Give me a glass (Skyler)

Skyler ne s’était jamais senti aussi heureux et épanoui que depuis qu’il avait quitté le manoir familial pour voler de ses propres ailes. Loin du visage hautain de sa mère et des regards sévères et désapprobateurs de son père – lorsqu’il daignait tourner son attention vers lui, déjà, il pouvait consacrer son temps et son énergie à la famille qu’il avait choisie, ainsi qu’à ses premiers amours : le Quidditch, où il pouvait voler aussi haut, aussi vite et aussi périlleusement qu’il le voulait. Et malgré tout ce qu’il pouvait penser de sa famille, il n’avait pas complètement coupé les ponts avec elle. Ainsi, lorsqu’un hibou vint lui porter une lettre portant un sceau qu’il reconnaîtrait entre milles, cette lettre « O » stylisée qui se trouvait dans les boiseries de la somptueuse demeure des Ollivander, et même sur sa propre baguette, il soupira avant même d’avoir ouvert l’enveloppe.

Il savait très bien ce qu’elle contenait. Lorsque son père lui écrivait, c’était soit pour critiquer ses derniers interviews ou les dernières séances photos parus dans les magazines sportifs, lui indiquant qu’il aurait pu mieux répondre à telle ou telle question, ou qu’il devrait se rendre chez le coiffeur au plus vite parce que ses cheveux ne ressemblaient à rien, soit pour l’inviter à l’infernal dîner de famille. Comme il n’avait pas fait la une des magazines dernièrement, il se doutait bien qu’il ne pouvait s’agir que de la deuxième option. Le blond avait simplement abandonné l’enveloppe encore scellée sur le coin de la table, n’y repensant plus. Jusqu’à ce qu’une petite chouette vienne toquer à la fenêtre du salon en fin de soirée, portant dans son bec un tout petit morceau de parchemin. Les coups de plumes pressés, presque agressifs, qui formaient les lettres et les chiffres lui indiquant où se présenter confirma ses doutes : il y aurait bel et bien un repas familial, et son cousin avait autant besoin d’encouragement et de réconfort que lui pour affronter la sempiternelle lutte qui opposait leurs pères.

Entre lui et Rhodius, plus rien n’était pareil depuis que le Choixpeau avait décidé que le plus jeune ne suivrait pas la trace de ses ancêtres et allaient devoir dormir dans les hauteurs de Poudlard plutôt que dans ses donjons. La montée en popularité du Gryffondor n’avait pas contribué à réparer les liens brisés. Aujourd’hui, l’Ollivander et le Nott ne s’adressait pratiquement plus la parole. Ils ne se fréquentaient pas, ne demandaient pas des nouvelles de l’un ou de l’autre et vivaient tout simplement leur petite vie chacun de leur côté. C’était très bien ainsi, comme un accord mutuel sans qu’aucun des deux hommes n’aient prononcé un traitre mot. Toutefois, la guerre froide pouvait bien faire une pause lorsqu’il était question du dîner Nott-Ollivander.

Ainsi, c’est vêtu d’une tenue chic, mais décontractée qu’il se présenta à l’adresse et à l’heure indiquées. À peine eut-il poussé la porte que son affreux prénom lui parvint à l’oreille, le faisant automatiquement grimacer. Il se tourna vers le coupable, le fusillant du regard. Il l’avait fait exprès, il le savait bien. Se frayant un chemin dans le dédale de chaises et de tables, Skyler rejoignit son cousin, retirant sa veste avant de s’asseoir en face de lui.

« Va savoir… J’imagine qu’ils se sont dit que nous laisser un peu trop de liberté allait finir par nous monter à la tête. »

Il remercia le serveur lorsqu’il vint lui porter un grand verre de bière. En prenant une gorgée avant de lever ses yeux clairs sur son compagnon de jeu préféré étant enfant.

« Comment tu vas, Rhody? »

La mine du batteur professionnel s’assombrit momentanément à la correction de son cousin. Skyler essaya de retenir un soupir, mais l’effort était bien trop ambitieux. Il le laissa donc s’échapper, faisant tournoyer le liquide doré dans son verre avant de lever les yeux sur lui.

« Tu sais, Rhody, parfois tu devrais laisser tomber ce masque austère qui ressemble bien trop à celui de mon père et te permettre de savourer les petits plaisirs de la vie », laissa-t-il tomber avant de prendre une gorgée.

Cette liberté, tout aussi artificielle qu’elle était, revêtait une importance toute particulière pour le blond. Il savait qu’à tout moment ses parents pouvaient décider de sortir liens et menottes pour l’enfermer dans une cage dont il venait à peine d’avoir l’impression de s’être échappé. Lorsqu’il regardait Rhodius, il avait l’impression de voir un homme qui n’avait connu qu’une vie en captivité et qui s’en contentait. Même gamin, il préférait rester avec les adultes plutôt que de le suivre à l’extérieur pour jouer aux pirates et aux aventuriers. Skyler n’avait jamais compris cet entêtement et cette volonté de vouloir à tout prix à se complaire dans cette morosité, surtout lorsqu’il avait lui-même un père qui parcourait de lointaines contrées pour métier. À croire qu’ils étaient tous deux nés dans la mauvaise famille…

« Bien, merci », se contenta-t-il de répondre lorsque sa question lui est renvoyée, les sourcils haussés.

La réponse fut expéditive, car rien dans le ton employé par le Nott ne laissait paraître un quelconque intérêt pour son bien-être et sa vie en général. Comme tout le reste de la famille ou presque, il devait bien se moquer de savoir qu’il était en pleine préparation pour le prochain tournoi, que Lux se montrait particulièrement exigeante, qu’il s’était rapproché de Skye et qu’il était plus présent que jamais pour James. Ce genre de détails n’intéressaient que Maisie et Ryan.

Sourcils vinrent d’ailleurs se froncer quand le prénom du paternel fut prononcé. Cinq petites syllabes qui, lorsqu’elles étaient accolées les unes aux autres, prenaient une totalité plutôt oppressante. Un sourire moqueur vint toutefois étirer ses lèvres à l’aveu du brun. Alors comme ça, Rhodius Deuxième du nom n’avait pas été mis dans la confidence? Cela n’avait rien de surprenant de la part du fabricant de baguettes, passé maître dans l’art de ne jamais dévoiler ses cartes.

« Ah non, désolé de te décevoir, mec », commença-t-il en appuyant sur le surnom. « Si j’étais le seul responsable, j’aurais eu droit à une convocation privée. Mes parents n’ont pas besoin de faire venir toute la famille pour me taper sur les doigts, crois-moi. »

Il prit une autre gorgée de bière, faisant tout de même une revue rapide des derniers mois. Aucune frasque digne de mention dernièrement, que des couvertures de magazines spécialisés élogieuses ou des articles plutôt positifs à son égard. Skyler avait beau ne pas vouloir du titre d’héritier Ollivander, il le portait malgré lui et s’appliquait tout de même à ne pas faire mauvaise presse à la famille.

« Je serais franchement touché s’ils faisaient venir toute la famille juste pour me foutre un coup de pression devant tout le monde. Surtout s’ils demandent à Asty et à Ryan de ramener leurs fesses le temps d’un dîner. Non, si tu veux mon avis, pas un seul d’entre nous sera épargné. »

Et cette perspective est effrayante, aurait-il pu ajouter. Quelle douloureuse piqûre de rappel est-ce que les parents allaient-ils leur servir? Malgré tous leurs différends, la progéniture Nott-Ollivander avait tout intérêt à se serrer les coudes dans une situation pareille, tout particulièrement les deux garçons plus âgés.