peur pour moi, Winchester ?, s’amuse-t-il d’un sourire moqueur.
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Absolument pas.L’air choqué du Chevalier est accentué par une expression dramatiquement outrée. Ce qui eut le don de faire rire Robyn, s’esclaffant. Pivotant pour se tenir sur le côté, tête accotée sur la paume de sa main, elle se sert de l’autre libre pour venir donner une légère tape sur le torse du jeune homme.
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Je t’ai vu, au club de duel ! Je m’inquièterai plus de l’ennemi, je crois.Levant les yeux au ciel, un sourire vient néanmoins habiller son visage. Les bruits environnants avaient totalement disparu, laissant place à cette intimité qui s’était progressivement instaurée entre eux. Leurs regards s’accrochent longuement, faisant languir le silence sur leurs lèvres entrouvertes.
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Puis-je t’embrasser ?, lance-t-il d’une voix chuchée.
Son affirmation fut entrecoupée d’un rire léger, tandis qu’elle alternait entre sa bouche et ce regard directement planté sur elle. Quelques secondes suffirent à ce que leurs lèvres se joignent, heurté par un soupir. Rapidement les yeux se ferment tandis que les corps s’étreignent alors qu’ils découvrent une nouvelle facette l’un de l’autre, avides du plaisir que cet échange procure. Quand enfin le souffle coupé, leurs lèvres se séparent, un échange silencieux plane encore, tandis qu’ils réalisaient ce qu’il venait de se passer.
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Pourquoi ça nous a pris autant de temps ?-
Parce qu’on est idiot, pour des Serdaigles.Le patriarche de la lignée semblait désappointé et totalement déçu par l’inefficacité de son cadet à manier la magie de l’eau. Auguste fanfaronnait en pliant l’eau presque à sa volonté, agitant sa baguette tel un chef d’orchestre. Thaddeus avait beau essayer, l’eau ne paraissait guère réagir. Comment pouvait-il seulement réussir l’épreuve ancestrale de sa famille, s’il ne parvenait même pas à faire bouger une once d’eau ? Jour après jour, il avait l’impression de patauger dans un étang boueux, sans qu’aucun de ses résultats ne soit concluant.
La journée avait été choisie en conséquence, à l’aube de ses dix-sept ans. Les vents de l’ouest se déchaînent sur les côtes de la Bretagne, non loin du manoir familial. L’eau saline claque contre la roche, l'éclaboussant plus qu’outre mesure. Dressé droit et stoïque devant la falaise, Thaddeus gardait ses yeux difficilement ouverts face aux éléments mugissants. Son appui recule contre la force d’aquilon. Son pied martèle d’un coup sec le sol, cherchant à s’enraciner pour résister, tandis que son bras droit vient attraper la baguette rangée dans son étui.
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PARTIS TEMPORUS !Sa voix s’élève, étouffée totalement par la frénésie du souffle qui essayait de le mettre à genoux. Bras levé, main tendue et agrippée fermement sur le manche en bois, une bulle semble se dessiner tout autour de son corps, coupant l’eau et le vent. Sa tête, jusque-là baissée, se redresse pour constater que plus aucune goutte d’eau ne l'atteint.
La première étape était atteinte. Mais le plus dur était à venir, car la force de la nature se dressait contre lui. Forcé à lutter sans répit, le ballotant d’une part et d’autre sans lui laisser le temps de prendre les choses pour acquis. Son bouclier se tenait entre lui et les poussées en fracas, l’eau rebondissant et ruisselant tout autour du dôme. Le plus difficile n’était pas l’eau, élément pour lequel il avait si durement travaillé, mais nul autre que la tourmente des rafales. Les regards de son père et de son frère étaient braqués sur lui, ne loupant rien de sa performance.
Le vide s’installe dans son esprit alors qu’il se concentre sur sa respiration, tenant toujours sa baguette brandie avec force. Dès lors que ses yeux s’ouvrent, sa main s’agite, emportant le torrent d’eau avec lui dans une danse étrange. Le bouclier se mélange progressivement avec la valse des flots, tournoyant tout autour de lui. Quelques gouttes s’échappent, retombant sur son visage. Mais sa détermination ne semblait pas perturbée par ces petits inconvénients. Thaddeus se sentait satisfait, il ne lui restait plus qu’à tenir le temps qui lui était déterminé afin de passer son initiation.
Tu porteras le nom des Chevalier fièrement, après ça. Porter, le terme était parfaitement choisi alors qu’il se trouvait ici, à affronter la tourmente orageuse.
Après avoir fait plusieurs tours, son bras commençait à se sentir engourdi, sa mâchoire se contractant face à l’effort. Il y était presque. Il était hors de question qu’il lâche si près du but. Un râle s’échappe de sa poitrine, qu’il libère à la force de sa voix, augmentant sa prise magique sur son sortilège. Ne souhaitant pas laisser s’échapper ce nouveau flux, il tend son bras en l’air avec assurance, accompagné de sa voix que lui seul pouvait entendre. L’orage qui grondait seulement jusque-là augmente considérablement en force, des éclats de lumière déchirant le ciel, illuminant l’obscurité. Subjugué par ce phénomène si beau, Thaddeus l’observe bouche entrouverte.
Ainsi, l’éclair semble entendre son appel, prenant nulle autre que sa baguette comme cible. Puis soudainement, sa vision se brouille. Tout s’arrête. L’eau revient frapper son visage à toute allure tandis que ses genoux plient, la main toujours tendue en l’air. Allait-il abandonner aussi proche du but ?
[N’oublie jamais d’être impitoyable. C’est la seule clémence que tu puisses t’accorder en ce monde.]
Sentant comme un courant traverser la paume de ses doigts, le jeune homme se redresse, titubant, chancelant, voguant comme s’il se tenait sur les flots. À nouveau, la lumière pourfend le ciel, le rejoignant, s’arrêtant au commencement du bois, tandis que d’un coup sec, il redirige l’énergie sur sa gauche, frappant un arbre de plein fouet.
Son succès laisse son frère sans voix. Thaddeus avait outrepassé les attentes de leur père. C’est ainsi que, devenant un vrai Chevalier, il fut introduit à la Confrérie.
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Tout était arrivé si vite, qu’il ne voyait plus les secondes passer. Une lettre, un trajet express, et le voilà de retour en France au manoir familial.
Son manoir, plus exactement. Regard fixe et accroché dans le vide, il se tenait seul avec sa mère dans la grande salle de réception. Vide. La veuve, vêtue de noir, semblait tout aussi déconcertée que son fils. Car aujourd’hui, les Chevalier ne pleurent pas une, mais deux pertes, changeant toute la dynamique familiale.
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Il va s’en remettre. Je suis sûr que père va aller mieux, avec les meilleurs medicomage et--
Il suffit !, assène sèchement la femme, exaspérée par l’optimisme de son fils.
La bouche encore entrouverte, le jeune homme se résigne, baissant la tête. Son frère n’avait pas survécu au bombardement parisien, mais son père, oui. Alité — certainement pour plusieurs mois — il n’était pas en capacité de répondre à qui que ce soit. Mais il était vivant. Cette simple pensée pour un homme simple, suffisait à garder la petite flamme de l’espoir allumée.
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Nous discuterons des arrangements après-demain. Je dois organiser les funérailles d’Auguste avant toutes choses. L’esprit du cadet eut un déclic en prenant conscience du poids des paroles de sa mère. Alors que l’avenir lui semblait complètement brumeux, les mains de la matriarche tremblaient. Elle était certainement tout aussi désorientée que lui. Ainsi, retroussant ses manches, Thaddeus décide qu’il est temps de passer au-delà du choc et d’aider comme il le peut. Il était temps qu'il assume sa nouvelle place de chef de famille. L'année 1945 s'annonçait difficile.
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Les disputes étaient nombreuses entre les deux têtes de la famille. Voyant son fils bien trop leste, la mère craignait que leur nom soit lésé. Rapidement, le cadet devenu aîné s'est plongé dans les affaires des Chevalier. Ses maigres formations le mettaient à rude épreuve, mais sa mère se montrait sans pitié face à ses doutes et ses difficultés. Il était hors de question que le prestige que cette famille avait mis des siècles à construire s'effondre à cause d’un incompétent de dix-neuf ans.
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Thaddeus, vous devez reprendre la place qui vous est due.-
Mais je ne suis pas prêt ! Je ne sais même pas comment faire, ce que je dois faire…, geignit-il.
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Moi non plus. J'ai improvisé et appris sur le tas. Me voyez-vous me plaindre ? J'ose espérer que vous portiez plus de confiance aux enseignements de feu votre père et portiez enfin vos responsabilités comme un homme. Vous êtes majeur, diantre !-
Tout semblait si facile pour Auguste…, soupire-t-il alors à mi mots.
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Il avait simplement de l’avance, c’est pour cela que vous devez absolument redoubler d’efforts et éviter que cette famille et son nom ne tombent synonyme de désastre. -
La Confrérie commence à avoir des doutes, est-ce cela ?-
Évidemment qu’ils se doutent que quelque chose ne va pas ! Votre père est un inapte. L’absence d’un Maître se voit comme la lueur d’un phare en pleine nuit. Je ne pourrais pas éternellement vous couvrir.-
Bien… Annoncez que les Verseau vont changer de dirigeant dès le mois prochain.Un sourire s’étend sur le visage de la femme au visage cerné. Thaddeus prend possession de la dernière pièce délaissée par son père : La place de Maître du Verseau au sein de la Confrérie de Morgane. Il était hors de question que leurs cousins de Limoges se saisissent du siège, encore moins des Cauvigny qui le lorgnait depuis bien trop de temps.
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Avril, et toujours aucune nouvelle de Robyn Winchester. Profitant d’un maigre temps libre, Thaddeus observait le ballottement de l’océan sur le balcon de l’aile ouest. Pas une semaine n’était passée sans qu’il demande aux elfes de maison si un courrier personnel lui avait été adressé. Seuls ceux professionnels arrivaient en trop grandes quantités. Ses épaules s’affaissent alors qu’il regarde le ciel nuageux de Bretagne. Il était parti sans rien dire, tel un voleur. Peut-être qu’elle ne voulait simplement plus rien entendre de lui… Devait-il se résigner ? Pourquoi lui manquait-elle autant ?
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Excusez-moi, Monsieur Chevalier…-
Hm ? Oh, c’est vous Caelion.L’elfe de maison hésite, évitant son regard et tordant ses longs doigts. Les sourcils du jeune homme se froncent, comprenant qu’un problème se présentait. L’elfe lui tend alors une enveloppe, possédant un sceau d’Angleterre. Son cœur semble s’arrêter tandis qu’il tourne le papier pour en voir le destinataire… Robyn. S’en voulant de continuellement mentir au maître de maison sous les ordres de la matriarche, l’elfe s’était finalement décidé à révéler que toutes les lettres identiques avaient été brûlées dès leur réception. Ordre de la maîtresse de maison, avait-il avoué. Voyant le jeune maître aussi mélancolique et avide de ces réponses, il n’avait pu s’empêcher de se confesser.
Tout devint plus clair aux yeux de Thaddeus. Si Robyn l’avait ignoré, ce n’était pas de sa propre volonté. Avait-elle seulement reçu ses lettres ? Savait-elle qu’il avait un plan pour effacer toutes traces d’impureté au sein de son arbre généalogique ?
De nombreux conflits éclatèrent au sein du manoir Chevalier ce soir-là, étrangement accompagné du tonnerre et d’un vent hurlant. Comme pour étouffer la crise qui se tramait au sein de ses murs, chaque vrombissement faisait trembler les cloisons. Pour la première fois, il tient tête à sa mère. Et pour la première fois, il comprend qu’il était encore loin d’être le maître du jeu.
Le papier froissé dans la main, ce n’était pas de gaieté de cœur qu’il se rendait outre-manche. Deux semaines s’étaient déjà écoulées depuis la réception de la lettre, deux semaines de trop. Le nouvel homme d'affaires avait un plan, un plan dans lequel il pourrait obtenir tout ce qu’il souhaite sans qu’aucun dommage ne soit causé à son nom. Puisque la réputation était la seule chose qui comptait aux yeux de sa mère, Thaddeus avait dû faire des concessions. Mais pour cela, il allait avoir besoin de la coopération des Winchester. Loin de se douter qu’il allait se confronter à un mur.
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Son nom a déjà été rayé du tableau, annonce froidement Dean Winchester, chef de ladite famille.
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Donc vous êtes prêts à rejeter une alliance avec la famille Chevalier, juste sous prétexte d’un enfant hors mariage ?-
Vous avez parfaitement compris.Le regard noir du Français tenait tête à celui qui lui était adressé. Il n’arrivait pas à concevoir qu’ils puissent cracher sur une proposition qui ne serait qu’en leur avantage.
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Désormais, il n’y a plus de sang mêlé dans notre famille. J’ai commis l’erreur de me faire attendrir et j’en paie le prix. Vous devriez faire pareil, suivez mon conseil, vous êtes encore trop jeune et aveuglé par l’amour. Le patriarche marquait un point, Thaddeus ne pouvait le nier. Assurer sa place dans la société et garder le pouvoir nécessite des sacrifices. De très grands sacrifices.
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Où est-elle ?-
À la place qu’elle mérite. Assumez les conséquences, la famille Winchester ne lui viendra plus en aide. Ce n’est pas moi qui l'ai envoyé là-bas, c’est vous. Il est temps de prendre conscience que chaque acte a des répercussions et que parfois, elles sont irréversibles. Il est trop tard pour jouer les grands héros, une fois l’enfant né, les gens feront le lien, parleront. Écoutez un peu plus votre mère, jeune homme, elle semble connaître le monde bien mieux que vous.Les idéaux d’une jeunesse dorée tombent soudainement en lambeaux. Seulement, Thaddeus ne pouvait concevoir que sa famille n’ait même pas cherché à contacter la sienne autrement que par ses propres lettres. Tout aurait pu bien terminer pour tout le monde, s’ils avaient agi. Mais peut-être que le nœud du problème était finalement là : Ils ne voulaient pas agir.
Peu importait désormais, la famille Chevalier allait rapidement faire comprendre aux Winchester ce qu’il en était que de s’en prendre à plus grand que soit. Rapidement, tous les marchés francophones qu’ils pouvaient avoir furent cessés. L’entreprise de baguettes pouvait aisément se fournir en constituants magiques.
Trouver Robyn n’avait pas été bien compliqué. Lui demander d’abandonner l’enfant, avait été le plus gros des problèmes. Un petit sacrifice qui pour elle semblait impensable. Un petit sacrifice, pour leur assurer un avenir et probablement d’autres enfants. La jeune femme n’avait pas changé d’avis, l’enfant resterait, qu’il soit là ou non. Elle avait donc choisi une vie sans lui.
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Thaddeus faisait les cent pas dans la pièce, noircie par le temps pluvieux. La pluie battante frappait ardemment sur les carreaux vitrés, couvrant le silence de la pièce. Un autre homme se tenait avec lui, simplement appuyé de sa main sur le fauteuil. Son air sérieux contrastait avec toutes les émotions qui pouvaient se lire sur le visage du Chevalier.
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Je n’ai pas le choix !, finit par confier le blond.
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On a toujours le choix, tu sais…-
Je ne peux pas… Je ne peux vraiment pas…Sa mâchoire se serre tandis que ses deux mains viennent empoigner son visage, fermant les yeux. Sa poitrine le compresse tellement qu’il la sent douloureuse, tiraillée par ce choix cornélien sur lequel il ne pouvait rien concéder.
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Tu ne peux pas, ou tu ne veux pas ?Ses bras chancellent, tombant le long de son corps bruyamment, déchirant le silence qui s’était à nouveau installé. Il fixe devant lui, perdu dans le tumulte de ses pensées.
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J’ai des responsabilités. Je ne peux pas y échapper.-
Thadd’, va au moins la voir ! Les voir… C’est tout de même ton fils… -
Non !La surprise se lit sur le visage de Gael, cherchant à comprendre pourquoi son ami défendait son point avec autant de véhémence. Il s’approche alors lentement de lui, venant poser sa main sur son épaule.
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Si je la vois… Si je le vois…, commence-t-il avant qu’un sanglot ne le prenne à la gorge.
Je ne tiendrai pas.Il ne tiendrait pas ses responsabilités. Il ne tiendrait pas ses résolutions. Il ne tiendrait plus le poids de toute sa lignée sur ses épaules. Beaucoup de si, mais si peu de possibilités. Le bébé déjà né, il ne pouvait plus rien faire. Leur destin était scellé à double tour et sa cage s’était rétrécie. L’homme qui portait le poids de son nom avait fait un choix. Il continuerait sans elle.
Pourquoi avait-il seulement écouté Gael ? Cette idée n’était pas bonne. Si sa mère venait cependant à l’apprendre, il ne garantissait pas de sa place qu’il avait mis des mois à acquérir. Cet enfant qui était devenu l’obstacle à sa relation avec Robyn était désormais âgé de cinq ans. Le temps était passé à si vive allure qu’il prenait tout juste conscience que la vie avait fait de lui un père. Un père totalement inexistant, dont le fils désirait la rencontre. Ou peut-être était-ce elle ? Préparait-elle une vengeance ? Ce n’était pas comme s’il ne l’avait pas mérité, après tout. Il n’avait plus traversé la Manche depuis toutes ces années, bien trop embourbé dans sa succession, se chargeant de sa place au sein de la Confrérie uniquement par échanges épistolaires.
La rencontre devait se faire en terrain neutre, si bien que son grand ami avait lui-même choisi la localisation. Cet échange ne devait surtout pas se savoir par sa mère. La vision de Robyn, debout, tenant la main de cet enfant, était beaucoup plus difficile à encaisser qu’il ne l’aurait cru. Sa silhouette, seulement vieillie de quelques années, paraissait si fatiguée. La femme de ses souvenirs semblait penchée vers l’enfant, qui l’écoutait en absorbant ses paroles. Il avale difficilement sa salive, gorge nouée, mots coincés qui ne pourraient jamais naître.
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Steve ! Regarde, c’est lui ton père ! Ton papa, semble se réjouir la jeune femme, alternant son regard entre l’homme qui se tenait droit debout et le petit garçon qu’elle tenait encore par la main.
Le regard baissé, ses yeux le fixent, analysant les traits de l’inconnu qui se tenait devant lui. Il ne pouvait s’empêcher de trouver des similitudes autant chez elle, qu’en lui. Thaddeus n’avait pas encore dit un mot. Il ne le pouvait plus. Son expression reste neutre, gardant le cap de ses émotions qu’il ne pouvait laisser naître. Cet enfant ne devait rien signifier pour lui. Elle, ne devait rien signifier pour lui. D’un geste lent et très cérémoniel, il sort sa baguette pour l’agiter dans les airs, formant des lettres dorées.
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[Tu l’as appelé Steve ?], la questionne-t-il en plantant son regard cette fois-ci dans le sien.
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C’était le nom pour un enfant que tu préférais. Elle s’en souvenait. Son bras s’abaisse, tandis qu’il sent le questionnement de la jeune femme, retombant lourdement sur lui comme un fardeau. Pour atteindre sa place au sommet, il avait sacrifié sa voix.
Ne parle pas, agis. Il avait compris rapidement la locution sous le blason familial. Et de tout ça, elle n’en avait jamais rien su, ne saurait jamais rien. La Confrérie était scellée avec ses mots dans le secret.
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Tu sais, il est déjà débrouillard et intelligent, pour son âge. Tu devrais voir comment il fait ses récitations en un rien de temps ! Et à deux ans, il faisait léviter des petits jouets.-
[Robyn, cesse.] Un soupir lassé s’échappe.
[Il est frêle. Mange-t-il bien ?]Il l’était autant que sa mère. Prostré en arrière de ses jupons, pas un mot ne sortait de sa bouche. La vision qui se tenait devant lui, faisait sans nul doute pitié. Il savait très bien qu’il ne pourrait jamais revenir en arrière. C’était trop tard.
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[Dis-lui que je lui accorderai quelques lettres. N’attends pas plus. Ne te fais pas de faux espoirs. On ne pourra jamais jouer à la parfaite petite famille.]Alors qu’une colère vrombissante semblait remuer ses tripes, il se détourne de la scène, de la femme, de l’enfant. Ce rêve était inaccessible et il avait fait un trait dessus depuis longtemps maintenant. Il était temps qu’elle le fasse également.
Sans elle. Deux mots. Une affirmation, un cœur déchiré tout comme le papier qui venait tout juste de lui annoncer. Le regard posé sur le tas juchant sur son bureau, Thaddeus semblait troublé. Alors qu’il paraissait être parti dans son for intérieur, loin de tous, loin du monde, son visage était figé, presque impassible. Avait-il seulement droit de ressentir le flot d’émotions que sa cage thoracique rêvait de déverser ? Non. La réponse était si évidente. Il avait perdu ce droit depuis le jour où il lui avait tourné le dos. Alors pourquoi sentait-il ce poids alourdir sa respiration et cette envie soudaine de hurler tout ce qu’il ne laissait pas naître ? Bien des occasions et des actes manqués. Que la vie est synonyme d’ironie, parfois. Lui qui avait voulu continuer sans elle, se retrouve acculé au pied de la lettre. Même s'il ne pouvait même plus parler, sa gorge se serrait de ne pouvoir tout exprimer. Le sacrifice était là, il le sentait bien trop en cet instant. Le pouvoir contre tes mots. Le pouvoir contre l’amour. C’était ce qu’il avait choisi. Pourquoi le regrettait-il amèrement ?
Ses visites en Angleterre devenaient lourdes de souvenirs. Pour autant, elles restent salvatrices. Bien moins de visages connus, bien moins de noms que sa mère tenait dans ses filets. Ici, il pouvait être ce qu’il souhaite, dormir et danser dans les bras de qui il voulait. Étrangement, ces femmes avaient toutes quelque chose en commun : elles lui ressemblaient. Maia, Métis, bien d’autres noms dont il ne se souvient plus parfois. Il semblerait que ses bévues aient donné naissance à pas un, mais deux enfants.
Enfant. Qu’en était-il de celui qu’il avait eu avec Robyn ? En dehors de quelques lettres, Thaddeus ne l’avait plus jamais revu. Préférant ignorer ses responsabilités, ignorant le petit être qui aurait bien eu besoin d’une famille. Son attention se dirige néanmoins vers lui dès lors qu’il franchit les portes de Poudlard, cherchant à savoir quel type de sorcier il deviendrait. Sa plus grande surprise fut qu’ils se ressemblaient beaucoup plus qu’il ne l’aurait jamais pensé… Après que sa magie de la foudre se soit déclarée, Thaddeus décide de prendre les choses en main et de s’assurer de ses progrès.
Au plus il passait de temps auprès du jeune Steve, au plus le regard du géniteur semblait changer. L’adolescent possédait un véritable potentiel, bien trop enfoui et trop peu exploité au goût de ce dernier. La rage qui grondait au plus profond de ses tripes était le moteur parfait pour le faire avancer. Cet enfant deviendra la parfaite machine de guerre ainsi qu’un atout incommensurable au sein de la Confrérie. Thaddeus allait s’en assurer personnellement.
🗲Héra 🗲
♫Mariage. Terme utilisé pour l’union du corps et de l’esprit de deux êtres. Longtemps décrit comme le champ de bataille des philosophes concernant son éthique et son utilité, il est pourtant une notion encore essentielle dans la société moderne. Légitimité, pour produire une descendance, l’on ne peut s’assurer que son sang et son nom ne soient perpétués que par ce serment. Il n’est pour autant pas tout le temps respecté. L’adage dit, mariage pluvieux, mariage heureux. Qu’en est-il lorsque celui-ci est orageux ?Il n’est pas de bonne grâce que d’être un homme sans épouse rendu à ses trente-quatre ans. Pour Thaddeus Chevalier, les choses semblaient se dérouler autrement. Sa réputation d’homme d'affaires de talent et de membre dévoué de la société sorcière en sont certainement pour quelque chose. Son historique lui avait permis de garder son célibat comme une affaire personnelle. Après tout, quel homme aurait pu gérer de courtiser tout en menant de front l’affaire familiale, l’héritage et un titre de Maître au sein de la Confrérie ? Terminant quelques années après son cursus Universitaire en métamagie, chose qu’il n’avait pu faire aux vues des circonstances familiales dans lesquelles il était à ses 19 ans.
Malheureusement pour lui, cette période était maintenant lointaine, ne lui permettant plus de bénéficier de ce parfait bouclier. Sa mère lui avait apporté quelques candidates et tout en soupirant, Thaddeus s’était rendu à l’évidence : Il était temps pour lui de conclure un mariage et de s’assurer d’avoir de vrais héritiers. Pour s’assurer qu’une descendance digne de ce nom lui succède et glorifie le titre des Chevalier, il lui fallait un sang plus pur que celui de tous ses autres bâtards. Un profil avait donc attiré son attention plus que les autres.
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M. Chevalier, je vous présente ma fille, Gracielle.-
[Enchanté, Mlle Cauvigny.]-
Appelez-moi Grace, si l’on signe ces fiançailles, laissons tomber les présentations formelles.-
Enfin, ma chérie, s’inquiète le père,
ce sont des présentations formelles. Vous déciderez bien de ce qu’il vous chante par la suite !Un sourire se dessine sur les lèvres du Chevalier, tandis que son regard fixe celui de la rouquine. Un caractère bien trempé, voilà un élément qui lui plaisait peut-être un peu trop.
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[Il n’y a pas d’offense, une femme qui sait ce qu’elle veut est une excellente partenaire en entreprise.]-
Partenaire en… Pardon ? Vous comptez faire travailler ma fille ? -
[Il me semble que c’est ce qu’elle souhaite, ai-je tort ?]Le regard défiant et brûlant de Gracielle lui indique qu’il a tapé dans le mille. Il semblerait qu’un peu d’égo ne lui permette pas de l’avouer ouvertement. Ou peut-être n’osait-elle pas défier son père ?
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Votre petit jeu ne m’amuse guère, Thaddeus. Mais je suis d’accord sur ce point, je ne serai pas femme au foyer. -
Bon sang, que les femmes modernes me donnent du fil à retordre !, peste le père.
Je vous laisse quelques instants d’intimité, parlez donc des arrangements que vous voulez !L’homme quitte la pièce, laissant les deux adultes dans un silence presque inconfortable.
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Je ne vois vraiment pas quel intérêt j’aurai à concéder mon second mariage à un homme tel que vous. Je connais votre réputation, votre numéro de charme ne marchera pas sur moi. Je n'ose imaginer le nombre de squelettes dans votre placard.-
[Alors que dites-vous d’un marché servant nos intérêts communs ?]-
Mais encore ?-
[Je ne cherche pas une femme comme décoration. Je cherche une partenaire. Dans une entreprise comme la mienne, les associés sont essentiels.]-
Si je suis associée, est-ce que cela veut dire que j’en détiendrais des parts ?-
[Évidemment. Et pensez-y. Nos enfants tiendront la tête de la maison du Verseau. C’est un grand avancement pour la famille de Cauvigny.]-
C’est intéressant. Continuez d’augmenter la mise, et je dirai peut-être oui.Lançant un sourire complice à Thaddeus, Gracielle décide de couper court à l’échange, rejoignant son père. Sa démarche était sûre et son maintien parfait. Il s’était décidé. La candidate parfaite, ce serait elle.
Qu’est-ce qu’un père d’une riche famille peut espérer de mieux dans la vie ? La naissance d’un garçon. Quelques mois après son mariage, son fils, la prunelle de ses yeux, venait au monde en poussant ses premiers cris. Pascal avait encore les yeux fermés tandis que le nouveau père l’observait attendri. La vie lui avait déjà donné des enfants, plusieurs même. Jamais pourtant, il n’avait pu assister au miracle de la vie. À pouvoir observer ce tout petit visage plissé qui semblait dormir si paisiblement.
Cette jouissance fut renouvelée, tandis que l’année d’après, une nuit de tempête, la seconde est née. Aliénor était encore plus petite que le précédent, ayant déjà un petit duvet blond sur le haut de son crâne. La pluie battante aurait pu en inquiéter certains, Thaddeus voyait ça comme un présage. Elle était destinée à de grandes choses, puisque lui-même était né un jour de tempête. Cette tempête n’allait pas être la seule qui s'abattra sur la famille Chevalier.
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Je me disais que tout ça était trop lisse, trop parfait. J’étais préparée. Pour autant, votre comportement ne me débecte. Un manque total de respect.-
[L’écart que j’ai commis est une erreur, je vous promets.]-
En attendant, j’ose espérer que cet enfant ne mourra pas de faim. Si cette pauvre femme vous a contacté, c’est bien qu’elle souhaite quelque chose. N'entachez pas notre nom plus qu’outre mesure, c’est tout ce que je demande. Cette conversation jette un froid dans la saison hivernale, tout comme dans le cœur de la mère de famille, amère. Une simple lettre, interceptée par erreur, avait appris à madame Chevalier qu’un enfant était né d’une femme de la société des sangs purs d’Angleterre. Les mathématiques n’étaient pas compliquées : L’enfant, nommé Raven Greenwood, avait dix-huit mois. Leur enfant en avait désormais dix-neuf. Thaddeus n’eut pas le choix que d’acheter le silence à la mère de cette dernière. Ce ne fut qu’à neuf ans que la petite fille avait demandé à le rencontrer, pour finalement préférer se tenir loin de lui. Ce qui arrangeait bien le père, évidemment.
Concentré sur sa famille, l’homme d'affaires pensait que tout allait finir par rentrer dans l’ordre, bien loin de se douter que le premier de ses problèmes allait être nul autre que son héritier. Aliénor progresse quant elle à une vitesse fulgurante, tandis que Pascal stagne et ne semble s’intéresser à rien. Cet enfant était brisé, il en était persuadé, car il n’agissait pas comme tous les autres.
Accablée de reproches et sous la pression, Gracielle avait finalement accepté que leur famille s’agrandisse encore d’une tête. Quatre ans après le premier, une nouvelle petite fille naquit, portant le prénom de Shana. Cette naissance ne fut pas comme les autres, car la déception s’était lue dans les yeux des deux parents. La mère n’arrivait pas à se lier à cet enfant, malgré tous les efforts qu’elle pouvait y mettre, elle éclatait en sanglots dès lors qu’elle était seule à ses côtés. Jamais elle n’avait ressenti une telle frustration à l’égard des deux premiers, pourtant, un sentiment étrange lui tordait les tripes auprès de ce poupon. Elle n’avait enfanté qu’échec sur échec, ne satisfaisant jamais celui qu’elle appelait son mari. Alors, un autre enfant naquit, encore une fille, nommée Barbara.
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Bien que sa lignée ait pu le décevoir, ses enfants — légitimes — ne manquaient jamais de rien. Quant aux autres… Ils avaient une place sécurisée au sein de la Confrérie, sous la maison du Verseau. Cette place, si convoitée et dont la légitimité faisait rêver plus d’un, n’était pas aussi enviable, quand on prend réellement le temps de la regarder. Sans scrupule, mais surtout sans pitié, Thaddeus les avait élevés comme des soldats plutôt que de les choyer. Chaque chose qu’ils devaient obtenir devait être sous sacrifice. Après tout, l’héritier du Verseau serait un jour l’un d’entre eux.
Sa plus belle création ne fut nulle autre que son véritable aîné : Steve Winchester. Sans aucun répit, l’homme le poussait encore et toujours plus dans ses limites, gardant la main mise sur chacune de ses actions. Même en partant à l’autre bout du monde, Thaddeus avait des yeux partout.
Alors maintenant, il était temps de mettre en place son plan : la conquête du marché anglais, dont il arracherait le monopole aux Ollivander avec la plus grande des satisfactions.