Un désastre. Voilà comment Aisleen décrirait les talents en sortilèges de Louis. Pour éviter un aller simple à l’infirmerie ou tout autre effet aussi indésirable qu’imprévisible, elle avait vite compris qu’il valait mieux se tenir loin du Français dans tous les cours dans lesquels il était nécessaire d’utiliser sa baguette. Bref, presque tous. Ce n’était évidemment pas parce que sa compagnie était désagréable ou parce qu’il dégageait une odeur déplaisante. Au contraire, depuis son arrivée à Poudlard, elle apprenait doucement à connaître celui qui, avait-elle appris, devait épouser celle qui était rapidement devenue l’une de ses plus précieuses amies. Non, si elle préférait prendre ses distances, c’était bien parce que chaque petit coup de baguette de la part du Chevalier équivalait à jouer à la roulette : les résultats pouvaient être tout à fait inoffensifs ou carrément désastreux.

Le problème commençait à la chicoter sérieusement. Ce ne devait pas être plaisant de vouloir lancer un sort précis et de voir celui-ci se retourner contre soi, provoquer des catastrophes ou tout simplement échouer. L’esprit de la rouquine était donc entré en mode analyse approfondie, observant attentivement le Poufsouffle lorsqu’il devait s’exécuter. Après quelques semaines, Aisleen avait tiré une conclusion : la communication entre la baguette et son propriétaire était la source du problème. Si les mouvements étaient en général plutôt bien exécutés, les prononciations, elles, méritaient d’être quelque peu affinées. Elle avait d’ailleurs tout noté dans un petit carnet, encerclant certains éléments, en biffant d’autres ou en ajoutant des points d’interrogation lorsqu’elle avait des doutes.

Les mauvaises langues auraient pu dire qu’elle s’acharnait et qu’elle aurait mieux fait de se mêler de ses affaires, mais ses intentions étaient nobles et pures : elle souhaitait venir en aide à son ami. L’idée lui était venue alors qu’elle aidait une jeune Gryffondor de troisième année avec ses devoirs de métamorphose. Depuis son arrivée à Poudlard, Aisleen s’était toujours portée volontaire pour faire du tutorat ou accompagner les nouveaux élèves ou ceux en difficulté. Louis tombait dans ces deux catégories. Ne voulant pas l’insulter en lui proposant des séances particulières, elle avait longuement hésité à lui faire part de ses plans. C’est Orphea qui, ayant perçu la lueur de doute dans ses yeux, l’avait semé d’arrêter de tourner du pot et de cracher le morceau. Elle s’était donc exécutée, lançant l’invitation en insistant sur le fait qu’il pouvait très bien la refuser.

Pour son plus grand bonheur, celui-ci avait accepté volontiers. Il n’en fallait pas plus pour que Professeure Greengrass lui donne rendez-vous dans une salle de classe vide du troisième étage, un vendredi soir après les cours – et avant le couvre-feu, bien évidemment. Le grand jour arrivé, elle avait enfilé des vêtements confortables après avoir dîné, puis était aller préparer son petit cours. Elle avait apporté divers objets pouvant être utiles pour s’exercer à lancer certains sorts. Dos à la porte, une main venant supporter son coude alors que l’autre soutenait son menton, elle songeait à la disposition optimale des tables et des bancs, voulant bénéficier d’un espace où ils pourraient bouger librement. Entendant des pas derrière elle, la Gryffondor se retourna vers la porte, souriant en voyant que son élève ne lui avait pas fait faux bond.

« Louis, bonsoir! Tu tombes bien, j’étais justement en train de terminer les derniers préparatifs. »

La fierté manifeste qui vint illuminer le visage de la rousse lorsque Louis la complimenta sur son organisation vint à elle seule justifier la décision que le Choixpeau avait pris six ans plus tôt. Bien sûr que la demoiselle était organisée! C’était bien là l’une de ses forces. Bon, soit, elle pouvait parfois être un tantinet excessive dans son approche. L’avait-elle été dans la gestion du dossier « Catastrophe Chevalier »? Indubitablement. La tête bien droite, un petit sourire aux lèvres, elle ne cachait pas du tout son orgueil gonflé qui, fallait-il l’avouer, lui donnait un air princier et légèrement hautain. Pour ajouter au portrait, elle croisa les bras, hochant la tête en regardant son apprenti de la soirée.

« Tout le plaisir est pour moi », rétorqua-t-elle sur un ton aussi satisfait que sincère, ponctuant le tout d’un petit signe de tête à son attention. « J’ai toujours pensé que s’entraider entre amis était une technique d’apprentissage aussi bénéfique que celle d’apprendre des professeurs. »

C’est ce qu’ils étaient, non? Des amis? En tout cas, pour sa part, Aisleen considérait le Français comme tel. Certes, entre elle et lui, c’était différent qu’avec Orphea, avec qui une alliance solide s’était formée sur le champ et tout naturellement, comme si elle avait retrouvé une grande amie qu’elle avait égarée quelque part au fil des vies et des siècles. Évidemment, elle ne lui ferait jamais part de cette vision fantasque du lien qui les unissaient – la Serdaigle se ferait un bien trop grand plaisir de lui rappeler que ce genre de choses n’existent que dans les livres.

Entre Louis et elle existait une sorte de distance qu’elle avait du mal à comprendre. Elle ne se doutait absolument pas qu’une pernicieuse petite jalousie en était la cause. Si elle se faisait un plaisir de pouvoir prêter main forte à un camarade de classe, elle espérait que ces petites leçons privées pourraient également les rapprocher. C’est qu’elle n’avait aucunement prévu de lâcher la future Madame Chevalier de sitôt, et qu’il lui semblait tout à fait logique, ainsi que plutôt convenable, qu’elle s’entende à merveille avec le fiancé. Il allait d’ailleurs devoir se montrer à la hauteur – et pas seulement en matière de sortilèges. Elle y veillerait personnellement. Mais ça aussi elle le gardait secret.

« Et si nous commencions par un exercice facile? Un sortilège de base : celui de lévitation! »

Dégainant sa baguette, elle la tendit de sa poche et effectua un gracieux mouvement de va et vient du poignet, le petit doigt levé en l’air comme lorsqu’elle prenait le thé, prononçant la formule que tout bon sorcier de seize ans connaissait sur le bout des doigts : Wingardium Leviosa. Aussitôt, l’un des pupitres s’éleva dans les airs, flottant comme un nuage tout juste devant eux. Aisleen, le dos bien droit, contrôlait sa trajectoire avec minutie. Lentement, comme si elle dirigeait un orchestre, elle bougea sa baguette pour ordonner au meuble en bois d’atterrir en douceur un peu plus loin devant eux, dans un silence presque total. Elle jeta un coup d’œil au Poufsouffle en abaissant sa baguette, l’air un peu incertain.

« Hm… Par contre, je pense qu’il serait quelque peu – comment dire – prématuré de te demander de faire léviter un meuble aussi lourd dès le départ. » La rousse grimaça un peu. Voilà qui était un peu maladroit. « Pas que je doute de tes capacités, mais compte tenu de ce qui s’est passé en cours lundi je pense qu’il serait plus prudent de commencer avec plus petit et léger. »

Une perte de contrôle. Un sortilège dévié. Les cheveux bouclés d’une pauvre Serpentard qui s’étaient emmêlés en un nœud épouvantable avant de prendre feu. Trois fois rien, en vérité. L’infirmerie de l’école avait vu passé bien pires cas. Seulement, la Gryffondor n’était pas tout à fait convaincue de courir le risque qu’un pupitre explose et qu’ils finissent tous les deux transformés en porcs-épics, empalés par des milliers d’éclats de bois pointus. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle sortit une grande plume d’autruche de sous ses notes, venant la déposer sur le pupitre qu’elle venait de faire voler.

« Je ne connais pas le cursus de Beauxbâtons, mais ici, c’est un sortilège qu’on enseigne dès la première année. On commence par un truc léger, puis on augmente peu à peu le poids. Vas-y, fais léviter cette plume! »

Sur ce, elle se décala sur la droite, ses doigts serrés sur le manche de sa baguette, prête à intervenir en cas de catastrophe. L’exercice était d’une simplicité élémentaire; il ne pouvait pas rater, si?