De nombreuses fois, Geoffrey Loskoutrov s'était demandé : mais pourquoi j'ai fait ça ?!, aujourd'hui en n'étant pas l'exception. Il ne savait plus s'il devait mettre ça sur le compte des hormones ou non, mais il lui arrivait de plus en plus de situations où il n'aurait jamais dû être capable de formuler ses demandes. Normalement. Peut-être était-ce l'approche du Poufsouffle — qui était aussi son bourreau — qui l'avait finalement décidé à changer. Après l'incident de l'Amortentia, @Máni Holstein l'avait encouragé à essayer de faire le premier pas avec la rousse. S'était ensuivi de nul autre que Louis Chevalier, intervenu dans la conversation. Les deux Poufsouffle lui avaient conseillé d'inviter la jeune Gryffondor au bal de fin d'année. Évidemment, même en imaginant tous les scénarios du monde, Geoffrey ne pensait qu'aux échecs qui s'ensuivraient. Il n'était même pas sûr qu'Aisleen puisse s'intéresser à lui... Serait-il seulement assez audacieux, cette fois ? Lui qui était tant de fois resté dans l'ombre de ses sentiments, se contenant d'observer de loin.

Le voilà donc, deux semaines avant le grand bal de fin d'année, dans la salle de musique. Louis s'était trouvé être un étrange allié dans ce monde puriste dont il ne connaissait strictement rien. Malgré les séances de répétitions de danse au sein de leur salle commune, guidés par les professeurs, ce bal n'allait pas être n'importe lequel, puisque le gratin de la société sorcière allait se tenir dans l'enceinte de l'école. Geoffrey avait beau être un excellent danseur, il n'en connaissait pas pour autant les fameuses danses puritaines, chorégraphiées. Il pouvait bien faire une danse enlignée sur Elvis ou du madison.

L'énorme soupir qu'il relâche résonne dans la pièce vide. Le brun s'accote contre une table, les deux mains s'agrippant sur le rebord, tandis que son regard balayait la pièce. Ce fut au bruit de pas s'approchant de la pièce qu'il se redresse finalement derechef, droit comme un piquet.

-Euh... Sa-Salut.

Il sourit maladroitement, exprimant toute la gêne qu'il ressentait en ce moment.

Le jeune français se rendait à une activité plus ou moins étrange... L'approche du gryffondor l'avait pris par surprise, tout autant que la situation l'avait amusé. Il avait pourtant parié qu'après l'incident du cours de potion, le brun se serait terré loin du monde et n'en serait plus jamais ressorti. Il avait totalement perdu. Geoffrey était directement venu lui adresser une requête : Apprendre les danses et les étiquettes de salon des puristes. Le prenant un peu par pitié, mais également amusé par la requête, Louis avait fini par accepter. Après tout, il l'avait délibérément humilié devant toute son ancienne classe. Ce n'était pas grand-chose pour se faire pardonner. Surtout que le Russe lui avait assuré avoir de très bonnes notions de base et qu'il ne lui ferait pas perdre son temps.

- Salut !

Il se dirige alors vers l'une des tables, déposant son veston et sa baguette. D'un geste automatique, il replace ses cheveux avant de se redresser et de se tourner vers son nouvel apprenti.

- J'espère que tu es prêt ! Je suis un professeur impitoyable.

Un rictus se dessine sur ses traits... Il n'allait jamais pouvoir égaler son frère à ce niveau-là. Hayden était sévère, peut-être même un peu trop. Louis ne le serait jamais autant, encore moins pour des cours de danses de salon. Il détaille le brun de la tête au pied... Sa posture laissait clairement à désirer, puant le manque de confiance en soi. Sans parler de son maintien, il avait l'air d'un lapereau en cage. Oui, il allait décidémment avoir du boulot. Un détail le frappa néanmoins... Le poufsouffle fronce alors les sourcils.

- As-tu pris tes souliers de danse ?

Les souliers qu'il avait aux pieds étaient clairement ceux de l'école. Il ne pouvait que les reconnaître, étant donné qu'il avait les mêmes.

- Retire-moi ça immédiatement, ordonne-t-il à l'adresse des chaussures. Tu mesures quoi en taille ?

Alors que le regard du blond semble l’analyser de la tête aux pieds, Geoffrey s’écrase la tête entre les épaules. Louis était un ami proche d’Aisleen, rendant son opinion soudainement très importante. Ou peut-être était-ce l’emploi du mot impitoyable, qui le rendit soudainement incertain de ses propres capacités ?

- Euh... Mes quoi ?

À son tour, il fixe le Français, les yeux peignant son questionnement. Il existait des chaussures spécialement faites pour la danse ? Il pouvait le concevoir dans les balais, mais il n’aurait jamais imaginé que la danse de salon nécessitait aussi des chaussures particulières. Ses entrailles se tordent en songeant au prix que cela allait lui coûter. Son costume serait de seconde main, appartenant à feu son père. Tout comme les souliers qu’il avait si bien entretenus pour les années.

- Pourquoi avoir des souliers particuliers ? Est-ce qu’il y a un usage ? Ou une technique de danse ?

Ses questions étaient authentiques, il ne cherchait pas à se moquer de lui, mais bel et bien à comprendre. Malheureusement, cette simple pensait ne faisait que le ramener à l’écart entre lui et Aisleen. Il y avait tant de choses qu’il ne connaissait pas dans les codes sociaux du monde auquel elle appartenait... Alors qu’il retirait ses chaussures à la demande de son professeur du jour, une réflexion le frappe. Depuis quand avait-il peur d’apprendre de nouvelles choses ? Cette simple pensée lui donne un peu plus de vigueur, tandis qu’il observe les souliers que Louis venait de lui donner. Heureusement pour lui, ses souliers étaient à peine plus grands. Fixant ses pieds, il les tord dans plusieurs sens afin de les admirer sous toutes leurs coutures. Une fois satisfait de l’image – et d’avoir de très beaux souliers aux pieds – sa concentration revint en face de lui.

- Merci, encore... Pour le coup de main. Ou de pied ?, tente-t-il ironiquement, d’un sourire incertain.

La présence de Louis était un peu trop imposante à son goût. Comme beaucoup trop d’autres personnes, par ailleurs. Néanmoins, il n’avait pas les mots pour exprimer sa gratitude de venir en aide à un total inconnu, qui ne lui avait, pour le moment, rien demandé en retour.

Non. C'était impossible. Sur quel phénomène était-il tombé, encore ? Lui qui se prétendait bon danseur — selon ses propres mots, ou ceux de sa mère, peu importait — n'avait aucune idée du genre de souliers à porter. Un outrage. C'était un outrage à toute la bienséance. Et surtout aux beaux parquets lustrés, permettant de glisser avec harmonie, complètement bousillés par des rayures. Le Poufsouffle prit une grande respiration, cherchant à rester le plus courtois possible.

- D'accord, je vois. On part de loin. Très loin, soupire-t-il. Pour éviter de remplacer les parquets après chaque événement dansant, les souliers doivent être adaptés. Ils aident aussi au confort du pied.

Croisant les bras, il attend patiemment de voir si les souliers pouvaient bien lui aller ou non. À en croire l'aisance avec laquelle il admirait les chaussures sous toutes leurs coutures, elles devaient convenir. Sa contemplation commençait à devenir longue, mais notamment, elle en disait beaucoup sur lui. Il n'était pas habitué à ce genre d'habits. En avait-il seulement les moyens ? Difficile de le juger alors qu'ils portent le même uniforme, aux couleurs qui diffèrent.

- Au-

Phrase laissée en suspend, la bouche encore entrouverte, la touche d'humour du Russe le frappe. Il le regarde d'abord consterné face à une blague aussi simple, avant de partir à rire. Louis était heureusement un bon public, même s'il est peu habitué à ce genre de plaisanteries.

- Ouais, évite ce genre de blagues quand tu vas danser avec elle, lui dit-il d'un visage moqueur.

Tout en se penchant légèrement vers son acolyte Gryffondor, Louis lui donne deux petites tapes encourageantes sur l'épaule. Une fois de retour dans une posture droite, ses bras s'étendent : un en l'air et l'autre plus bas, au niveau des hanches.

- Commençons !

L'expression du brun devient coupable, tandis qu'il rentre sa tête entre les épaules. Il avait visé juste, Geoffrey venait de très loin de l'univers auquel le Poufsouffle et Aisleen appartenaient. Bien conscient qu'il l'avait déçu avec ses questions idiotes, il se mord l'intérieur de la joue, retenant ainsi ses paroles maladroites. Jamais dans sa vie, il ne s'était soucié du parquet pour danser. Peut-être parce que les vieilles lattes de bois dans la maison de ses parents se fichaient bien de quelques égratignures supplémentaires. Comme il apprenait toujours de ses leçons, Geoffrey note dans un coin de sa mémoire que les souliers étaient importants selon les occasions... Il se garde bien de demander à Louis les autres spécificités, de peur que le Français décide d'en avoir marre et rebrousse chemin. Il devait connaître ces danses, sinon, il n'oserait jamais lui faire face.

Paupières écarquillées, il constate que même son humour était maladroit. Tout comme il pouvait être de mauvais goût. Bien habitué à ce que ses blagues ne fassent pas tout le temps rire, le Russe affiche un air désolé.

- Je note... Des souliers adaptés et me restreindre sur l'humour.

Quand enfin son professeur se place, les bras étendus, Geoffrey prend une grande respiration pour se donner moindrement contenance. La petite tape sur son épaule l'avait sûrement encouragé, Louis n'était pas encore désespéré de lui, au point de partir en courant. Il paraissait même... compatissant ?

- Il existe combien de chorégraphies ? Les pas sont en combien de temps ?, questionne-t-il tout en plaçant une main dans celle de Louis et l'autre sur sa taille.

La sensation aurait pu être étrange, étant donné qu'il s'entraînait avec un garçon, mais elle ne l'était pas. Geoffrey avait souvent dansé avec son père ou attirer ses amis masculins dans des danses improvisées. Il était ici en territoire presque connu, lui donnant ainsi plus d'assurance.