Piano Man ⌖ Helena & Regulus

Miss Helena Clark avait un cœur de nomade, sédentarisé par nécessité. Ainsi, à défaut de tout lâcher et d’aller là où le vent la menait, elle se contentait de parcourir la capitale anglaise. S’aventurant tantôt dans ses quartiers les plus achalandés, tantôt dans ses coins les plus reculés, elle dénichait parfois des endroits intéressants qu’elle finissait par s’approprier. Parmi ceux-ci, Camden Town était l’un de ses favoris. Culture alternative, need I say more? Là-bas, on retrouvait d’autres enfants qui, comme elle, se détournaient du droit chemin pour tomber directement dans les bras de Belzébuth. Enfin, ça, c’était selon Darlene, sa très charmante laide-mère. Et tout ce qui pouvait enrager ou effrayer la fausse blonde aux tailleurs trop serrés, Helena le retrouvait dans les nombreuses boutiques éclectiques du quartier, ou encore dans le bric-à-brac de ses marchés et bazars. À Camden, il y avait également un bar pas comme les autres : le Black Dog.

Rôder aux abords de l’établissement était devenu une habitude. Bien malgré elle, évidemment. Flâner n’était pas vraiment son type d’activité; quitte à perdre son temps, autant l’occuper autrement en allant fouiller dans les boîtes de vinyles et de cassettes inusités de son magasin de musique préféré. Pourtant, à de nombreuses reprises, elle s’était rendue jusqu’au petit local pour y boire une bière, un café ou un thé, espérant croiser le loup qu’elle voulait tant rencontrer. La vie se jouait assurément d’elle, car jamais elle n’avait réussi à le voir. En plus, son odeur disparaissait parfois, pour réapparaître plus tard, comme si quelqu’un jouait avec un interrupteur. Toutefois, Helena continuait de se présenter au Black Dog, car l’endroit était baigné du parfum caractéristique du loup inconnu. Il était plutôt logique que, par la force des choses, elle finisse par tomber dessus, si?

Une semaine s’était déjà écoulée, et Helena n’avait malheureusement pas encore eu cette chance. Aussi commençait-elle à s’impatienter un peu. Pas que l’ambiance au Black Dog était désagréable, bien au contraire. Le style punk-rock de l’endroit cadrait merveilleusement bien avec la demoiselle. Mais elle avait hâte de pouvoir recevoir un peu d’aide. Et bien que cela lui déplaisait fortement de l’admettre, il lui tardait de se sentir moins seule, sans doute la faute de la nature grégaire du loup. C’est l’excuse qu’elle se donnait pour expliquer pourquoi la grande solitaire qu’elle était ressentait un manque criant de compagnie et le besoin grandissant de le combler. D’avoir ne serait-ce qu’un semblant de sentiment d’appartenance.

Cours terminés, effets scolaires emballés, Helena avait repris le chemin de Camden pour aller siroter un café. Elle s’installerait à la table du coin, ni trop à l’écart ni trop au centre, pour avancer ses devoirs tout en gardant une vue d’ensemble sur la salle, attentive aux signaux que lui envoyait son antenne lycanthrope. Seulement, ce jour-là, elle ne fut pas accueillie par les conversations des autres clients, ou encore les publicités qui passaient sur l’une des télévisions. C’est plutôt le bruit d’une mélodie merveilleusement bien jouée au piano qui lui souhaita la bienvenue. La brunette redressa immédiatement la tête, se tournant vers la scène tout au fond, remarquant que le bar était complètement vide. Il n’y avait qu’elle et le garçon assis devant le clavier monochrome.

Lentement, sans le quitter des yeux, elle fit glisser son manteau de son épaule, le déposant sur la chaise qui se trouvait non loin de là avec son sac. Puis, elle s’avança jusqu’à la scène, s’accoudant contre cette dernière. Elle posa son menton sur ses bras, observant d’un air rêveur et curieux les doigts graciles du pianiste marteler les touches. Une vague de douce nostalgie l’enveloppa; le son du piano lui rappelait toujours sa défunte mère, surtout lorsqu’il était joué avec autant de passion. Elle ferma les paupières, se laissant bercer par la musique jusqu’à ce que celle-ci se tut.

« Magnifique, bravo », souffla-t-elle en rouvrant les yeux, se redressant pour regarder le brun, lui adressant un petit sourire. « C’est ta composition? Je ne me rappelle pas avoir déjà entendu cette pièce auparavant. »

Elle n’aurait peut-être pas mis la patte sur son mystérieux loup, mais elle avait déniché un bel inconnu aux doigts magiques. Cette visite au Black Dog s’annonçait passionnante.