Tic, tac, tic, tac. Tout s'accélère. Je sais pas où donner de la tête, quoi faire, comment agir. Je suis pas même sûr d'avoir encore ce pouvoir. Sous mes yeux, le sceau du conseil des purs et une lettre qui me brûle les doigts. Je crois savoir ce qu'il s'y trouve, et je suis pas certain d'être prêt. C'est pas pour autant que le choix de décider se trouve entre mes mains. Autour de la table de la cuisine personne ne dit mot. Faut dire que les Selwyn sont doués pour le drame. Ils sont nombreux, comme toujours, à se trouver là - le manoir familiale est assurément l'endroit qu'ils aiment le plus, s'y retrouvant constamment pour partager les nouvelles du monde ou commettre des méfaits à l'abris des regards. Qu'importe qu'il soit à présent un adulte, Emrys savait qu'il se trouvait toujours des pièces dans lesquelles il n'avait pas le droit de pénétrer. Et il avait beau avoir un caractère rebelle et malicieux, il craignait beaucoup trop le courroux de ses ancêtres pour oser les défier sur ce point.
Il se contentait de la cuisine, la majorité du temps - notamment parce que c'est là que ses tantes et sa mère aimaient préparer des pâtisseries et du thé. Et qu'il restait un indéfectible gourmand.
Il ne s'attendait pas, cependant, à arriver pour voir sa mère - adoptive, mais malgré tout il n'arrivait pas parler d'elle en d'autres termes - assise avec la lettre devant elle. Il s'y assied, alors, réalisant qu'il se trouvait le sceau du
Conseil des purs sur le papier jauni du parchemin. Grimaçant, Emrys saisit la lettre pour la faire glisser jusque lui. Il ignore ce qu'il y trouvera - sa première idée, cependant, c'est que le Conseil des Purs a réalisé qu'il n'était peut être pas l'apprenti-professeur qu'il leur fallait et qu'ils voulaient le mettre dehors. Pourtant il n'avait pas fait de vague - après avoir quitté Poudlard, il avait revêtu ce nouveau rôle auprès de Piper Fawley. Professeur d'histoire de la magie, elle était son mentor et il aimait le temps qu'il passait à ses côtés pour corriger les copies, préparer les cours ou simplement pour faire des recherches.
Il aimait apprendre, c'était une chose qui faisait de lui un garçon étonnant : il était aussi prompt à se mettre dans les ennuis qu'à apprendre par coeur ses cours. Il lisait énormément, retenant facilement tout ce qu'il pouvait découvrir, et il aimait partager avec les autres. Il passait des heures à disserter à haute voix sur les décrets d'échanges avec les pays étrangers ou sur la guerre des Trolls du treizième siècle.
Il ouvrit la lettre. Dans la pièce, pas un bruit alors qu'il découvre les quelques lignes tracées avec élégance sur le parchemin :
Monsieur Selwyn,
C'est à regret que nous vous informons que le Professeur Fawley sera dans l'incapacité de poursuivre ses cours pour le restant de l'année. Nous avons cependant à coeur de pouvoir aider et soutenir les talents qui sont les votres et c'est pourquoi nous souhaitons vous proposer un entretien afin de discuter de la suite de votre parcours dans l'enceinte de l'établissement d'enseignement pour les jeunes sorciers Poudlard.
C'est pourquoi nous vous invitons à nous rencontrer le...
Se pourrait-il alors que...? Il resta figé, sans savoir ce qu'il serait en droit de demander, d'espérer, de voir venir. Les vacances de Noël se sont étendus, le gardant loin de Poudlard pour le moment - il pensait continuer son apprentissage comme d'autres, mais la rentrée lui offrait d'autre possibilités et il ne savait pas comment il devait réagir.
Tout était si rapide et si étonnant. Mais il se permit malgré tout d'espérer, sourire sur la gueule - et l'espoir gonflant dans sa poitrine. Alors que son monde s'était effondré sans relâche depuis le début de l'année 1980, il pensa un instant qu'il était temps. Temps que la roue tourne.
Boum, boum, boum. Ca tambourine dans ma cage thoracique, me fait perdre pied, me fait oublier le reste du monde. Comme un baiser oublié sous une tente un soir de camping - souvenir éparse qui reste chérit. Souvenir qui se change en un désir brûlant. Celui inspiré par la lune qui monte à son zénith, se remplit chaque vingt-huit jours pour exiger son dû. Maintenant ca tambourine jusque dans mes oreilles et me fait partir en vrille. Il tremble. Il ne peut pas l'empêcher, malgré tout il sait qu'il n'a pas choix que de cacher son émotion pour retourner près de ses amis. La soirée s'étend, s'étale, se distord et dans son regard il voit moins les rires que la viande qui grille sur le barbecue improvisé, les veines qui battent au rythme de la musique et le parfum des autres qui l'entourent. Il a la tête qui tourne - dans le ciel, la lune se trouve presque pleine, exige qu'il vienne à sa rencontre et chaque fois qu'un rayon lunaire le frappe il la ressent. La tension dans ses veines, le grognement à son oreille et cette
chose qui se trouve en lui et qu'il ne sait pas faire taire.
Il repense au moins dernier, à la déchirure sur son bras alors qu'il avait fait un pari idiot avec son meilleur ami - la majorité des histoires qui tournent mal démarrent comme cela dans sa vie.
Avec son meilleur ami - et parce qu'il peut rien lui refuser, il se retrouve constamment à être dans des affaires de bouse d'hippogriffe à devoir gérer les conséquences. Sauf que cette fois, il n'est pas certain d'être assez fort pour cela. Il sait pas comment il en est réchappé, moins encore comment il a pu
soigner sa blessure sans faire un tour à Ste. Mangouste. Peut être qu'il n'est pas parfaitement guéri.
Ce qu'il pensait être un risque est à présent une fatalité.
Il finit par trouver son chemin dans l'obscurité, par perdre de vue la foule pour un coin plus tranquille où il sort une cigarette pour la porter à ses lèvres. Il n'a jamais été le dernier pour embraser les flammes, sauter par-dessus, passer son bras autour des filles qui venaient lui demander un bain de minuit, pour finir par s'endormir sur le sable à force d'avoir trop bu. Le sable autour du lac, il l'apprécie pas tant, mais l'odeur de l'habitude le rassure tout à la fois. Sauf que ce soir-là c'est pas suffisant. Ce soir-là l'ensemble de son corps le tiraille et le rend grognon.
Il se demande un moment si ce qui sommeille en lui, ce qui demande à sortir, ne risque pas de le submerger maintenant.
Emrys ? Tournant son regard vers la silhouette fluide qui s'approche, il reste un moment perdu, perplexe, pantois, avant de lui offrir le plus grand sourire qu'il peut - comme toujours, Edwige a droit à ce qu'il a de plus lumineux.
Tu me cherchais, chaton ? Le surnom affectueux prend des airs de caresses insensées.
Insensée. Sous la lune éclatante il perd la maitrise de ses émotions - la promesse faite il y a des années à son meilleur ami vole en éclats dans le regard brillant d'Edwige et l'exigeante passion de la bête qui le dévore de dedans. Le baiser qui prend la seule lune pour témoin est une erreur qui fait exploser en lui un désir qu'il maitrise difficilement. Il n'y a que l'interruption de Cardan pour le faire revenir sur terre, trouver un ancrage pour ne pas perdre pied.
Edwige reste en arrière avec le souvenir de ce baiser.
Le lendemain, dans un sous-sol d'une maison abandonnée qu'il a trouvé avec l'aide de son frère de coeur, il finit par voir émerger ce qu'il redoutait. La bête. Le loup. Le monstre. Et il hurle, se déchire les entrailles jusqu'à ne plus penser qu'avec du sang - du sang, du désir, de la passion dévorante, et il hurle. Il hurle et il
l'appelle, elle, jusqu'à ce que le soleil le chasse.
Silence. Plus rien alentours pendant que le soleil se lève. L'étrangeté de ce calme me sidère chaque fois, pourtant il va devenir commun à présent. Je le respire, le savoure, l'étreint, et le déteste tout à la fois. Il est aussi glaçant que rassurant, apaisant des émotions qui me deviennent étrangères. Et maintenant ? Il est temps de construire autre chose, d'avancer malgré tout, de ne pas avoir peur, et d'enfreindre quelques règles. Vivre, simplement. Ou du moins essayer au mieux. Il espérait ne pas faire la moindre erreur - il n'était cependant pas le genre de type à douter de lui-même, mais dans une situation comme celle-ci le contraire eut été étonnant. Il inspira profondément, passa nerveusement ses mains sur sa longue robe violet foncé, pour la troisième fois en quelques minutes. Tout était parfait, pas le moindre faux plis, par la moindre fausse note. Pourtant il savait qu'il sonnerait faux, devant les regards consternés des élèves qu'il rencontrerait toute la journée. Il allait rejoindre la table des professeurs dans la grande salle pour le petit déjeuner. Il allait croiser sa soeur.
Merlin , il allait même croiser Edwige et allait devoir rester concentré et détaché. Il ne pouvait pas faire preuve du moindre favoritisme.
Il n'était pas à la hauteur.
Ou peut être que si.
Il soupira profondément, fermant les yeux une seconde et se força à faire le vide dans son esprit. Dans son sac, les livres d'histoire, son cahier, sa plume à papote et une pomme. Il avait toujours une pomme avec lui, habitude que Lisha lui avait donné ces trois dernières années. Bien qu'elle ne s'en souvienne pas, lui était incapable de s'en défaire. Elle avait lu quelque part que les pommes donnaient plus d'énergie que le café - alors voila, il mangeait une pomme le matin.
Il était certain qu'il ne s'endormirait pas, cela étant, bien trop stressé, angoissé à l'idée d'être à la hauteur de ce que l'on attendant de lui.
Pourtant il ne donnait pas l'impression d'être le genre de type à douter de celui. Cardan se foutrait de sa tronche, à coup sûr, s'il le voyait à ce moment précis. Il quitta la chambre qui lui avait été assigné, rejoignant le Grand hall, mais au lieu de rejoindre la Grande Salle pour le petit déjeuner, il resta un moment là. Là, face à l'immensité du parc de l'école, devinant la cime des arbres de la Forêt interdite, à travers la brume, et le Lac noir qui miroitait la lumière du ciel matinal. L'apaisement qu'il ressentit fut immédiat - plus encore lorsqu'une main gantée vient trouver la sienne et qu'il la serra.
Tu vas y arriver, Em, t'as pas à t'inquiéter. Il sourit, se tournant vers elle pour la prendre dans ses bras et embrasser le haut de son crâne - difficilement, parce qu'ils faisaient presque la même taille.
Merci petite soeur. souffla-t-il contre la chevelure brune de Lisha. Et il se surprit à y croire.
Prenant la main de sa petite soeur, il fit demi-tour et retourna dans le château, pour entamer le nouveau chapitre de son existence.