❁ La marguerite : l'espoir ❁ Assise sur le bord du grand lit à baldaquin, elle pleure. Le visage dans les mains, ses larmes infinies ruissèlent entre ses doigts. Derrière elle, les draps immaculés sont tachés de rouge en leur centre. La chambre a beau être baignée de la douce lumière du petit matin, les paupières closes, elle ne voit que noirceur. La douleur vive qu’elle avait ressentie, comme un véritable coup de poignard en plein ventre, n’avait pas menti. Pourtant, elle avait espéré si ardemment s’être trompée, ne l’avoir qu’imaginé. Alarmé par les sanglots de son aimée, Hereward entre dans la pièce. Son regard glisse sur le lit, s’arrêtant un moment sur la tache, et il n’a pas besoin de poser de questions. Alors, tendrement, il vient enlacer les épaules tremblotantes d’Eireann, collant ses lèvres contre sa tempe, la berçant doucement. Sans un mot, car aucun n’était nécessaire ni convenable en ce moment empreint de souffrance muette.
Un autre espoir s’était envolé. Deux ans s’étaient écoulés depuis la nuit de noce, depuis le tout premier essai. Depuis, les tentatives s’étaient multipliées, mais aucune n’avait été concluante. Du côté des deux familles, on attendait impatiemment l’héritier, celui qui allait combiner les forces des Greengrass avec celles des Sayre. Pourtant, aucun ne voulait s’accrocher assez longtemps pour combler ce désir. Eireann en était même venue à penser que quelqu’un, quelque part, lui en voulait et lui avait jeter une malédiction, rendant ainsi son corps inapte à concevoir. Hereward avait beau lui répéter que ça ne pouvait être le cas, elle en étant pourtant convaincue. Superstitieuse, elle se disait également qu’avoir ce genre de pensée influait sur son corps, comme si cela suffisait à le démotiver de fournir des efforts. Les saisons se succédèrent et avec elles les années passèrent. Avec le temps, le couple finit par accepter que leur lignée s’arrêterait au moment où ils auraient tous les deux trépassés. Ils seraient le meilleur oncle et la meilleure tante, profiteraient du bonheur de faire rire un enfant en tenant ceux des autres lors de soirées, mais jamais ils n’auraient le bonheur de devenir parents.
Par un matin caniculaire de juillet, Eireann s’était installée comme tous les jours d’été dans la grande verrière du manoir, profitant du vent chaud et sec qui s’engouffrait par les vitres ouvertes. Comme d’habitude, une des domestiques vint lui servir son petit-déjeuner et son thé, qu’elle sirota en lisant le tout dernier roman qu’elle s’était procurée. La matinée aurait été passablement tranquille s’eut été des violentes nausées qui secouèrent le corps de madame. Et ce n’était qu’un début, car bientôt c’est une fatigue permanente et des maux de tête intenses qui s’ajoutèrent aux symptômes de la mystérieuse maladie qu’elle avait visiblement contracté. Inquiet, Hereward fit venir le médicomage. Le diagnostic après examen était sans équivoque : Madame Greengrass était enceinte depuis quelques semaines déjà. Enfin, une poussière d’ange s’était accrochée.
Respectivement dans la quarantaine et dans la cinquantaine avancée, Eireann et Hereward recommencèrent à rêver. La grossesse ne fut pas aisée, et l’accouchement encore moins, la Sayre passant à deux doigts d’y laisser la peau. Et quand la sage-femme déposa enfin l’angelot au creux des bras de sa mère exténuée, elle et son mari échangèrent un regard légèrement dépité. Ce n’était pas un garçon comme ils l’auraient idéalement souhaité. On leur avait confié une toute petite fille aux cils pâles et aux fins cheveux orangés.
« Aisleen », souffla Eireann en passant le bout de ses doigts sur le nez plissé du poupon endormi.
« C’est un joli nom », répondit Hereward en se penchant au-dessus d’elles, observant les traits de la petite en essayant de deviner les siens ou ceux de sa femme.
« Aisleen Greengrass… »« Ce n’est pas qu’un joli nom, mon chéri. C’est notre rêve. »❁ L'orchidée : le raffinement ❁ Même si elle n’était qu’une gamine, Aisleen Brianna Sayre Greengrass avait déjà toutes les attentes de ses parents à porter sur ses épaules frêles. Sachant tous les deux qu’il était bien trop risqué de tenter de lui offrir un petit frère qui pourrait assumer le rôle de chef de famille, ils avaient confié cette lourde tâche à leur unique descendante. Elle se devait de devenir la parfaite représentante des Sayre et des Greengrass, celle qui porterait dignement l’écusson de la famille. Lorsqu’elle serait en âge de se marier, il lui faudrait trouver un bon parti pour faire perdurer la lignée et en assurer la pureté. La rouquine avait bien rapidement compris que c’est ce qui était attendu d’elle et que son opinion n’importait que très peu.
Alors elle mettait tout en œuvre pour rendre ses parents fiers. Enfant naturellement douée, mais pas non plus surdouée, elle redoublait d’efforts lorsqu’elle commettait une erreur ou qu’elle n’avait pas appris une leçon convenablement. Que ce soit une fausse note au chant, un accord raté au violon, un oubli dans ses pas de danse, un mauvais jeu aux échecs, une tache accidentelle sur son aquarelle ou une chute pendant les cours d’équitation, Aisleen se relevait toujours et travaillait d’arrache-pied pour corriger le tir. Après tout, la devise des Greengrass n’était-elle pas « Nous ne redoutons pas les épreuves »? Elle ne vivait que pour voir briller cette étincelle de satisfaction au fond des yeux de sa mère et de son père et redoutait par-dessus tout leurs grimaces de mécontentement ou leurs soupirs d’exaspération. Elle devait exceller dans toutes les disciplines, qu’elles soient magiques ou non.
La gamine un peu maladroite finit par récolter le fruit de son dur labeur, se métamorphosant graduellement en une jeune fille épanouie, polyvalente et érudite. Le diamant brut que ses parents avaient bien hâte de présenter au reste de la haute société sorcière.
❁ L'amaryllis : la fierté ❁ « Mère! Elle est là, elle vient d’arriver! »Le visage rayonnant, Aisleen courait dans le grand couloir menant au boudoir, ses doigts noircis de terre serrés autour de l’enveloppe qu’un élégant grand-duc venait de déposer devant elle dans un hululement cérémonieux à peine quelques minutes auparavant. Elle s’arrêta devant la pièce, se figeant aussitôt en entendant sa mère pousser un petit cri de surprise, faisant sursauter par le fait même son invitée.
« Aisleen Brianna Greengrass, en voilà des manières! Vous arrivez en trombe – en courant dans les couloirs et couverte de saleté, qui plus est – et vous avez interrompue Lady Selwyn. Excusez-vous immédiatement! »La jeune fille aux longs cheveux roux se mordit la joue, visiblement mal à l’aise. Elle avait complètement oublié que sa mère recevait pour le thé cet après-midi-là. Sans se faire prier, elle joignit les mains sans lâcher l’enveloppe, baissant la tête et s’inclinant poliment vers l’avant.
« Je vous prie de me pardonner. Je ne voulais pas interrompre votre conversation. Je peux repasser plus tard… »« Ne soyez pas ridicule, mon enfant! Approchez, et montrez-nous donc l’objet de votre excitation si effervescente! »Aisleen redressa la tête, ses yeux bleus croisant le regard pétillant de Lady Selwyn, une vieille dame au visage fripé et bienveillant. Elle se tourna tout de même vers sa mère, attendant son approbation avant de s’avancer dans la pièce jusqu’à elle, lui tendant l’enveloppe. Eireann la cueillit entre son index et son majeur, la retournant, un sourire naissant sur ses lèvres jusqu’alors pincées en reconnaissant le sceau de l’école de sorcellerie Poudlard. Elle jeta un regard entendu vers son invitée, qui haussa les sourcils en posant ses lunettes en demi-lune sur son nez fin.
« Eh bien, ouvrez-la, ma fille! », s’exclama Mme Greengrass en lui repassant l’enveloppe.
Délicatement, Aisleen décolla le cachet de cire rouge, ouvrant l’enveloppe pour en ressortir un parchemin soigneusement plié.
« Chère Miss Greengrass, nous avons le plaisir de vous informer que vous bénéficiez d’ores et déjà d’une inscription au coll… »La voix de l’adolescente s’éteignit au fil de sa lecture, puis elle leva ses prunelles brillantes sur sa mère, qui se leva pour venir la serrer dans ses bras.
« Félicitations, Aisleen! Nous savions bien que ce jour allait arriver, votre père et moi. Attendez que nous lui annoncions la nouvelle, il sera fou de joie! Et nous pouvons commencer à organiser votre bal de présentation! »Lady Selwyn et elle échangèrent un regard complice, alors que la rouquine, le visage écarlate, fixait sa lettre d’admission comme si elle craignait qu’elle ne s’envole. La perspective de poursuivre ses études magiques à la réputée école de sorcellerie de Poudlard l’angoissait autant qu’elle l’emballait. Pour l’heure, toutefois, elle devait surtout se soucier de choses plus importantes : choisir la robe qu’elle allait porter au bal qui la présenterait au reste de la haute société sorcière. Un bal dont elle serait la vedette, comme une héroïne de roman. Un bal où elle allait devoir démontrer au reste du monde qu’elle était digne du nom Greengrass, tout en s’amusant, évidemment. Un bal qui servirait de prétexte à ses parents pour commencer à lorgner les fils d’autres familles de sang pur pour commencer à discuter de transactions matrimoniales…
❁ La violette : l'amour naissant ❁ En plein mois de février, un nouveau était fraîchement débarqué de la lointaine Russie. En son honneur, le corps professoral avait ressorti le Choixpeau pour savoir dans quelle maison il allait poursuivre ses études. Tous les regards étaient rivés sur lui, y compris celui d’Aisleen, qui ressentait un peu de pitié pour le gamin chétif qui, mis de l’avant ainsi devant toute l’école, avait un peu des airs de bête de foire. Un nouveau qui arrive au milieu de l’année scolaire n’était pas monnaie courante si elle en croyait les murmures autour d’elle. Lorsque le Choixpeau donna son verdict, elle se joignit aux membres de la maison du lion pour l’accueillir, se contentant d’applaudir discrètement. En le voyant s’approcher de la table, elle se cale tout naturellement sur Melwynn, une de ses rares amies, lui faisant une place sur le banc par pure politesse. Toutefois, il ne sembla pas la remarquer et passa droit devant elle sans même un regard dans sa direction, allant plutôt prendre place auprès de cette grande bécasse de Sloane O’Connor. Évidemment. Difficile de la manquer avec sa tignasse criarde et la langue bien pendue qui y était assortie.
« C’est toujours les mêmes qu’on remarque, hein? », pouffa Melwynn en lui donnant un petit coup d’épaule en remarquant son air vexé.
« Tu peux bien parler… », rétorqua-t-elle en roulant des yeux, continuant de manger, le dos bien droit.
***
« Miss Greengrass, comme M. Loskoutrov n’a pas suivi un cursus tout à fait semblable au nôtre, j’aimerais que vous veilliez à ce qu’il soit bien à jour dans ses matières afin de faire en sorte que son intégration à Poudlard se fasse sans heurt. Puis-je vous confier cette tâche? »« Oui, Professeur. »Lorsqu’elle avait accepté cette mission, Aisleen s’était sentie valorisée. On avait pensé à elle pour ses bons résultats scolaires, pour sa rigueur et pour son sérieux. Dans le domaine académique, c’est Miss Greengrass qui brillait, pas Miss Un-Arc-En-Ciel-M’a-Vomi-Sur-La-Tête. Et elle comptait mener sa mission à bien. Pas un professeur dans le château ne pourrait dire que Geoffrey Loskoutrov était à la traîne, foi de Greengrass! Toutefois, maintenant qu’elle se trouvait en tête-à-tête avec lui, elle commençait à se dire que la tâche allait être un peu plus difficile que prévue.
Cela faisait au moins dix minutes qu’il fixait son manuel de métamorphose, les sourcils froncés, l’air totalement confus. Assise en face de lui, Aisleen le scrutait, ennuyée. Son père répétait souvent que les sang-mêlés et les né-moldus étaient pourvus d’une intelligence inférieure à la moyenne. Elle commençait à sérieusement le croire, se disant que la simple barrière de la langue ne pouvait expliquer une pareille difficulté à comprendre les concepts les plus fondamentaux. Tapant le pupitre du bout des doigts, elle finit par briser le long silence.
« Quelque chose n’est pas clair dans ce que je viens tout juste de t’expliquer, Geoffrey? »« Tout… tout être pas clair… »« C’est pourtant de la matière complémentaire à ce que tu as déjà vu… »Elle soupira, se leva et contourna le bureau en rapportant ses cheveux vers l’arrière, les attachant à l’aide du ruban blanc qu’elle portait au poignet, venant ensuite prendre place à côté de lui, rapprochant le bouquin pour relire en diagonale les paragraphes. Elle était embêtée, mais faisait toujours preuve de patience lors de leurs petites séances de mentorat. L’impatience était disgracieuse, et si elle voulait que son mentoré réussisse bien, elle se devait de prendre tout le temps nécessaire pour lui expliquer les choses convenablement.
« On parle de métamorphose de base : transformer un animal en objet inanimé, et vice versa. Le premier cas est plus facile, car on passe d’un être vivant à un objet inanimé, alors que, dans le cas inverse- »« Attends, Asshe-leana… »« Je suis en train de t’expliquer, ne m’interromps p- »Elle se tut immédiatement lorsqu’elle le vit se pencher vers elle, se tendant complètement en sentant ses doigts fourrager dans sa chevelure. Après quelques secondes, il arbora un air triomphant en lui montrant la feuille qui venait vraisemblablement de cueillir sur son crâne, vestige du cours de botanique qu’elle avait eu plus tôt.
« Tu avais une… list dans cheveux », expliqua-t-il en lui souriant après avoir abandonné de chercher le terme anglais pour « feuille », optant pour le mot russe en espérant certainement qu’elle comprenne.
Et elle avait parfaitement compris. Et ce qu’elle semblait avoir encore mieux compris, c’était la soudaine réalisation de leur proximité. Ils n’étaient qu’à quelques centimètres l’un de l’autre. Et devant son sourire et son regard si doux, elle eut aussitôt la sensation que son visage avait pris feu, que son cœur allait lui sortir de la poitrine et que sa bouche s’était complètement desséchée. Se détournant immédiatement, elle se releva, puis alla prendre son sac.
« On arrête pour aujourd’hui. Relis les pages du manuel. On reprend demain. »Raide comme une barre, la démarche robotique, elle sortit à pas rapides de la bibliothèque, allant s’enfermer directement dans une cabine des toilettes des filles, s’assoyant sur la cuvette en se prenant le visage à deux mains. Cette sensation, elle savait exactement ce que c’était. Elle l’avait lu des dizaines de fois dans ses bouquins. Elle avait le béguin pour Geoffrey Loskoutrov. Pour la première fois ce jour-là, elle se posa la question qu’elle se posera des centaines de milliers de fois par la suite : parmi tous les garçons qui fréquentaient le château, pourquoi fallait-il que ce soit lui? Ils venaient de deux mondes différents. Il était inaccessible. Et en dehors du mentorat, il ne la voyait tout simplement pas. Lorsqu’il était en présence de ses amis, elle n’existait plus.
❁ Le souci : la souffrance ❁ Le chaos total s’était emparé du château. Les gens couraient, criaient, mourraient. Sa camarade de chambre n’avait pas menti. Après l’avoir vu aussi chancelante et paniquée, Aisleen avait immédiatement enfilé son peignoir et attrapé sa baguette pour aller au front. Il aurait sans doute été plus sage de faire comme certains et de rester planquée dans la salle commune, mais elle s’y refusait. Elle était une Gryffondor et une Greengrass; la fuite n’était pas une option.
« Nous ne redoutons pas les épreuves », murmura-t-elle pour se donner du courage avant de soigner d’un coup de baguette deux élèves plus jeunes, sonnés au beau milieu du couloir, les aidant ensuite à se relever avant de commencer à descendre jusqu’au grand hall.
Arrivée dans les escaliers, elle s’accroupit en voyant deux grandes silhouettes revêtues de noir les monter, soupirant de soulagement lorsque la volée sur laquelle elle se trouvait se mit à bouger en sa faveur, échappant ainsi à leurs regards. Mâchoires serrées, elle descendit les marches à toute vitesse, essayant d’ignorer les cris de panique qui résonnaient tout autour. Même si elle avait eu le courage de sortir, elle n’en était pas moins rassurée, et c’était la peur qui guidait ses pas. À juste titre.
Elle eut à peine le temps de mettre un pied dans le grand hall qu’elle failli se prendre un sort en pleine tête. Si elle avait fait un pas de plus, elle aurait été très certainement touchée. Elle étira le cou et cru reconnaître le grand frère de Nolwen, qui venait de désarmer avec brio l’un des assaillants. Elle l’admirait pour sa ferveur. Pas certaine d’être en mesure de faire de même, elle se contentait de discrètement passer derrière, soignant tous ceux qu’elle pouvait, essayant au moins de limiter les dégâts. Si elle était tombée jusqu’à maintenant sur des personnes faibles ou inconscientes, elle finit par poser ses mains sur son premier cadavre. Les yeux révulsés, grand ouverts, fixant le vide, le visage éternellement figé dans un cri silencieux. Il lui fallait de l’air frais, et vite. Rapidement, Aisleen se redressa et sortit dans la cour intérieure du château, prenant de grandes inspirations pour chasser la furieuse envie de vider le contenu de son estomac sur le tapis blanc qui recouvrait les dalles de pierre.
« Nous ne… redoutons pas les épreuves… », souffla-t-elle, essayant de se convaincre et de reprendre ses esprits, fermant les yeux.
« Oh, ça c’est la devise des Greengrass. Je reconnais. »Le sang de la rouquine se glaça instantanément. Lorsqu’elle daigna rouvrir les paupières, elle tomba face à face avec un masque métallique terrifiant. Elle ne pouvait distinguer ses yeux derrière celui-ci, et pourtant, elle pouvait sentir son regard lui brûler la peau. L’homme vêtu de noir s’avança vers elle, et elle recula aussitôt. Elle ne put faire que quelques pas avant de se retrouver coincée contre une colonne. Un petit couinement lui échappa lorsqu’elle sentit l’extrémité de sa baguette s’enfoncer douloureusement entre ses clavicules, la faisant tourner lentement.
« Je n’ai que deux mots à prononcer, et tu tombes raide morte, Princesse. Tu dois bien savoir lesquels, c’est bien ici qu’on vous apprend tout ce que vous devez savoir. En plus, ça fait une jolie lumière verte, et on dit que le vert ressort bien sur les roux… »Aisleen resta silencieuse, les doigts si serrés sur sa baguette qu’elle en avait les jointures blanchies. Sa poitrine se soulevait rapidement, sa respiration était saccadée. Et cela semblait amuser follement le Mangemort qui la menaçait. De sa main gantée, il ramena une mèche des cheveux de la demoiselle vers l’avant, la laissant glisser entre ses doigts.
« Mais ce serait du gâchis… le sang qui coule dans tes veines est aussi pur que le mien; toi et tous les autres rejetons au sang pur représentez le futur à ce qu’on dit. J’ai une meilleure idée… Diffindo! »D’un geste rapide, il avait levé la baguette et une lame invisible vint couper la mèche de cheveux, lui lacérant la base du cou par la même occasion. Elle retint sa respiration, l’observant brandir la poignée de cheveux orangés comme un trophée.
« Je crois me souvenir que ta famille est loin d’être à la rue. On aura d’autres occasions de se voir, je t’en fais la promesse. Je suis curieux de savoir combien ton père est prêt à verser pour récupérer sa seule et unique fille. »Il pouffa d’un dernier rire avant de disparaître aussi rapidement qu’il était apparu. Ses jambes refusant de porter son poids plus longtemps, elle tomba à genoux dans la neige, lâchant sa baguette. Elle tremblait autant, sinon davantage, que sa comparse qui avait sonné l’alarme un peu plus tôt. Et elle savait que le froid glacial de février n’y était pas pour grand-chose. Il lui fallut de longues minutes avant de parvenir à se relever, et elle resta à l’extérieur jusqu’à ce qu’un professeur vienne la trouver, la sommant de rejoindre les autres élèves dans la grande salle.
***
La nuit touchait à sa fin. Des flocons virevoltaient paresseusement au plafond de la Grande Salle. Assise à l’écart des autres, une couverture de laine sur les épaules, Aisleen les observait distraitement. Les paroles du Mangemort résonnaient encore dans sa tête. Si elle avait été de sang mêlé, ou pire encore, une née-moldue, il l’aurait sans doute abattue. Et il en aurait certainement tiré un grand plaisir. Devait-elle comprendre qu’elle devait sa vie sauve à ses simples origines, un choix qui ne lui était jamais revenu, finalement?
Son regard glissa sur le groupe composé de Geoffrey, Sloane et le reste de l’inséparable petite bande. Aucun n’était mort, fort heureusement. Mais elle ne put s’empêcher de se questionner. Si son corps inerte s’était retrouvé parmi tous ceux qu’on avait rassemblés dans des classes vides, à l’abri des regards, cela aurait-il eu un impact sur leur vie? Elle en doutait très fortement. Enfin, elle se disait qu’O’Connor se serait sans doute réjouit d’une telle conclusion. Elle était peut-être même déçue qu’elle s’en soit tirée avec rien de plus qu’une entaille modérément profonde au cou, des engelures aux mains et aux pieds et une légère hypothermie. Cette simple pensée lui serra le cœur, et elle serra la couverture autour d’elle en rentrant la tête entre ses épaules, tentative vaine de réconfort.
Un mouvement soudain dans le groupe attira toutefois son attention, et elle observa le jeune homme Russe quitter la Grande Salle à pas rapides, une lettre à la main. En voyant son visage inquiet, la rouquine devina aussitôt que l’objet de la missive était sérieux et, aux vues des derniers événements, il ne devait certainement pas être bien joyeux. Elle aurait tant aimé lui prendre le bras et l’accompagner, au moins pour le rassurer et tenter de lui faire retrouver son sourire si doux. Mais elle n’était rien pour lui – une connaissance, tout au plus. Ses mots n'auraient jamais eu autant d’impact que ceux de ses amis. Comme elle ferma les yeux pour essayer de faire le vide dans son esprit, un grand cri la fit sursauter.
« AISLEEN! »Ses parents, ainsi que ceux d’autres élèves, venaient d’entrer dans la pièce. En voyant les bras tendus de sa mère, Aisleen bondit sur ses pieds et courut s’y réfugier, éclatant en sanglots en se blottissant tout contre elle. Ses doigts couverts de bandage s’agrippèrent à son manteau, enfouissant son visage contre l’épaule de son père, les deux lui offrant l’étreinte dont elle avait tant besoin depuis des heures.
« Le ciel soit loué, ma chérie, vous n’avez rien… »« Rentrons sans plus tarder. Vous pourrez mieux vous reposer au calme, dans votre chambre. Nous ferons rapatrier vos affaires. »La Gryffondor se contenta de hocher la tête, se laissant guider vers la sortie. Sa mère se fourvoyait, car elle n’avait pas rien; elle avait terriblement peur. Elle ne redoutait certes pas les épreuves, mais elle craignait le Mangemort et sa promesse. Il connaissait sa famille. Il savait où la trouver. Il reviendrait, elle en était certaine.
❁ Le magnolia : le renouveau ❁ Assise à bord du train, un livre dans les mains, la tête lourde d’une Melwynn endormie sur son épaule, Aisleen contemplait les paysages défiler à toute vitesse. Il s’en était fallu de peu pour que ses parents refusent qu’elle retourne à Poudlard cette année. La jeune femme avait bataillé tout l’été, forgeant ses arguments pour essayer de contrer tous les leurs. Finalement, c’est en jouant la carte des études et de la protection du Conseil des Purs qu’elle était parvenue à les convaincre de la laisser aller. Depuis la Nuit Pourpre, de nombreux événements s’étaient produits, changeant la face du monde sorcier et de ses institutions, Poudlard y compris. Certains – plus importants encore pour la vie d’adolescente d’Aisleen – avaient eu un effet moins étendu, mais bien plus intense. Cinq mois s’étaient écoulés depuis le drame de Pâques. Elle savait qu’elle ne verrait plus certains visages cette année. Et elle trouvait cela surréel.
« Leen? Hé oh, tu m’entends? »La voix de Mel la tira de ses rêveries, et elle retourna vers son amie, lui lançant un regard inquisiteur.
« On est arrivés. »Déjà? Elle s’était vraiment perdue dans ses pensées. Rangeant son livre dans son sac, elle suivit Melwynn hors du train, montant à bord des chariots qui les menaient tout droit jusqu’au château. Lorsqu’elles entrèrent dans la Grande Salle, elles allèrent prendre place à la table des Gryffondor, et son estomac fit un petit tour de manège lorsque ses pupilles se posèrent sur le visage de Loskoutrov. Plus mature encore qu’en septembre dernier, mais aussi plus sombre et plus triste. Elle le regardait, mais comme à son habitude, lui ne la voyait pas. Avant qu’elle ne puisse s’attarder davantage sur son esprit transi d’amour impossible, on annonça le début de la cérémonie de répartition, et comme tous les autres, elle tourna son attention sur les petits nouveaux, ainsi que sur les moins petits nouveaux, une délégation d’élèves étrangers venus d’un peu partout dans le monde. Alors qu’elle suivit du regard une jolie demoiselle à la volumineuse chevelure bouclée qui alla s’installer à la table des Serdaigle, elle sentit Melwynn lui tirer la manche, se penchant aussitôt vers elle.
« T’as remarqué? O’Connor est pas là. »Tiens, maintenant qu’elle le mentionnait, c’est vrai qu’elle n’avait été ni aveuglée par ses cheveux aux couleurs impossibles ni assourdie par sa voix beaucoup trop forte. Elle regarda à droite, puis à gauche, la cherchant du regard sans succès. Beaucoup de choses avaient changé; beaucoup plus de choses qu’elle ne l’aurait cru. Aisleen soupira. Seul le temps allait révéler si ces changements allaient être positifs ou négatifs.
« Espérons seulement que ce soit une bonne année… »