Le plan était d’une simplicité enfantine, ce qui le rendait absolument brillant. Ils étaient largement assez de deux comploteurs chevronnés pour saisir la bouteille de whisky pur feu dans le bureau du professeur Morrow et arpenter les couloirs de l’école jusqu’à leur cachette d’un soir. Vraiment, les étapes étaient trop faciles à suivre pour que quoi que ce soit foire. Il aurait fallu être maudits pour que les choses tournent au vinaigre, pas vrai ? C’était tout du moins ce que s’était dit le plus optimiste des deux Sparks avant d’embarquer pour une folle aventure nocturne avec son meilleur ami.
« On y est presque, c’pas le moment de tout foirer. Lève bien tes gros pieds quand tu marches. », chuchota le brun, un sourire dans la voix. « Tu sais ce qu’on dit, rétorqua le blondinet dans un souffle, ceux qui ont des grands pieds ont l’outillage assorti… »
Théorie sur laquelle il aurait bien volontiers élaboré si leur situation n’exigeait pas un minimum de discrétion. Un préfet pouvait les surprendre au moindre détour et les ramener dans leur tour par la peau du cou. Une parfaite coordination était la clé de leur réussite et Lucian se retrouvait à suivre Jake comme son ombre, marchant dans chacun de ses pas avec une concentration qui n’était pas son lot quotidien… pour une bonne raison, se rappela-t-il lorsqu’un léger grincement de porte manqua de le faire sauter au plafond. Son ami s’était figé sur place, les doigts serrés sur la poignée. Les secondes s’égrenaient lentement, ponctuées par les battements désordonnés de son propre cœur. Il lui sembla qu’une petite éternité venait de passer avant que Jake se décide à reprendre leur périple, rassuré par la torpeur qui régnait toujours sur le château. Ils traversèrent rapidement la salle de classe jusqu’à leur défi suivant : une toute nouvelle porte ! Celle du bureau du professeur Morrow, cette fois-ci.
« Évidemment qu’elle est fermée. », grommela Jake.
Lucian hocha solennellement la tête. C’était, de fait, on ne peut plus attendu. Il était même plutôt surprenant que la classe n’ait pas eu droit au même égard – on pouvait s’attendre à mieux de la part d’une école qui faisait à présent le choix de racketter ses élèves à l’entrée !
« Bon, c’est le moment de voir si je maitrise alohomora. » « Y’a plutôt intérêt… sinon, c’est vraiment la loose. », renchérit le blondinet, un poil moqueur.
C’est à peine si le grand brun semblait l’écouter et en toute transparence, il faisait probablement bien... Baguette bien en main, il s’affairait à articuler doucement mais distinctement son sort. Un cliquetis métallique leur confirma son succès et Lucian s’engouffra prudemment dans le bureau. Il était vif, agile et faisait entièrement confiance à son camarade pour couvrir ses arrières. Ses doigts retournèrent méthodiquement les tiroirs du grand secrétaire en bois sombre avant de se refermer sur le précieux contenant en verre, sagement dissimulé sous une liasse de documents administratifs. Un sourire finaud étira ses lèvres alors qu’il soulevait le whisky trente ans d’âge dans les airs.
« Viens voir papa… »
Le plus dur était fait, songea-t-il. Il ne leur restait plus qu’à trouver une salle de classe isolée, s’installer et savourer leur victoire liquide. De plus en plus fanfaron, l’adolescent suivit son comparse en direction des couloirs précédemment explorés et définitivement dése…
« Bouse d'hippogriffe, on fait quoi bro ? »
Mais… ils n’avaient même pas encore passé la porte de la classe ! Lucian cherchait quelque-chose à répondre lorsque la voix sinistre et définitivement proche de Rusard lui défrisa les bouclettes. Par les burnes de Merlin ! Comment avait-il pu ne pas sentir l’approche du concierge décrépi ?
« Cours ! »
La main de Jake attrapa fermement la sienne et il se laissa emporter par l’élan du garçon, ses jambes semblant s’activer de leur propre volonté. Les grognements et le souffle court de Rusard paraissaient s’éloigner à mesure que leurs pieds martelaient plus furieusement les pavés du château. Bien, c’était très bien… mais c’était aussi facile, presque trop facile… Argus était un cracmol hargneux et retord ; il avait plus d’un tour dans sa manche... Haletant, Lucian s’accorda un regard en arrière pour constater leur avance. Grave erreur. Bavure de débutant, de bleu, de gros blaireau qu’il n’était pourtant pas… Jake tourna sèchement à l’angle du couloir et le grand blond se sentit soudain très proche d’un vieux pantin désarticulé. Le haut de son corps suivit le mouvement sans protester, sans égard pour son bassin qui accusa le choc tant bien que mal, suivi par des jambes réduites au rang de spaghettis trop cuites. Lucian sentit sa cheville droite tourner et étouffa un gémissement sourd, forçant son pied à garder le rythme malgré la douleur brûlante qui irradiait à présent ses muscles. Les dents serrées, il réprima une envie de sangloter et comprit à peine qu’ils étaient arrivés à destination lorsque leur course s’interrompit brusquement. Bouteille toujours en main, il claudiqua piteusement jusqu’au pupitre le plus proche. Il y déposa son butin avant de se laisser tomber lourdement sur le bord de la table, le genou droit replié contre sa poitrine et ses mains s’affairant déjà à défaire ses lacets. Jake finissait ses sorts de protection lorsque le Sparks se résigna à étudier sa cheville, nouvellement débarrassée de sa chaussette. Un peu rouge, constata-t-il, mais pas gonflée ou ecchymosée. C’était plutôt bon signe, jusque-là… contre toute attente, il allait peut-être échapper à une méchante entorse. Ce fût la voix de son meilleur ami qui le tira de sa contemplation :
« Pitié dis-moi que t’as pas fait tomber la bouteille en chemin. C’est qu’il court vite bordel. »
Lucian secoua la tête, affectant un air déçu.
« Pfffff, homme de peu de foi… évidemment que la bouteille n’est pas tombée, frérot ! Même que ma cheville a failli le payer cher ! », geignit-il en brandissant ses orteils en mouvement sous le nez de son meilleur ami.
La douleur avait déjà significativement diminué, pour son plus grand soulagement.
« Et pour la peine, je pense que JE devrais avoir la première gorgée ! », affirma-t-il en attrapant la bouteille par le goulot.
Lucian étudia quelques secondes le précieux liquide ambré avant de déloger soigneusement le bouchon en verre.
« Bon, quand faut y aller… »
Il brandit la bouteille au dessus de sa tête.
« Santé, bro ! »
Approchant le pur feu de ses lèvres, il laissa une bonne rasade couler sur sa langue. Il grimaça tout d’abord, pris d’une sensation désagréable de boire du désinfectant, laquelle ne fit qu’empirer lorsque que le whisky se fraya un chemin brûlant dans sa gorge. Le garçon retint courageusement une quinte de toux avant de tendre très dignement la bouteille à Jake.
« A vot’ tour, Camarade Hamilton ! », l’encouragea-t-il d’une voix étranglée.
Puis, reprenant son souffle :
« Pfiou ! C’est pas pour les mauviettes, moi j’te l’dis ! Enfin… à part pour Loskoutrov, peut-être, mais t’sais… il est russe, donc ça compte pas vraiment… »
C’était connu, non ? Les soviets se gargarisaient à la vodka dès le biberon !
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