Hello? Is It Me You're Looking For? ⌖ Helena & Remus

Quel temps de chien il faisait! Si d’ordinaire Londres figurait parmi les capitales les plus mouillées du monde, elle ne donnait certainement pas sa place lorsque l’année tirait à sa fin. Pluies intermittentes, pluies torrentielles et neiges fondantes se relayaient, s’assurant de cacher les astres derrière une épaisse couverture nuageuse que tous les vents, peu importe leur force ou leur direction, ne parvenaient pas à repousser. Ainsi, cela faisait déjà plusieurs semaines que les heures d’ensoleillement en journée étaient pratiquement inexistantes. Les gens se montraient aussi maussades que le temps, le raccourcissement des journées et leur manque de vitamine D commençant à jouer avec leur chimie cérébrale. Helena avait pu observer le phénomène à l’école, mais également au café où elle travaillait. Impatience et irritabilité étaient les maîtres mots de cette période de l’année. Elle-même n’était pas à l’abri, mais dans son cas, le soleil n’y était pour rien.

En effet, c’est sa sœur – la lune – qui était la grande coupable des sautes d’humeur imprévisibles de l’adolescente. Car aussi épais et persistants les nuages étaient-ils, la reine de la nuit continuait de mener du bout du doigt non seulement les marées du monde entier, mais également tous les êtres qui devaient se plier à ses volontés lorsqu’elle prenait toute sa rondeur. Miss Clark faisait partie des derniers membres de la cour, bien malgré elle. On s’était délecté de son sang et de sa chair, au point de la pousser dans les bras de la Mort. Mais la Mort l’avait repoussé, et ainsi elle s’était réveillée. Son corps porterait à jamais les traces de cette attaque qui s’était voulue mortelle, lesquelles étaient savamment dissimulées sous les vêtements et des couches d’encre tatouées sur l’épiderme qui avait guéri aussi mystérieusement que rapidement. Les médecins l’avaient qualifiée de miraculée. La pleine lune d’octobre, quant à elle, lui avait plutôt apposé l’étiquette de maudite. Et celle de novembre, qui venait tout juste de passer était venue confirmer la chose. Ainsi, Helena avait été laissée à elle-même, sans supervision, sans explication.

Plusieurs mots pouvaient décrire la sensation que la jeune femme avait éprouvé au réveil, mais aucun ne permettait de réellement démontrer toute l’ampleur et la profondeur du mal-être et de la peur qui lui tenaillaient les entrailles sans aucune pudeur ni merci. Le loup aux poils ébène semblable à ses cheveux et aux yeux vert brillant qu’elle voyait trotter derrière ses paupières depuis son agression lui avait bien fait comprendre qu’il s’était emparé d’une partie de son âme, gratifiant par le fait même quelques améliorations à son enveloppe charnelle. Tous ses sens s’étaient amplifiés, voir la nuit n’était plus un problème, et sa force et son endurance semblaient augmenter chaque fois que la lune changeait de phase. L’adolescente savait qu’est-ce qu’elle était devenue : un loup-garou. Comme ceux des films, comme ceux des livres. La fiction avait bien vite rattrapé la réalité. Mais les Moldus n’ont que le folklore, les vieilles légendes et les arts pour toute référence. Et elle avait besoin de tellement plus…

Elle savait qu’elle n’était pas la seule louve à errer dans les rues londoniennes. Elle pouvait sentir les autres. Parfois loin, parfois pas trop loin, parfois beaucoup trop près. Ceux qui lui tournaient autour la terrorisaient. Et si elle en croyait les documentaires animaliers qu’elle regardait avec sa mère lorsqu’elle était petite, un loup solitaire est un loup condamné. Si la même règle s’appliquait aux lycanthropes, alors elle devait passer outre sa réticence d’appartenir à un quelconque groupe et aller de son propre chef chercher l’aide et la protection dont elle avait tant besoin pour mieux dormir la nuit et pour, avec un peu de chance, faire en sorte que la prochaine pleine lune soit moins terrifiante et douloureuses que les deux précédentes.

C’est ainsi qu’immédiatement après les cours, Helena avait décidé de mettre à profit sa nouvelle petite truffe, humant discrètement l’air et se laissant guider par ce qu’elle ressentait – son instinct primal, sans doute – pour trouver ce qu’elle recherchait. Il ne lui suffit que de quelques minutes pour distinguer une présence à proximité. Ouvrant son grand parapluie noir en constatant que la météo ne s’était pas améliorée depuis la matinée, elle se mit en route. Une vingtaine de minutes plus tard, elle se tenait devant ce qui ressemblait en tout point à un petit bar sans prétention. Elle haussa légèrement les sourcils en voyant l’enseigne et le nom de l’établissement. Black Dog. Si le propriétaire était le loup qu’elle souhaitait rencontrer, il avait un sens de l’humour assez particulier. Elle secoua son parapluie, puis le replia avant d’entrer à l’intérieur.

Il devait y avoir une dizaine de personnes à l’intérieur, tout au plus. Ses grands yeux verts se posèrent sur chacun d’eux, mais aucun ne semblait être celui qu’elle cherchait. Remarquant alors qu’elle semblait avoir attiré l’attention de l’homme derrière le bar, ce qu’elle ne souhaitait pas vraiment, elle s’approcha du comptoir et se hissa sur l’un des tabourets. Sans un mot, le barman lui poussa un verre d’eau. Elle observa le liquide transparent se balancer de droite à gauche avant de s’immobiliser.

« Merci, mais ce serait possible d’avoir une chopine de bière, s’il vous plaît? », demanda-t-elle poliment en déposant son sac sur le tabouret d’à-côté.

« Ah non, désolé, ma jolie. Ça va pas être possible. T’es certainement pas majeure », rétorqua-t-il avec un sourire en la regardant de la tête aux pieds. La jupe à carreaux de l’uniforme de la Northridge Academy ne devait certainement pas aider, sa petite taille encore moins.

Helena lui renvoya un air excessivement blasé, sortant sa carte d’identité de sa poche, la lui glissant lentement sur le comptoir de bois. Il la prit, y jeta un œil et la lui redonna.

« C’est ce que je dis. Pas majeure, pas d’alcool. »

« Hey, c’est que quelques millilitres de bière. Littéralement pas la mer à boire. Eh pis d’ailleurs, à 16 ou à 17 ans, on peut boire de la bière en présence d’un adulte. Et il se trouve que vous en êtes justement un », dit-elle, son regard se faisant un peu plus insistant. Le barman plissa les yeux, et elle l’imita, prenant une longue gorgée de son verre d’eau. Il finit par soupirer en secouant la tête, remplissant l’une des plus petites choppes qu’il avait sous la main de bière avant de le lui donner.

« C’est le seul que t’auras. J’ai pas envie de me prendre la tête. »

« Merci, je n’en demande pas plus. »

Elle sourit, trempant aussitôt ses lèvres dans la broue. Avoir le dernier mot avait toujours un effet satisfaisant. Elle sortit un petit calepin, son agenda et un crayon de son sac, les ouvrant et notant quelques petits trucs, tentant d’avoir l’air occupé et détaché alors qu’elle se concentrait sur son ressenti. La présence de l’autre loup était bien palpable en ces lieux, mais elle n’avait pas l’impression qu’il s’y trouvait physiquement. Ce devait être un endroit qu’il fréquentait souvent, se dit-elle, offrant un autre sourire au barman lorsque son regard croisa le sien. Peut-être qu’il le connaissait. Mais elle ne pouvait tout de même pas lui demander s’il connaissait un loup-garou, si? Ce serait stupide et imprudent. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’il s’agissait probablement d’un homme plus âgé et plus expérimenté qu’elle. Le reste lui était parfaitement inconnu.

Helena attendit, buvant sa bière en guettant les allées et venues des clients, ces derniers de plus en plus nombreux à mesure que le soleil invisible déclinait à l’horizon et que l’obscurité du soir s’installait. Lorsqu’enfin sa chopine fut vide, elle poussa un petit soupir de déception. Toujours rien. Il n’était pas là. Elle fouilla dans son portefeuille pour en sortir quelques livres, payant sa boisson avant de remballer ses affaires, de se glisser dans son manteau et de sortir, ravie de voir que la pluie s’était transformée en une fine bruine qui ne nécessitait pas l’usage du parapluie.

Alors qu’elle marchait dans la rue, elle fronça les sourcils. La présence, elle la sentait toujours. Avait-elle les sens détraqués? Peut-être bien…

Même si elle tentait de se raisonner, Helena ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine frustration face à cette nouvelle tentative échouée. Il était tout à fait injuste d’en vouloir au loup qui brillait toujours par son absence. Après tout, ce dernier n’avait même pas conscience qu’elle existait, alors comment pouvait-il se douter qu’elle le recherchait et qu’elle voulait entrer en contact avec lui? Évidemment qu’il allait continuer de vaquer à ses activités, à faire son petit train-train quotidien, quand bien même elle décidait de visiter ce bar des centaines de fois. Son énervement ne ciblait donc pas le mystérieux alpha, mais bien le destin qui se plaisait à jouer avec sa patience. Elle finirait bien par le croiser.

Il le fallait. Bien qu’attachée à sa solitude et à son indépendance, elle savait pertinemment que nouvelle réalité rimait avec nouvelle façon de vivre. Deux mois en tête à tête avec la louve qui sommeillait désormais en elle avaient été plus que suffisants pour conclure qu’elle avait besoin d’aide et d’encadrement. Elle ne pouvait pas rester là les bras croisés à attendre la prochaine pleine lune. À attendre que la créature ne s’impatiente. À attendre qu’elle ne franchisse une ligne qu’elle redoutait. À attendre que le sang sur ses mains ne soit humain plutôt que pigeon. Une bête sauvage devient imprévisible lorsque sa survie en dépend – elle avait vu assez de documentaires animaliers pour le comprendre.

D’ailleurs, alors qu’elle s’éloignait du Black Dog, son instinct lui disait de ne pas marcher trop vite. La pluie n’avait pas fait disparaître l’odeur de sa cible, qui se voulait assez persistante. Pourtant, à chaque pas, la distance entre elle et le petit commerce augmentait. Il aurait été plus logique que ce parfum si distinctif finisse par se dissiper dans l’air, que d’autres arômes prennent le dessus et la masquent. Ce n’était pas le cas. Alors que cette pensée lui frôla l’esprit, des bruits de pas résonnèrent derrière elle et une voix l’interpella. Aussitôt, elle s’arrêta dans son élan, se retournant lentement vers son propriétaire. Là, à quelques mètres d’elle, se tenait un jeune homme brun à l’air un peu embêté. À vue d’œil, il devait avoir environ son âge, sinon légèrement plus vieux.

« Salut », répondit-elle simplement, levant ses yeux clairs sur son visage pour le scruter avec curiosité.

Même s’il était plus grand qu’elle, chose plutôt facile à faire vu sa petite taille, il n’avait pas du tout la carrure d’un alpha – du moins, il ne cadrait pas vraiment avec l’image qu’elle s’en était fait. Pour elle, un alpha était un homme imposant aux muscles bien définis, au visage fermé et sérieux, au regard sombre et menaçant. Le genre de personnage qui ne tend pas à rire, semblable à un chef militaire à qui l’on doit obéir au doigt et à l’œil. Il devait y avoir erreur de casting. Pourtant, il lui suffit de renifler rapidement l’air pour confirmer qu’il était bel et bien le porteur de l’odeur qu’elle traquait depuis des semaines. Face à ce constat, la brune ne put s’empêcher de pouffer légèrement de rire.

« Pardon, je ne me moque pas, promis! », s’empressa-t-elle de préciser, reprenant rapidement contenance. Elle se racla la gorge, venant mordre sa lèvre inférieure.

C’était à son tour de se sentir bien embêtée. Elle savait qu’il était un loup; sans doute savait-il qu’elle faisait partie de la même équipe, elle aussi. Mais comment aborder la chose? Déjà qu’interagir avec des êtres humains banals n’était pas sa force, on ne lui avait jamais appris à échanger avec des loups-garous. Sa main gauche vint s’agripper à la sangle de son sac à bandoulière, la rajustant machinalement alors qu’elle fit un pas vers lui.

« Euh… ce que je vais te dire va peut-être te paraître insensé, mais je pense que t’es celui que je cherchais », lâcha-t-elle en ramenant ses cheveux derrière son oreille, plissant légèrement le nez en sachant très bien que c’était une mise en matière singulière. Avec une timidité qui se traduisit en légère hésitation, elle avança sa main droite vers lui. « Je m’appelle Helena. Je suis ravie de te rencontrer enfin. »

Même si elle n’était pas totalement à l’aise, elle parvint tout de même à lui sourire, car aucun mensonge n’avait été prononcé. D’une certaine manière, elle était plutôt heureuse de ne pas se retrouver face à un alpha trop impressionnant. Celui-ci semblait aussi aimable que fiable, et c’était plutôt de bon augure.