Building Memories | Percy & Luke

La promesse avait été tenue, bien que des escaliers en partie gelés aient tenté de l'en empêcher in extremis. Luke évita de justesse une marche recouverte de verglas, remerciant intérieurement ses réflexes de joueur de Quidditch. Solène avait-elle été tellement occupée par les préparatifs de Noël qu’elle avait oublié de dégeler l’entrée de la demeure familiale ? Cela aurait eu des conséquences dramatiques si son père avait emprunté les escaliers avant lui… Mais peut-être que l'elfe de maison les avait laissés en l’état exprès pour Luke. Le Serdaigle enjamba la dernière marche en ravalant une remarque désobligeante - après tout, c’était Noël.

"Je suis pas en retard !" s’exclama-t-il en poussant les portes d'entrée, au moment où l’horloge du grand salon sonnait l’heure pile.

Surpris par sa précision, Luke afficha un sourire extrêmement fier, et même légèrement suffisant, que son père ne pouvait heureusement pas voir. Ce dernier tourna son regard vers lui, dans lequel l’héritier des Gaunt lut un peu de jugement. Le jeune homme ne s’en formalisa pas et traversa la distance qui les séparait en ajoutant :

"Et joyeux Noël ! Solène, pose ça près du sapin, tu veux ?" enchaîna-t-il presque aussitôt, en agitant un petit paquet en direction de l’elfe de maison sans même la regarder.

Vu comme ça, on aurait pu penser que Luke se fichait bien des traditions. On aurait même eu de la peine à imaginer qu’il avait répété ce qu’il allait dire et le déroulement de la journée dans sa tête tout au long du trajet, et pourtant. (Il ne l’avouerait pas de toute façon.)

Noël était très important.

C’était toute la partie solennelle qui le mettait mal à l’aise, comme le signalait son ton un peu expéditif.

"Ne l’ouvre pas, c'est pas pour toi", ajouta-t-il quand Solène récupéra le cadeau, qui avait été soigneusement enfermé dans une petite boîte en velours noir.

Elle contenait techniquement une pièce de vêtement, et Luke ne voulait pas que l’elfe de maison se fasse de fausses idées. Il ne l’aimait peut-être pas, mais elle était d’une grande aide à son père, dans la maison. Enfin, quand elle pensait à dégeler les marches des escaliers. Bref, il se serait senti mal si elle avait confondu cet ordre avec une libération officielle. La cravate n'était pas pour l'elfe.

Pendant que celle-ci s'attelait à sa tâche en marmonnant tout bas, Luke déposa sa malle sur le sol et l'ouvrit pour libérer Bowie, qui allait finir par râler s'il le laissait trop longtemps coincé entre sa cire à balais et ses chaussettes. Solène pourrait bien se charger de ramener tout le reste dans sa chambre quand elle serait de retour, ce n'était pas le genre de choses que Luke se fatiguait à faire quand il rentrait à la maison.

« Solène ! Les préparatifs sont-ils tous terminés ?
— Oui, maître. Solène a tout préparé : le sapin, les décorations, les cadeaux, la jolie table, le repas… comme le maître l’a demandé.
— Bien, préviens-moi quand il arrive.  »
Si Percival affiche un visage impassible, il bouillonne intérieurement. Il n’y a que très peu de jours dans l’année auxquels il accorde une attention spécifique mais celui de Noël en fait partie. Un accord tacite entre lui et Luke, un rituel qu’ils ont tous les deux toujours scrupuleusement respecté et il n’est pas question qu’une seule année y déroge depuis dix-sept ans. Préparer ce jour s’avère donc un véritable parcours du combattant pour la pauvre Elfe de Maison qui n’a pas le droit à l’erreur – chacune de ses actions étant autant que possible vérifié par le maître des lieux. Percy lui a donné une liste de choses à faire – dictée à l’oral et notée par Solène. Il n’accepte aucun écart, pas même de la part de son fils qu’il espère entendre franchir le seuil de cette porte à l’heure. Mais plus le temps défile, plus il se dit qu’une mise au point va être nécessaire à son arrivée. Même Percival Gaunt n’apprécie pas l’idée de devoir réprimander son fils un jour comme celui-ci parce que, tout de même, il l’a mieux éduqué que cela. Du moins l’espère-t-il, bien qu’il lui arrive d’en douter quand il a connaissance de certains plans de son héritier – et qu’on ne vienne pas lui dire qu’il n’est parfois pas mieux, Percival sait très bien nier en bloc.

Soudain, un fracas se fait entendre au niveau de l’entrée, au même instant où l’horloge sonne l’heure fatidique. La voix un peu trop satisfaite de Luke parvient aux oreilles de son père qui, malgré des yeux vides, parvient à exprimer un peu de jugement. « Tu es pile à l’heure. Aucune raison d’en être fier.  », nul besoin de voir pour capter la fierté insolente du Serdaigle. Il l’a entendue dans sa voix. « Joyeux Noël à toi aussi.  », rétorque néanmoins Percival tandis que l’ombre d’un sourire passe sur son visage une fraction de seconde. De son côté, Solène s’agite pour aller déposer le paquet non loin des autres cadeaux, en grommelant des paroles inintelligibles même pour les sens de Percy – qui se fait quand même une idée précise de ce qu’elle peut bien marmonner entre ses lèvres. Pour autant, il ne s’en formalise pas, conscient que la relation entre l’elfe de maison et son fils a toujours été tendu. Pas que ça lui importe, tant que les choses sont faites. Il attend de Solène qu’elle soit efficace pour aider un homme qui, aux premiers abords, paraît réellement diminué ; pas qu’elle fasse amie-amie avec son gamin – pour avoir vu ce que ça a donné la première fois, il n’a pas envie de tenter le Diable une nouvelle fois.

Lorsque le bruit sourd d’un objet qu’on pose sur le sol parvient à ses oreilles, rapidement suivi d’une voix sifflante, Percival identifie instantanément celle de Bowie – le serpent langue de vipère de son fils. « Paga est dans son vivarium si tu veux aller lui rendre visite, Bowie.  », dit-il avec le souhait que le rampant accepte de rejoindre son congénère. Pas que Percival ne l’apprécie pas qu’il soit là, à entendre tous les échanges avec Luke. Ils ont bien le droit à un peu d’intimité, après tout ! « Et toi, alors ?  », demande-t-il en se tournant vers Luke – du moins, là où il estime qu’il se trouve. « Qu’est-ce que tu veux boire ou manger, pour commencer ?  », si Solène a bien fait son travail – et Percy préfère penser que c’est le cas, ça vaut mieux pour tout le monde – alors le choix est bien vaste et Luke peut réclamer à peu près tout ce qu’il veut. Elle va sûrement encore rechigner à devoir le servir mais elle sait qu’elle n’a pas le d’autre possibilité. Percival a beau avoir besoin des services d’un elfe de maison, il n’hésiterait pas à se séparer d’elle si elle tentait réellement quoi que ce soit d’hostile contre son fils. « Viens t’asseoir avant de prendre racine et parle-moi des dernières semaines à Poudlard.  », dit-il en prenant lui-même la direction d’un fauteuil, s’y glissant tout naturellement – n’ayant guère besoin de sa canne dans un lieu qu’il connaît dans ses moindres détails. Pour un peu, une vibration chaleureuse pourrait presque éclaircir sa voix mais il ne faut pas trop en demander au patriarche Gaunt qui se montre bien plus à l’aise dans des mondanités solennelles que dans la démonstration affective. Avec Luke plus qu’avec n’importe qui d’autre.

Une odeur de biscuits tout juste sortis du four flottait dans l'air ; Luke n'avait pas l'odorat aussi fin que son père, mais il devinait la cannelle, le pain d'épices, le chocolat. Son estomac se réjouissait. Comme il était parti en retard de Poudlard, il n'avait encore rien avalé de la journée. Cet accueil réconfortant réjouissait l'héritier des Gaunt. Son père avait l'air un peu plus détendu que d'ordinaire, aussi, même s'il le rabrouait sur sa ponctualité. Luke était d'assez bonne humeur pour ne pas protester. Il savait qu'il jouait avec les limites de la politesse en se présentant pile à l'heure.

Il le savait, mais pas au point de s'en excuser. Techniquement, il n'avait rien à se reprocher. Et ça aurait signifié se justifier. Ce n'était pas parce qu'il avait une excuse qu'il devait la partager avec son père. Il sortit Bowie de son terrarium de voyage :

"I'm good, thankssss", s'exclama le boa des sables.

Il fit signe à Luke qu'il n'avait pas besoin d'être porté alors ce dernier le laissa se rendre tout seul au terrarium, pour le plus grand plaisir de Solène (non). Bowie avait sûrement pleins de ragots à raconter à Paga, depuis le temps.

"Il faisait sacrément froid en Écosse", commenta Luke en retirant son épaisse écharpe aux couleurs de Serdaigle.

Il rêvait d'une bonne boisson chaude. Et de son lit. Il ne s'était pas vraiment arrêté entre son réveil et son arrivée au manoir, si ce n'était pour aller voir sa mère, et il commençait à prendre conscience de sa fatigue. Mais l'heure n'était pas à la sieste. Il se laissa tomber dans un des fauteuils confortables du salon avec un petit soupir satisfait.

"Je vais prendre un chocolat chaud, Solène."

Il n'attendit pas sa réaction pour reporter son attention sur son père. Luke savait sur quoi allait porter le début de leur discussion, c'était somme toute une façon très rationnelle de lancer la conversation et le jeune homme avait l'habitude de ces échanges ordinaires. C'était lorsque les sujets devenaient sérieux qu'il avait de la peine à suivre son père.

"C'était plutôt intense, comme à chaque fin d'année, mais ça s'est bien terminé. Quelques élèves à rappeler à l'ordre, tu sais comment ça se passe dès qu'il commence à neiger... tout le monde devient fou. Et les entraînements de Quidditch ont été intensifs, mais on sera prêts pour la rentrée." Il s'interrompit avant de se lancer dans une tirade passionnée sur ce sujet qui ne plairait pas forcément à son père. "Ah, et il y avait les préparatifs pour le bal, évidemment. Tout le monde ne parle que de ça."

Luke haussa les épaules, même si son père ne pouvait pas le voir. Il se sentait moyennement concerné par l'événement, même s'il avait parfaitement saisi les enjeux. Solène revint avec un plateau sur lequel trônait un chocolat chaud, des petits marshmallows et une boîte à biscuits. Luke se redressa pour s'emparer de sa tasse, ravi.

"Et toi, comme ça va ? Tu travailles en ce moment ?"

Il pariait que oui.

En de rares occasions, la demeure habituellement austère des Gaunt laisse place à une atmosphère plus chaleureuse. Une prouesse rendue possible grâce aux nombreux talents de Solène. Les différentes odeurs de cannelle, pain d’épice, chocolat, vanille… viennent des petits gâteaux qu’elle confectionne depuis la veille – alternant avec d’autres tâches afin de permettre à cette soirée d’être agréable pour ses maîtres. Une mission prenant la bonne voie puisque les senteurs parvenant aux narines de Percival dénouent presqu’instantanément ses muscles – tirés par les heures qu’il fait au Ministère et par la frustration d’avoir aussi peu avancé concernant les événements de Samain qui remontent à presque deux mois. Fort heureusement, il n’a pas le temps de se laisser aller à ce genre de divagation ; son fils choisissant cet instant pour faire une entrée digne de sa personne – en toute irrévérence et insolence. Une réflexion sur sa ponctualité discutable plus tard, Percy invite également Bowie à prendre ses aises et à rejoindre Paga s’il en a envie – reconnaissant les sifflements du serpent. Ce dernier lui répond poliment avant de rejoindre son congénère – non sans passer devant Solène, lui adressant un regard en coin qui ne manque pas de la faire reculer de quelques pas.

« C’est ta justification pour ton presque retard ? », demande le patriarche en haussant un sourcil. « C’est l’Écosse. En plein mois de décembre. J’aurais été plus surpris d’apprendre qu’il y faisait chaud. », est-ce que Luke aurait été trop distrait pour convenablement se vêtir afin de se protéger des températures basses ? La question semble idiote mais concernant Luke, son père la trouve plutôt pertinente sans pour autant prendre la peine de trop s’attarder sur celle-ci. « Apporte deux chocolats chauds, Solène.
— Je vous fais la spéciale « jour de Noël », monsieur ?
— Oui, fais donc ça. dit-il en haussant les épaules, sans relever l’idiotie de la question. Pourquoi avoir fait une recette portant le nom de ce jour si ce n’est pas pour la consommer précisément lors du dit événement ? » Pendant que Solène retourne s’affairer en cuisine tout en émettant ses grommellements indignés habituels, le Gaunt retourne à la conversation avec son fils, prenant immédiatement des nouvelles des dernières semaines qu’il vient de passer à Poudlard. Un moyen simple mais efficace de débuter la conversation. Par des échanges ordinaires par l’intermédiaire desquels même les deux Gaunt peuvent se comprendre.

Il écoute les derniers potins en provenance du célèbre château, guère étonné d’apprendre l’effervescence qui y règne depuis quelque temps. À son époque déjà, l’ambiance changeait drastiquement quand venait la période des fêtes de fin d’année, ainsi que l’hiver et tout ce que cette saison implique de plus ou moins bien. Les batailles de neige arrivaient, les élèves étaient plus dissipés que jamais… et Percival regardait tout cela de loin – enfant sage qui avait appris à se tenir en toutes circonstances. Même le manteau blanc de l’hiver ne le poussait pas à défrayer ses sens et à réellement se lâcher. « Et toi, quelqu’un a dû te rappeler à l’ordre ? », son fils est certes préfet mais il le connaît assez bien pour avoir conscience qu’il n’est lui-même pas exempt de tous reproches. Et il ne serait pas étonnant d’apprendre que ses camarades l’ont houspillé à leur tour. Quant au Quidditch, c’est une information qui passe au-delà de la tête de Percival – conscient qu’il suffit d’un seul mot à ce propos pour que Luke passe la soirée sur le sujet et il n’a pas envie de cela. « Il faut dire que le bal est un excellent moyen de se faire  voir, surtout dans un endroit comme Poudlard. Tu y seras présent à mes côtés et bien habillé. », qu’il ne pense pas que Percival ignore le style de vêtements que son héritier porte habituellement. S’il ne va pas jusqu’à les qualifier de guenilles, il a connaissance du style décontracté arboré par son fils – et si ce n’est pas un problème en soi, Percy estime qu’un bal à Poudlard est une raison bien suffisante pour s’apprêter. À cet instant, Solène revient avec son plateau où sont posés les chocolats (leur particularité du jour étant la spirale de chantilly sur le dessus, agrémentée d’un peu de chocolat en poudre au sommet). Elle a également ajouté des marshmallows et quelques biscuits. Une efficacité appréciable malgré les grognements de l’Elfe de Maison. Et si Percy ne peut visuellement savourer la nourriture à leur disposition, il n’en sent pas moins les odeurs de lait et de chocolat mélangés. Leur fumet venant chatouiller le nez du Gaunt. « Je vais bien. Et évidemment, les problèmes de mon département et ses dossiers ne s’arrêtent pas parce que nous sommes en période de fêtes. », même s’il apprécierait parfois que ça puisse être le cas. Peut-être.