| "Un don et deux malédictions" |
Le souvenir le plus marquant de son enfance remontait à ses 7 ans. Luke venait de finir un repas avec son père. En touchant Kiara, l'elfe de maison, il avait eu un choc. Tout d’un coup, l’image de l'elfe face à lui et de son père assis à table fut remplacée par celle de Kiara qui sortait du manoir, encapuchonnée, puis courait, courait...
L'enfant ouvrit les yeux, allongé sur le sol. Il ne se souvenait pas d’avoir chuté. Et il ne comprenait pas ce qu’il avait vu. Kiara, fuir ? L'elfe de maison qui l'avait quasiment élevé et éduqué ? Cela ne faisait aucun sens. Elle était un pilier dans sa vie, dans cet immense manoir où il vivait seul avec son père qui était toujours très occupé, et Luke avait une confiance aveugle en elle.
Il lui raconta immédiatement ce qu'il avait vu et... Kiara se figea. Percival Gaunt se rapprocha d'eux. Luke était persuadé qu'il allait se faire gronder – il avait forcément fait quelque chose de mal, ce n'était pas normal – alors il baissa les yeux. Il respectait son père, mais il le trouvait aussi très impressionnant. Percival Gaunt ne pouvait pas voir, mais il savait toujours, étrangement, quand Luke faisait quelque chose qu’il ne devait pas. Peu importait qu’il soit à l’autre bout de cette grande maison... Ironiquement, quand Luke essayait volontairement d’attirer son attention, c’était l’inverse qui se produisait, et il aurait aussi bien pu être un fantôme...
Cette fois, cependant, le patriarche des Gaunt souriait. Luke ne se rappelait pas l’avoir déjà vu sourire ainsi.
« Luke. Viens avec moi. »Il l’emmena loin de Kiara, à qui Luke eut tout juste le temps de lancer un regard perplexe et légèrement effrayé. Il y eut un petit silence, puis Percival Gaunt explosa de rire et de joie :
« Mon. fils. l’a ! » s’exclama-t-il en attrapant le garçon par les épaules. Ce dernier le fixa, interdit :
« Pa... papa ? »Il n’avait pas fait de bêtise, finalement ? Son père lui expliqua alors qu’il n’avait pas juste hérité du don de parler aux serpents, comme Luke le croyait, mais aussi de la capacité de lire l’avenir.
« On va commencer tes entraînements dès ce soir et ton initiation demain, à la première heure. »Sur le moment, le jeune garçon fut ravi que son père s’intéresse à lui, veuille enfin passer du temps avec lui... Il ne comprenait pas tout, mais il allait faire de son mieux pour qu’il soit fier de lui ! Il était tellement emballé qu'il ne réalisa pas tout de suite que Kiara avait disparu. Volatilisée. Son père ne lui donna jamais aucune explication, et l'enfant n'osa pas demander ce qui lui était arrivé, mais il avait des doutes et conservait en son for intérieur de la culpabilité pour le sort de cette elfe dont il avait été si proche par le passé.
Le lendemain, Percival Gaunt révéla à son fils l'existence du Conseil de Morgane et le garçon comprit que le "don" du troisième oeil, chez les Gaunt, relevait davantage d’une malédiction. Il signifiait qu'un jour, l'enfant devrait prendre la place de son père à la tête de la famille Gaunt et de la Vierge. Or, celle-ci ne demandait pas seulement de sacrifier sa vue pour la diriger... À l'âge où les enfants idéalisaient encore leurs parents, Luke savait depuis longtemps que ces derniers n'étaient pas éternels, puisque sa mère était morte en couches. Mais ce jour-là, il comprit qu'un jour, son père l'abandonnerait aussi. Percival Gaunt n'était certes pas très démonstratif, mais Luke l'aimait et il n'imaginait pas sa vie sans lui. Et pour lui succéder, il devait accepter de le voir partir. Deux sacrifices pour le prix d'un.
Cette angoisse et cette injustice grandirent insidieusement avec Luke. Au fil des ans, elles prirent de plus en plus de place dans la vie du jeune héritier, et enflèrent jusqu'à créer en lui un infini désir de liberté.
| "La langue de vipère et le bras cassé" |
Après Kiara, l'elfe de maison Solène entra au service des Gaunt. Elle était très différente et Luke ne l'aimait pas. Il se mit à passer plus de temps seul dans la maison, à explorer les environs du domaine, ou la bibliothèque les jours de pluie. Il préférait les activités d'extérieur : construire une cabane dans le jardin, chasser les gnomes du potager, lire tout en haut d'un arbre. Pour ses 8 ans, son père lui offrit son premier vrai balai volant et Luke se découvrit une obsession pour le vol. Il aimait être au-dessus du sol, foncer dans les airs, la sensation de liberté...
« Maître Luke, maître Luke ! » Solène passait ses journées à courir derrière lui pour l’empêcher de voler trop haut. Luke ne faisait même pas exprès de l’ignorer : quand il était sur son balai, rien ne pouvait l’atteindre. Il était dans son petit monde. Même les deux pieds sur terre, il pouvait être difficile d'attirer son attention. Luke pouvait partir dans ses pensées, parfois en plein milieu d’une conversation, ce qui donnait l’impression à ses interlocuteurs qu’il les snobait complètement.
« Maître Luke, je vous ai dit de ne pas zigzaguer entre les ar... OH ! » Immanquablement, Luke finit par se casser un bras. Le garçon n’avait jamais vu une telle colère sur le visage de son père. Il y avait un soupçon d'inquiétude dans son expression, également, mais l'enfant fut surtout frappé par sa colère. Et cela pouvait se comprendre. Après tout, Percival Gaunt avait dû faire face à une décision très difficile le jour où son fils était né et sa femme décédée. L'enfant aurait pu ne pas survivre non plus. Et cet idiot le remerciait en mettant sa vie en danger.
« Qu'est-ce qui t'a pris ? Je t'avais pourtant dit de faire attention ! »« Je suis désolé », bafouilla le garçon, les yeux rivés sur ses pieds. Même si son père ne pouvait pas le voir, il ne parvenait pas à soutenir son regard. Ce dernier se retourna vers Solène pour la sermonner à son tour.
« J'espère que cela servira de leçon au jeune maître », grommela l'elfe alors qu'ils rentraient tous les trois de Ste-Mangouste. Percival ouvrait la marche, les deux autres avançaient légèrement en retrait.
« Maître Gaunt est très occupé et il n'a pas le temps de gérer des enfantillages, quant à Solène, elle a bien assez à faire, déjà qu'elle prend des risques à chaque fois qu'elle nourrit Paga, pauvre Solène, et maintenant elle doit gérer les accidents du jeune maître qui ne sait pas que les humains ne sont pas faits pour voler et... »Luke laissa l'elfe de maison râler tout bas et, quand son père fut assez loin pour qu'il ne l'entende pas, il lui répondit :
« Je te promets de ne plus causer de souci à mon père. » Et c'était vrai, il avait appris la leçon : la prochaine fois, il attendrait que son père s'absente pour le travail avant de grimper sur son balai.
Le jour de la rentrée de
septembre 1974, Solène affichait un air soulagé tandis qu’elle poussait le chariot à bagages de Luke en direction de la voie 9 ¾. Le garçon marchait devant en transportant joyeusement son petit terrarium de voyage. Son parrain Thaddeus lui avait offert un boa des sables pour fêter son entrée à Poudlard. C’était un serpent mâle tacheté noir et or, qui ne mesurerait pas plus de 40 cm. Luke l'appelait Bowie, mais il avait un nom en fourchelang beaucoup plus compliqué à prononcer et impossible à écrire ici. Les boas des sables faisaient généralement de piètres animaux de compagnie, car ils n'appréciaient pas d'être manipulés et étaient facilement stressés par le changement. Leur autre particularité était que leurs yeux étaient placés assez hauts sur leur crâne, ce qui leur donnait un air comique que Luke trouvait adorable. Il avait prévu d’installer Bowie dans un terrarium confortable près de son lit dans son dortoir à Serpentard et de ne pas le déranger outre mesure. Il était content d’avoir quelqu’un avec qui pratiquer tous les jours le fourchelang. S’il n’était pas très actif, le serpent s’avérait en revanche très bavard. Un peu langue de vipère sur les bords, même.
Le garçon était tout excité d’aller à Poudlard, mais surtout de rencontrer d’autres enfants de son âge. C’est que la compagnie manquait un peu, au manoir... Le jeune héritier alla vers tout le monde le jour de la rentrée, en bombardant les autres élèves de questions curieuses. Et Bowie commentait tous ceux qui passaient sous son nez de serpent.
« That kid lookssss weird. »
« Bowie, please. Je te présente Bowie. Ne fais pas attention à lui, il est très gentil. »« De quoi tu parles ? »« Pardon, à force j'oublie que la plupart des gens ne parlent pas le f...»« Oh, that one issss definitely going to Hufflepuff. »
« For the love of Merlin, Bowie ! »L'un d'eux s'appelait Ryan Ollivander. Plus posé et plus sage que Luke, il devint rapidement comme un frère pour lui, le garde-fou qui l'empêchait – en règle générale – de s'attirer trop d'ennuis. Et les ennuis, pour Luke, commencèrent dès la Cérémonie de répartition. Lorsque le Choixpeau se posa sur sa tignasse brune, le vénérable artefact resta silencieux dans sa tête, puis d'une voix forte, il affirma :
« SERDAIGLE ! »« QUOI ? » s'étrangla Luke, faisant planer un court silence malaisant dans la salle.
(Il avait l'habitude de parler seul et assez fort dans le grand manoir quasi vide...)
Il n'avait même pas fini sa première journée à Poudlard qu'il faisait déjà honte à son nom... Son père serait tellement déçu. Par-dessus cela, le garçon découvrit la joie (non) de partager sa chambre avec d'autres enfants. Il ne fit aucun effort pour ranger convenablement son côté du dortoir, décidé à apposer sa marque en signe de protestation. Heureusement que Ryan était là pour lui remonter le moral.
Si la réaction de son père ne fut pas celle qu'il craignait, le garçon mit tout de même quelque temps à accepter qu'il était bel et bien un Serdaigle. Comme le démontraient ses recherches enjouées pour constituer un arbre généalogique qui remontait jusqu'à Salazar Serpentard ou son acharnement à remettre en question tout ce qu'il ne comprenait pas du premier coup. Luke aimait apprendre, mais pas seulement : il aimait contrôler les connaissances qu'il ingérait. Faussement humble, il appréciait l'idée d'en savoir plus que les autres. Il aimait surprendre et avoir le dernier mot. Il n'était pas violent – le sarcasme avait toujours été son moyen de défense préféré – mais c'était une des raisons pour lesquelles l'esprit de compétition du Quidditch lui parlait tant : le plaisir de l'emporter sur les autres.
En classe, ses matières favorites étaient celles qui allaient un peu plus loin que la magie pratique, qui l'amenaient à penser, rêver, imaginer : l'astronomie, la divination, l'histoire de la magie, l'étude des runes aussi. Il était moins emballé par les autres cours, mais il faisait l'effort de bien travailler pour conserver une bonne moyenne. Régulièrement, son esprit voletait en direction du Quidditch. Bientôt, ce serait son moment... Mais ce n'était pas la seule raison pour laquelle il attendait avec impatience d'entrer en
deuxième année.
| "Pour la science, comme disent les Moldus !" |
Lorsque Luke avait découvert l'existence des sombrals à Poudlard, il s'était persuadé qu'il pourrait les voir lorsqu'il prendrait la diligence qui amenait les élèves de la gare de Pré-au-lard au château. Après tout, il fallait avoir vu la mort pour voir ces créatures et Luke l'avait frôlée, tout en perdant sa mère. De plus, sa baguette contenait un crin de sombral, c'était forcément un signe...
Imaginez sa déception lorsqu'il ne vit rien du tout. Il se sentit presque trahi. Sur le moment, le Serdaigle ravala sa frustration, comme un grand garçon. Mais de là naquit une nouvelle – énième – obsession.
En parallèle à cela, il postula dans l'équipe de Quidditch de Serdaigle au poste de poursuiveur. Et échoua lamentablement. Le capitaine décela tout de même un certain potentiel en lui, et lui proposa de tenter le poste d'attrapeur lorsqu'il se libérerait l'an prochain.
Ce qui s'avéra plus fructueux. Entre-temps, le jeune Luke avait bénéficié d'une impressionnante poussée de croissance qui lui permettait de toiser les camarades les plus grands de sa volée et même quelques quatrième années. Lorsqu'il revint victorieux de ses essais dans le dortoir de Serdaigle, Bowie l'accueillit avec son flegme habituel :
« Ssssshould have sssseen it coming, boy. I've sssseen you fly from the Tower. You fly better when you're on your own. »
« Too bad Quidditch is a team sport, am I right ? »
« Do you really need thisssss to fly ? »
« I don't have wings, Bowie. Besides, being on a broomstick outside of flying classes is forbidden. »
« Oh, but to have wingsssss... »
« Where'd you fly to ? »
« SSssssahara ! » siffla joyeusement Bowie en relevant la tête.
Luke lâcha un rire. Il avait l'air aussi fier qu'un petit serpent peut l'être.
« Ha ! Honestly, I should have seen this coming, too ! »Son échec l'année précédente n'était pas étonnant dès lors que l'on connaissait la façon de fonctionner de Luke. Habitué au calme et à la solitude dans l'enfance, il préférait faire les choses par lui-même. Pour lui, les travaux de groupe étaient une torture. C'était un enfer pour les autres aussi : le Serdaigle semblait seul maître du désordre dans lequel il évoluait, et ses parchemins ne faisaient pas exception.
Le garçon écrivit immédiatement une lettre à son père pour lui annoncer la bonne nouvelle. Comme Percival Gaunt ne pouvait pas lire – et que Luke n'avait pas confiance en Solène pour lui faire la lecture sans rajouter ses petits commentaires à chaque ligne – il avait utilisé une Beuglante. Nul doute que le chef de famille des Gaunt fut absolument ravi d'être accueilli par la voix de son cher fils hurlant "JE SUIS PRIS DANS L'ÉQUIPE DE QUIDDITCH" un matin au petit-déjeuner.
S'il prenait ses études et ses entraînements très au sérieux, Luke continuait aussi ses petits projets de recherche en parallèle. L'un d'eux était dans une impasse : il ne pouvait toujours pas voir les sombrals. Comme il était raisonnable, il décida qu'il devait simplement trouver quelqu'un qui détenait cette capacité, l'emmener dans la forêt et – oui, la Forêt interdite – et lui demander de lui décrire tout ce que faisaient ces animaux merveilleux dans leur habitat naturel. "Pour la science, comme disent les Moldus !" était sa phrase préférée. Ce projet l'obsédait. Et en filigrane, une peur inavouée : et s'il quittait Poudlard sans pouvoir les voir ? S'il devenait aveugle avant ?
Heureusement pour sa future victime, Luke ne trouva personne en troisième année.
En
quatrième année, il était trop occupé à préparer ses examens de premier cycle – obtenant une moyenne d'Effort exceptionnel – et à découvrir les joies de l'adolescence. S'il était naturellement enclin à faire n'importe quoi pour le plaisir d'apprendre de nouvelles choses, ce trait de personnalité semblait s'exacerber avec l'âge. Heureusement, en bon Serdaigle, Luke faisait toujours les choses de manière calculée – même quand elles étaient stupides. Il ne cherchait
pas volontairement à s'attirer des ennuis, ou à donner des cheveux blancs à son père – il n'avait pas envie d'être un fils indigne, vraiment – mais c'était le seul moyen qu'il avait d'exprimer le malaise qui enflait en lui année après année. Et celui-ci n'avait rien à voir avec les hormones. Luke aurait pu en parler avec son père, si seulement les deux Gaunt avaient appris à communiquer leurs sentiments l'un envers l'autre.
Luke faisait donc n'importe quoi "pour la science comme disent les Moldus" – il découvrit avec ses amis qu'un passage secret menait à Pré-au-lard, que la boutique Chez Zonko était la meilleure invention de ces dix dernières années, que le whisky pur-feu n'était pas si mauvais quand on y ajoutait du jus de fruits, que deux filles dans sa classe embrassaient particulièrement bien et que les Gryffondors et les Poufsouffles organisaient les meilleures fêtes de l'école.
| "Visions, rêves et réalité" |
Peu avant la fin des B.U.S.E.S., un accident se produisit. Ce n'était pas un épisode dont Luke aimait parler, et il était probable que très peu de gens soient au courant de l'événement. Pris dans la frénésie des révisions, l'adolescent enchaîna quelques nuits blanches et passa les derniers jours dans un état second, ce qui expliquait peut-être avec quelle vivacité la vision s'imposa à lui. Il sortait du château lorsqu'il bouscula accidentellement un autre élève et s'effondra, pris de convulsions. À son réveil, il agrippa violemment son camarade, qui lâcha un cri apeuré. Pour sa défense, Luke avait l'air complètement hagard et ses cernes n'arrangeaient pas les choses.
« C'est. toi. » articula le Serdaigle en reprenant sa respiration.
L'autre garçon devint pâle comme un fantôme. Le don dont Luke avait hérité n'était pas un secret, sa propre tante, directrice de Serpentard, possédait elle aussi le troisième oeil et enseignait la divination. Elle l'aidait toujours quand il avait des questions. Mais il évitait d'en parler et ne s'en vantait jamais.
On lui avait déjà demandé s'il savait prédire l'issue des matchs de Quidditch. Luke n'avait jamais eu de vision à ce sujet, du moins... aucune qui ne lui soit restée en mémoire. Il avait compris depuis plusieurs années qu'il faisait des rêves prémonitoires, mais comme ceux-ci étaient toujours flous au réveil, il n'y faisait pas attention. En revanche, il sentait régulièrement que son instinct le tirait dans un sens ou dans un autre, et il interprétait cela comme les réminiscences de ses rêves. Il était excessivement doué pour lire les matchs et anticiper les mouvements du vif d'or, mais si c'était grâce à son don et pas à son talent d'attrapeur et son travail acharné ? Cette question faisait partie des rares auxquelles il ne voulait pas de réponse.
Quoi qu'il en soit, Luke ne sautait pas souvent sur quelqu'un pour lui déclamer une prédiction, aussi la terreur dans le regard de son camarade était-elle tout à fait légitime.
« Tu vois les sombrals », affirma-t-il.
« Je t'ai vu avec moi, dans la forêt. C'est toi que je cherche depuis tout ce temps ! »« Mais de quoi tu parles ? Je ne vois pas les... »« Ne me mens pas. Je t'ai vu, tu comprends ? Je te promets que je révélerai pas ton secret, mais j'ai besoin de toi. C'est très important. Tu dois absolument venir avec moi ! »Voilà comment Luke et ce pauvre élève s'étaient trouvés dans la Forêt interdite à la veille des vacances d'été. L'aventure ne fut pas un succès. Oh, la vision du Gaunt ne l'avait pas trompé : ils avaient bien trouvé les sombrals. Luke ne les avait pas vus, mais ils avaient jeté des bouts de viande séchée dans les airs qui avaient disparu dans des bruits de mastication.
Un des plus beaux moments de sa vie.
Les choses s'étaient compliquées sur le chemin du retour. Dans la Forêt, les mauvaises rencontres étaient légion. Luke eut plus de chance que son camarade, qui fut blessé. Alors qu'ils s'échappaient, le Serdaigle réalisa dans quel pétrin il les avait mis. Il n'y avait aucun moyen de tourner cette situation en sa faveur : il serait accusé d'avoir enfreint le règlement pour une raison égoïste et d'avoir blessé un autre élève. Il serait renvoyé de Poudlard. Quand il parut évident qu'ils n'étaient plus suivis, le Serdaigle sortit sa baguette pour appeler les secours, tout en soutenant son camarade. Le regard de ce dernier était fébrile, mais accusateur. Et au lieu de lancer des étincelles rouges avec sa baguette... Luke paniqua.
« Confundo ! »À l'arrivée des professeurs, Luke expliqua qu'il avait vu son camarade entrer dans la forêt et qu'il l'avait suivi sans réfléchir pour le ramener, lorsqu'il s'était fait attaquer. Comme ce dernier était incapable d'exprimer une pensée cohérente, il fut amené à l'infirmerie et échappa probablement au renvoi à cause de son état critique. Quant à Luke, on le félicita pour son courage et son sang-froid. Le temps que l'autre soit remis sur pieds et capable d'exprimer sa version des faits, l'été était déjà bien entamé et quelque chose empêcha l'affaire de se retourner contre Luke. Il ne savait pas quoi exactement. C'était peut-être la culpabilité qui pesait sur sa conscience, mais à chaque fois qu'il croisait le regard de son père, il avait l'impression qu'il
savait ce qui s'était exactement passé.
Peu avant la rentrée, l'adolescent reçut un hibou de la direction qui le fit un peu suer, avant de découvrir à l'intérieur de l'enveloppe un badge de préfet bleu.
Rapport à ses hauts faits en juin dernier, probablement.
Luke n'osa plus sortir de sa chambre pendant une semaine après ça. Il avait trop peur de connaître la réaction de son père.
Sa
cinquième année passa sans incident. Luke était très à l'aise dans son rôle de préfet. Il aimait aider les plus jeunes ou ceux qui avaient de la peine avec leurs devoirs. C'était toujours un plaisir d'étaler sa science et de faire mille activités pour détourner son attention des problèmes qui le préoccupaient vraiment.
Parfois, il était saisi d'angoisse face à son avenir. Il sentait qu'il n'arriverait jamais à faire tout ce qu'il voulait avant de perdre la vue. Il développa notamment une anxiété bizarre autour des livres, se mettant en tête qu'il devait en lire le plus possible. Quand ses angoisses prenaient le dessus, il montait dans la tour d'Astronomie pour regarder les étoiles et se sentir insignifiant, ce qui le faisait ironiquement redescendre sur Terre. Il partait aussi s'entraîner au Quidditch sur des coups de tête.
Ou il faisait la fête.
Parce qu'il était capable de s'amuser
et d'assouvir sa curiosité, Luke était toujours le premier à fumer des choses étranges, tester de nouveaux cocktails ou proposer d'organiser une pool party dans le lac avec le calmar géant. Sa curiosité n'avait quasiment aucune limite, sinon celles de la légalité. Chaque nouveau projet l'emballait comme le précédent, mais il se lassait aussi vite qu'il se passionnait pour la nouveauté. Il n'avait jamais été officiellement en couple, non parce qu'il ne s'intéressait pas aux filles, mais parce qu'il enchaînait trop rapidement les relations pour paraître sérieux à ce propos. Il était toujours très sincère, mais aussi très pragmatique dès qu'une relation s'achevait : il passait sans problème à autre chose. Ce n'était pas un secret. Entre eux, ses amis plaisantaient : "Luke, il a pas le temps." Sans savoir à quel point ils avaient raison.
Son obsession était actuellement le temps, et la façon dont la magie s'y intéressait. Il avait même demandé un Retourneur de temps à son père pour Noël, mais il avait reçu une montre en échange... Probablement car il était souvent en retard.
Il n'avait pas le temps.Une obsession apparue peu après le
28 février 1978. La Nuit Pourpre. La veille, Luke avait rêvé que Poudlard était attaqué. Ce qui était parfaitement ridicule : c'était l'endroit le plus sûr au monde ! Croyant à un cauchemar, le jeune homme n'en avait parlé à personne... jusqu'à ce que l'attaque se produise réellement. Par chance, il s'était senti à cran toute la journée, comme si son instinct cherchait à le protéger. Luke l'écouta et put se mettre en sécurité avec d'autres camarades dès les premiers signes de l'attaque. Mais après cela, il se mit à craindre chacune de ses nuits, peinant à différencier les visions des cauchemars, les rêves de la réalité. Il développa des troubles du sommeil et considéra avec méfiance les rêves effrayants qu'il faisait. Dans le doute, il en parlait toujours soit à sa tante, soit à son père s'il n'était pas à Poudlard.
À force de travailler sur ses rêves prémonitoires, il parvenait de mieux en mieux à les comprendre, mais il craignait qu'une plus grande maîtrise de son don précipite l'avenir qu'il redoutait. Alors du mieux qu'il le pouvait, il cachait ses progrès à son père... quitte à lui mentir. Ce ne serait pas la première fois, n'est-ce pas ?
| "La langue de vipère et le bras cassé II" |
Décembre 1980
« C'est pas vrai ! » Le serpent lève la tête de sa branche pour scruter les mouvements soudainement frénétiques du jeune homme qui partage sa chambre. Il était rentré tard, probablement car il avait passé le réveillon de Noël avec des amis dans un autre dortoir, raison pour laquelle il était encore à Poudlard quand la majorité des élèves étaient déjà rentrés chez eux pour les Fêtes.
« What’ssss the hurry ? »
« Shit shit shit shit... »
« Humansssss… » Bowie se recouche tranquillement mais garde un œil ouvert sur son jeune ami, juste au cas où.
« I’m gonna be late for Christmas, that’s the hurry. Shit », répète l’adolescent, et le serpent se fait la réflexion que si c’est pour être grossier, autant ne pas lui parler en fourchelang.
« I guesssss you are late », reprend-t-il, condescendant.
« I am. Very fucking late. Failamalle ! »Le jeune homme pointe sa baguette en direction de ses affaires, et pendant qu’elles se rangent seules il enfile une veste en cuir brun par-dessus son cardigan en laine. Il réarrange nerveusement le col de sa chemise dans le miroir et passe une main dans ses cheveux pour se coiffer à la va-vite en grimaçant. Ses yeux sont cernés.
« Your dad issss going to be sssssso disssssappointed. »
« Thank you so much for the input, Bowie... »
« My pleassssssure. Are you sssstill drunk ? »
« Do I look stupid to you ? »
« ... »Le Serdaigle lève les yeux au ciel, visiblement peu touché par l'accusation muette :
« I didn't drink and I wasn't planning on staying up late, I just... lost track of time. Hey, is that shirt okay ? »
« Honessssstly ? »
« Honestly. »
« The sssssssshirt isssss fine, boy. But it doessssn’t matter if you look like ssssssssssh- »
« Go on. Finish that sentence and I’m leaving you at Hogwarts. »
« You asssssked. »« T'aurais dû voir la tête de l’attrapeur adverse quand je lui ai filé sous le nez avec le vif d’or, haha ! J’aurais bien aimé que papa voie ça aussi, au moins une fois. Enfin. »La première chose que Luke faisait toujours quand il rentrait à Nottingham était de rendre visite à sa mère, Olivia, au cimetière. Il ne l'avait pas connue, mais depuis tout petit, il lui arrivait de rêver d'elle. Elle lui souriait sur les photos de famille, comme si elle était heureuse de le revoir, et il ne pouvait qu'imaginer comment elle aurait été avec lui, et comment aurait été la vie dans cette grande maison si sa famille avait été au complet. Il s'asseyait toujours un moment dans le caveau familial pour lui parler. Il savait que certains voyants avaient une affinité avec les esprits, et c'était peut-être la raison pour laquelle il avait adopté ce rituel à la base, mais il s'était rapidement rendu compte qu'il n'avait pas ce don-là. Cela ne l'avait pas empêché de continuer.
Il aimait bien parler à Olivia, même si elle ne l'entendait pas et vice-versa. Il pouvait lui raconter ce qu'il ne disait pas à son père, ni même à ses amis les plus proches. Le plus souvent, c'était tout à fait trivial, mais parfois, cela l'aidait vraiment de déballer ce qu'il avait sur le coeur.
« Tu sais, j'ai fait un rêve génial l'autre nuit. Je jouais pour l'équipe d'Angleterre et la foule hurlait mon nom, ils me surnommaient Vif argent ! » siffla-t-il en imitant une foule en délire.
« Ça ne s'invente pas, hein ! J'aurais bien aimé que ce soit prémonitoire... Mais je sais bien que non. Je sais faire la différence, maintenant. Ne le dis pas à papa », ajouta-t-il après un petit silence, suivi par un clin d'oeil :
« Bon, faut que j'y aille maintenant, ou je vais vraiment être en retard pour Noël et il va me déshériter. Je lui ai acheté une cravate incroyable, j'ai trop hâte de voir la tête qu'il va faire... »Il l'avait fait fabriquer sur mesure chez un tailleur sorcier très réputé, en précisant qu'il voulait que les motifs en forme d'écailles soient brodés pour que son père puisse les "voir"... le tout dans une couleur originale qui ferait ricaner Luke jusqu'à la fin de ses jours.
- Traduction fourchelang:
« Ce gosse a l'air bizarre. »
« Bowie, s'il te plaît. [...]
« Oh, celui-là va clairement finir à Poufsouffle. »
« Pour l'amour de Merlin, Bowie ! »
« J'aurais dû le voir venir, petit. Je t'ai vu voler depuis la Tour. Tu voles mieux en solitaire. »
« Dommage que le Quidditch soit un sport d'équipe, pas vrai ? »
« Tu as vraiment besoin de ça pour voler ? »
« Je n'ai pas d'ailes, Bowie. En plus, faire du balai en dehors des cours de Vol est interdit. »
« Ah, si j'avais des ailes... »
« Où est-ce que tu volerais ? »
« Au Sahara ! » [...]
« Ha ! Franchement, j'aurais dû le voir venir aussi. »
« C'est quoi l'urgence ? » [...] « Les humains... »
« Je vais être en retard pour Noël, c'est ça l'urgence. »
« Je suppose que tu es en retard, en effet. »
« Je le suis. P*tain d'en retard. »
« Ton père va être tellement déçu. »
« Merci beaucoup pour ton intervention, Bowie. »
« Je t'en prie. Tu es encore ivre ? »
« Tu trouves que j'ai l'air stupide ? » [...] « Je n'ai pas bu et je n'avais pas prévu de me coucher tard. J'ai juste... perdu la notion du temps. Hé, est-ce que cette chemise est OK ? »
« Honnêtement ? »
« Oui. »
« La chemise est très bien, petit. Mais ça ne sert à rien si tu as une sale g... »
« Vas-y. Finis cette phrase et je te laisse à Poudlard. »
« C'est toi qui a demandé. »