A bien des égards, Poudlard n’était pas toujours si différente des écoles moldues : on y retrouvait les mêmes travers, en des proportions disparates. Là aussi, il y avait les populaires, les sportifs, les intellos, les harceleurs, et harcelés. Et bien malgré moi, j’avais toujours fait partie de cette dernière catégorie, dans n’importe quel établissement fréquenté, à l’exception de celui qui accueillait exclusivement des personnes sourdes-muettes. Et c’était bien triste que de devoir s'ostraciser afin d’aspirer à un peu de paix.
Poudlard n’avait ainsi pas obtenu la palme du lieu inclusif, même si j’étais sans doute moins moquée ou critiquée que ceux dont les deux parents n’étaient pas sorciers. Et là encore, c’était triste à dire, mais mon nom de famille jouait en ma faveur : il était tout à fait semblable à celui d’une des familles de sang-pur de Grande Bretagne, alors que mon père, lui, était tout à fait moldu. Fait qui ne s’était pas particulièrement ébruité, bien que je n’ai jamais menti sur la nature de son sang, ou le mien.
Cependant, au sein de cette école, j’avais aussi rencontré de très bons amis, et des alliés de choix sans que je ne le recherche. Ces derniers, plutôt improbables, avaient assez de poids -appartenant à la classe des “populaires”- pour amoindrir les moqueries à mon encontre, au risque de subir des représailles. Même si je ne les cautionnais pas, soit dit en passant. L’un d’eux, particulièrement cher à mon coeur, avait cependant fini ses études… Et de manière très ironique, c’était parce qu’il était revenu me soutenir de la plus belle des façons qu’aujourd’hui j’avais des ennuis.
« Et si on la brise, ta baguette, il va t’en payer une nouvelle tu crois ? » argua le septième année en tenant ma dite baguette bien trop haut pour que je puisse espérer l’attraper.
De toute manière je ne m’y serais sans doute pas risquée, puisqu’en plus d’être un odieux personnage, ce dernier n’était pas seul. Ca faisait déjà quelques minutes que ces deux-là m’avaient prise à partie dans le couloir, et j’avais nettement décelé de la jalousie dans leur propos, auxquels je ne pouvais pas même répondre. Et c’était sans doute ça le pire : comment m’expliquer ? Comment négocier, ou simplement les apaiser, si je ne pouvais communiquer avec eux ? Il fallait dire que ça les arrangeait bien, de pouvoir interpréter à leur manière la moindre de mes réactions.
Alors je le suppliais du regard, mais n’eut droit en retour qu’à des moqueries de la part des deux garçons.
« Tu vas pleurer ? Ou crier peut-être ? Ah non c’est vrai… tu peux pas. »
Un ricanement, et usant de leur baguette, ils envoyaient la mienne se poser sur l’une des poutres du couloir. Totalement hors d’atteinte. Et je les regardais faire, totalement impuissante… Tandis qu’ils s’en allaient en riant, je sentis des larmes me brûler les yeux. Parce que je m’en voulais d’être restée si passive face à eux. Peut-être aurais-je dû essayer de les bousculer ? D’attraper ma baguette avant qu’ils ne la mettent définitivement hors de portée ? A la place, j’étais restée figée, comme un petit animal apeuré devant les phares d’une voiture. Je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même…
Not everyone has been a bully or the victim of bullies, but everyone has seen bullying, and seeing it, has responded to it by joining in or objecting, by laughing or keeping silent, by feeling disgusted or feeling interested.
Tu aurais dû intervenir. Au fond de ton cœur, tu le sais pertinemment. Pourtant tu n'as rien fait. Lorsque Colleen Lewis, une Poufsouffle de la même promotion que toi, a été prise en cible par ce petit duo d'étudiants au regard mauvais, tu t'es figée avant de reculer discrètement dans le couloir d'où tu venais. Tu t'es planquée, ni plus ni moins, te mettant à l'abri de leurs yeux cruels, à l'abri de tes responsabilités. Tu aurais pu la rejoindre, la défendre, leur dire de la laisser tranquille, mais tu ne l'as pas fait. Tu t'es cachée, Tu n'as pas le courage de Gryffondor mais bien l'égoïsme de Serpentard : tu as choisi de te protéger avant de protéger quelqu'un d'autre. Aussi gentille et douce que puisse être Colleen – et elle l'est, tu le sais –, prendre sa défense aurait attiré sur toi les foudres de ses agresseurs et ça c'était inconcevable à tes yeux. Tu sais à quel point c'est dur, d'être leur victime. Tu l'as été pendant presque trois ans, et tu l'es encore à l'occasion, alors tu refuses de leur tendre le bâton pour te faire battre. Même si cela signifie qu'ils s'en prennent à une pauvre étudiante comme la Poufsouffle, muette de surcroît, dans ton esprit c'est un compromis raisonnable. C'était elle ou toi, et tu n'as pas eu de mal à choisir qui tu voulais sauver.
Malgré ton égoïsme évident, tu n'as pas pu te résoudre à fuir. Tu aurais pu prendre tes jambes à ton cou, partir dans l'autre sens en faisant croire que tu n'as rien vu, rien entendu, mais tu n'en as pas été capable, le cœur – ce qu'il t'en reste, en tout cas – serré pour la Poufsouffle se faisant malmener. Alors tu es encore là, planquée dans un recoin du couloir perpendiculaire à celui d'où proviennent ces voix moqueuses auxquelles Colleen ne peut même pas répondre à haute voix. D'expérience, tu sais que ce n'est de toute façon pas une bonne idée. Quoi que tu pouvais dire lorsqu'on te frappait, ça les énervait, les rendait plus agressif, ou dans le meilleur des cas accentuait leurs moqueries. Avec le temps, tu as appris qu'il vaut mieux se taire et laisser faire, même si c'est une idée profondément terrifiante.
C'est seulement lorsque tu entends les rires des deux étudiants s'éloigner que tu prends ton courage à deux mains et inspires un grand coup. Tu fais quelques pas en arrière puis te diriges vers le couloir où se trouve sûrement encore Colleen de ta démarche la plus naturelle, comédienne à tes heures, égoïste et menteuse confirmée. C'est là que tu la vois avec son air perdu et ses yeux embués. Ça pourrait être toi après avoir passé un mauvais quart d'heure, une impression qui te met très mal à l'aise, te ramenant à ta propre cruauté, à ce que tu as fait – ou plutôt ce que tu n'as pas fait. « Je vais t'aider, attends. » Et te voilà qui lui tend la main pour l'aider à se remettre sur pied. Ton propre égoïsme te dégoûte presque tant il te rappelle l'attitude de Shacklebolt – Nessie, pas son ignoble frère –, des années auparavant, qui t'a tendu la main après avoir laissé ses camarades te frapper pour expier leurs contrariétés du jour. Ce jour-là, tu l'as détestée pour son hypocrisie... Et aujourd'hui tu fais la même chose. T'aurais sans doute honte si tu n'étais pas si obsédée par ta réputation, ton image, ta propre survie dans cette école qui ne veut apparemment pas des personnes comme vous. « Tu vas bien, ils ne t'ont pas fait mal ? » Tu réalises alors qu'elle ne peut pas répondre aussi facilement que d'autres camarades, surtout que sa baguette ne se trouve dans aucune de ses mains. « Où est ta baguette ? » N'ayant qu'entendu la scène, tu ne sais pas ce qu'ils ont fait de sa baguette. Cachée dans ton recoin, tu supposais qu'ils l'avaient brisée, mais maintenant que tu ne la vois pas par terre tu te dis qu'ils ont dû l'emporter avec eux.
Assise dos au mur dont la température reflétait aisément la froideur des sentiments de mes deux agresseurs, je sentais mes yeux me piquer, mes paupières me brûler, de toutes ces larmes salines que je retenais stupidement. J’avais beau savoir qu’il ne s’agissait que d’âneries -que pleurer c’était pour les faibles- je ne voulais pas donner raison à ces deux boursoufflets mal lunés. Ni même donner à ce terrible sentiment d’inutilité et de médiocrité plus de crédit. Alors, la gorge nouée, les oreilles rougies par cette maudite honte qui m’habitait en cet instant, je concentrais toute mon énergie à retenir ces quelques larmes, jusqu’à occulter le bruit des pas se rapprochant. Ce fut la voix, si proche et distincte, qui me fit relever les yeux vers la silhouette à la chevelure brune. Elysium, une fille de ma promotion, de la maison des serpents. En cinq années révolues passées à se cotoyer, je ne pouvais pas dire que nous avions échangé beaucoup plus que des banalités ou éléments ayant lien avec les cours, mais je n’avais rien contre elle, tout au contraire.
Cette main qu’elle me tendit, altruiste et secourable, me laissa un drôle de sentiment. Elle savait, n’est-ce pas ? On ne propose pas d’aider à se relever chaque personne assise au sol, à moins d’avoir eu connaissance d’un problème en particulier. Cependant, je saisis cette aide qu’on m’apportait, ravalant mes larmes et essuyant leur vestige d’un revers de poignet. Et, le regard quelque peu fuyant, honteuse d’être vue dans un tel état de faiblesse, je lui adressais un fin sourire penaud en guise de remerciement. J’avais beau ne pas être connue pour une quelconque force, étant même du genre sensible, j’imagine que personne n’aime être vue ainsi…
Les questions qui suivirent ne firent que confirmer mon impression au sujet de la Vert et Argent. Elle savait ce qu’il s’était passé, peut-être l’avait-elle vu. Malgré tout, je n’arrivais pas à lui en vouloir de ne pas être intervenue. Sans baguette je n’aurais eu que peu d’utilité, et à elle seule contre deux 7ème année, qu’aurait-elle pu faire ? Au moins n’était-elle pas partie. Lorsqu’elle s’enquit de mon état, je secouais légèrement la tête de droite à gauche. Une réponse quelque peu confuse compte tenu du fait que son interrogation comportait en réalité deux questions distinctes. Mais s’ils ne m’avaient pas physiquement fait trop de mal, je ne pouvait pas particulièrement aller au mieux. Mais j’avais vu pire, non ? Alors, finalement, j’haussais légèrement des épaules. Quant à ma baguette, cette fameuse baguette… c’était comme m’amputer d’un bras et de ma voix. Je n’étais même pas certaine que mes agresseurs mesure l’importance qu’elle avait à mes yeux. Outre l’aspect pratique, il y avait une forme de libération qui allait avec… et si je savais -heureusement- pratiquer l’informulé, je n’étais pas capable d’user de magie sans baguette. Pinçant les lèvres, je désignais alors de mon index -mes iris remontant également en sa direction- la large poutre sur laquelle ma baguette avait été abandonnée. Après quoi mon attention redescendit sur ma comparse en un regard interrogateur et sans doute plus implorant que je ne l’aurais souhaité. Sans l’aide d’un tiers, il aurait fallu que j’aille chercher mon balai pour espérer récupérer mon bien. Et il y a fort à parier qu’en usant de tels moyens, j’écope d’une belle punition… chose que je tenais à éviter à tout prix compte tenu de la situation cette année dans l’enceinte du château.
Not everyone has been a bully or the victim of bullies, but everyone has seen bullying, and seeing it, has responded to it by joining in or objecting, by laughing or keeping silent, by feeling disgusted or feeling interested.
Si tu essaies de te dire que venir en aide à Colleen maintenant compense ton inaction lorsque tu entendais des idiots se moquer d'elle et la malmener, tu doutes pourtant d'être capable de te regarder dans un miroir pour le reste de la journée. Tu risquerais de voir dans le reflet l'hypocrite que tu es devenue pour te faire bien voir des puissant·es du château. Tu te rassures avec l'idée qu'au moins tu n'as pas fait demi-tour en feignant de n'avoir rien vu à sa détresse, mais t'être planqué dans un coin en attendant d'entendre ses agresseurs s'éloigner n'a rien de courageux ou de noble. T'as le ventre serré lorsque tu lui tends la main pour l'aider à se relever, feignant de pas savoir ce qui lui est arrivé, de simplement vouloir aider une camarade de promotion aux yeux larmoyants. Tu l'aides à se relever tout en espérant que ça t'aide à te sentir mieux, pourtant lorsqu'elle esquisse un faible sourire comme pour te remercier tu n'as pas du tout l'impression de le mériter.
Tu aurais aimé que quelqu'un d'autre tombe sur cette scène, quelqu'un qui serait intervenu, qui l'aurait défendue, qui n'aurait pas fait comme toi. Toi, tu as choisi de faire passer ta sécurité avant celle de Colleen et, lorsque tu lui demandes s'ils ne lui ont pas fait mal, il n'y a plus vraiment de doute là-dessus. Tu sais ce qui lui est arrivé, mais tu as choisi de ne pas intervenir. Pour te répondre, elle se contente de hausser les épaules et ça te fait réaliser qu'elle va avoir du mal à t'expliquer où elle a mal si elle ne peut pas parler. Alors tu lui demandes où est sa baguette, sachant qu'elle s'en sert habituellement pour communiquer. Elle te montre du doigt une grosse poutre bien au-dessus de vos têtes, cachette idéale pour empêcher n'importe quel élève de l'atteindre sans magie – ou sans balai, à la limite. On te l'a fait à toi aussi, ce coup. Te frapper n'était apparemment pas toujours suffisant, il fallait aussi te rappeler que tu n'avais selon elleux pas ta place dans le château en te privant de ta baguette. T'ôter la possibilité même de faire de la magie, c'était cruel, tout autant que ça l'est aujourd'hui pour ta camarade Poufsouffle qui est aussi privée de parole par la même occasion. Alors c'est à toi de sortir ta baguette et de la pointer en direction de la sienne. « Accio. » Ton sort lancé fermement et dans un environnement calme – tu es une piètre ensorceleuse lorsqu'il y a de l'agitation ou que tu maniques –, tu vois bien vite la baguette se diriger dans ta direction. Tu la saisis avant de la tendre à Colleen. « Tiens. » Avec ça vous devriez pouvoir communiquer plus facilement, raison pour laquelle tu reprends tes questions mais de façon plus précise. « Tu as mal quelque part ? » Son haussement d'épaules de tout à l'heure ne t'as pas vraiment convaincu sur le fait qu'elle allait bien, et tu sais d'expérience combien certains coups bien placés ou une chute peuvent faire mal. « Tu veux que je t'accompagne à l'infirmerie ? » proposes-tu finalement. Si on te croise dans un couloir, tu pourras toujours prétendre l'avoir trouvée comme ça et ne pas avoir pu l'ignorer à cause d'un prof ou d'un préfet·ète. Et puis il te reste suffisamment de cœur pour ne pas vouloir l'abandonner à son sort ainsi si elle est blessée, déjà qu'elle semble en détresse.