Draco Dormiens Nunquam Titillandus : proverbe latin signifiant « Ne dérangez jamais un dragon qui dort ». Devise de la grande école de sorcellerie Poudlard, figurant sur les armoiries de cette dernière. Mais que voulait-elle dire, au juste? Curieuse comme jamais, Aisleen avait effectué ses recherches avant même d’avoir foulé les sols de pierre millénaire de l’établissement scolaire. Elle en avait déduit ceci : éviter les ennuis. Et quel était le meilleur moyen d’y parvenir? En restant bien sage et en suivant les règles, pardi. La rouquine s’y était appliqué dès sa première rentrée. Elle qui adorait tant son école lui rendait hommage chaque fois qu’elle en avait l’occasion. Cela passait par le respect des règlements, certes, mais aussi en partageant ses connaissances sur l’endroit avec d’autres.

Aisleen était la parfaite ambassadrice de Poudlard. Elle avait toujours aimé faire découvrir le château aux nouveaux venus, en veillant à ce qu’ils y aient rapidement des repères entre ses murs. Cette propension à se porter toujours volontaire auprès de la direction et du personnel enseignant pour s’occuper de l’intégration des plus jeunes ou des étudiants transférés ou en échange lui avait souvent valu quelques moqueries de la part de certains camarades. Aisleen la lèche-botte, Lady Greengrass qui veut s’empresser de montrer sa supériorité, Sa Majesté Hospitalité… elle les avait toutes entendues ou presque. Toutefois, même si les sobriquets qu’on lui donnait la faisait rougir de colère et d’embarras, elle ne s’empêchait pas pour autant de jouer les tutrices et les accompagnatrices. Ainsi, lorsque le Professeur Dumbledore l’avait approchée pour lui demander si elle voulait bien se charger d’un nouvel étudiant, elle n’avait évidemment pas refusé.

On lui avait donné quelques renseignements sur son nouveau protégé : Kaiser A. Malefoy, anciennement de Beauxbâtons. La Gryffondor s’était bien gardée de faire une quelconque réflexion sur le fait que son transfert se voulait plutôt tardif. Elle savait bien que cela pouvait se produire – Geoffrey était bien arrivé en février en première année. Elle était simplement étonnée qu’il n’ait pas fait partie de la véritable délégation française qui était débarquée en Écosse en septembre. Peut-être qu’Orphea et Louis le connaissaient? Le nom Malefoy était loin d’être inconnu; il n’avait pas non plus la meilleure réputation. Peu importe, elle devait se montrer à la hauteur de la tâche qui lui avait été confiée. En tant que préfète, oui, mais aussi en tant qu’héritière de la lignée Greengrass. Elle devait se montrer digne de sa mère en termes d’accueil.

Pour cela, Aisleen avait passé les trois dernières soirées à travailler sur un recueil de notes. Le matin du grand jour, assise en tailleur au milieu de son lit, elle avait étalé le fruit de son dur labeur, soit plusieurs morceaux de parchemin recouverts d’une élégante écriture manuscrite toute en légèreté et en délicatesse – la sienne, devant elle. Les notes comprenaient divers renseignements, y compris certains sur la vie au château, les horaires, les différents de mots de passe, ainsi que quelques conseils et astuces. Comme Kaiser avait été réparti à Serpentard, elle avait même consulté des camarades vert et argent pour pouvoir ajouter d’autres informations clés qui ne concernaient que les protégés de Salazar.

Après quelques minutes, après avoir réussi à mettre de l’ordre dans sa documentation, elle avait jeté un dernier coup d’œil à son reflet pour s’assurer que son uniforme était parfaitement placé et sans faux plis, cravate bien droite et pas une chaussette plus haute que l’autre, avant d’enfiler sa robe de sorcier aux couleurs de sa maison et d’y épingler son insigne de préfète. Elle replaça rapidement sa frange, fit tournoyer quelques boucles rousses autour de ses doigts pour leur redonner du rebond, attrapa son sac, fourra le recueil de notes à l’intérieur et descendit jusqu’au rez-de-chaussée. Elle se rendit jusqu’au grand hall, où elle avait donné rendez-vous par hibou au Serpentard. Là, devant le panneau d’affichage, se trouvait un grand jeune homme aux éclatants cheveux blonds qu’elle devina être celui dont elle avait la charge aujourd’hui. Elle prit une grande inspiration, puis s’avança vers lui d’un pas plutôt assuré.

« Bonjour! Kaiser, c’est bien ça? Je m’appelle Aisleen Greengrass. C’est moi qui t’aie écrit hier soir. Ravie de te rencontrer enfin! » Sourire chaleureux aux lèvres, elle lui tendit la main, regardant les autres élèves entrer et sortir de la Grande Salle. « As-tu déjà pris ton petit-déjeuner? Sinon, ça peut très bien être notre premier arrêt. »

Une pensée lui traversa alors l’esprit, la faisant légèrement sursauter. Ouvrant grand les yeux, les pommettes rosies, elle reprit de plus belle.

« J’allais presqu’oublier l’essentiel : bienvenue à Poudlard! »

Depuis sa plus tendre enfance, Aisleen côtoyait les familles de sang-pur. Les événements étaient divers, passant de bals saisonniers aux banquets tenus pour la simple et unique raison de prendre des nouvelles des uns et des autres – façon polie et discrète de décrire le potinage en règle. Elle avait été éduquée comme une lady, un peu en marge de la société. Au fil des années, et surtout depuis son arrivée à Poudlard, elle avait pu constater, à son grand désarroi, que ce n’était pas le cas de tous les enfants issus de lignées puristes. Certains avaient engendrés des pestes, d’autres des rustres de la pire espèce. Famille noble ne rimait malheureusement pas toujours avec comportement noble. Cependant, lorsque le blond se présenta à son tour et lui serra la main comme il se devait, ni trop fortement ni trop faiblement, elle sut qu’elle avait affaire avec son égal. Il savait se tenir et parlait bien. La première impression était plutôt bonne.

« Oui, c’est vrai qu’il peut parfois être difficile de s’y retrouver », répondit-elle en rentrant légèrement la tête entre ses épaules, l’air désolé, comme si elle était responsable des nombreux dédales du château. « Il y a des endroits dont j’ignore encore l’existence. Poudlard est à la fois fascinant et déboussolant. Mais ne nous emballons pas : commençons par le début. Suis-moi! »

Sur ce, elle fit un petit tour sur elle-même, sa jupe et sa robe de sorcier virevoltant autour d’elle avant de prendre la direction de la Grande Salle qui ne se trouvait qu’à quelques mètres de là. Alors qu’elle parcourait la pièce du regard, elle ne put s’empêcher de bomber le torse de fierté à la mention de sa maison et de son rôle. Pour la rouquine, il n’y avait pas plus grand honneur que le petit insigne qu’elle portait à la poitrine. Ses performances académiques et son assiduité avaient été reconnus l’an dernier. Tous les jours depuis lors, elle s’appliquait faire régner le règlement du mieux qu’elle le pouvait, et ce, même si certains finissaient par la détester pour cette même raison.

« C’est exact! », rétorqua-t-elle sans dissimuler la passion qui animait sa voix, se dirigeant justement vers le bout de la table des rouge et or, s’installant sur un banc après avoir invité Kaiser à prendre place sur celui d’en face. Des regards curieux – pour la plupart très peu subtils – se posèrent sur la paire. Aisleen les remarqua, mais se contenta de les ignorer, le rose toujours aux joues. « Il est vrai qu’il existe une rivalité entre nos deux maisons. Selon la légende, elle remonterait au temps des fondateurs. On dit que Godric Gryffondor et Salazar Serpentard avaient du mal à s’entendre sur beaucoup de points, y compris la façon d’enseigner la magie aux jeunes sorciers. » Elle se racla la gorge, continuant ses explications sur un ton plus bas. « Comme tu es un Malefoy, je présume que la nature de ces malentendus ne doit pas t’être inconnue… »

Elle garda ses yeux vert clair sur le visage de son interlocuteur, le scrutant avec attention avant de commencer à remplir la grande assiette dorée qui était apparue devant elle en même temps que de nombreux plats débordant de viennoiseries et autres délices du petit-déjeuner. Selon elle, il était bien impoli d’insinuer quoi que ce soit sur les allégeances passées des Malefoy. Il était de connaissance publique que le présent héritier de la branche principale, Lucius Malefoy, avait joué un rôle prédominant lors de la guerre qui venait à peine de se finir. Même sans cela, les opinions très puristes des Malefoy n’avaient jamais été un secret pour personne.

La Gryffondor n’avait pas envie que la visite qu’elle voulait agréable et sans prétention se transforme en débat politique stérile. Elle-même ne pouvait pas se targuer d’être la parfaite puriste puisque son cœur battait maintenant depuis des années pour un sang-mêlé, et qu’elle n’avait que faire des avances de la plupart des bons partis de sang pur qui tentaient de mettre le grappin sur la dot des Greengrass, qu’ils s’imaginaient tous des plus intéressantes compte tenu de la richesse mirobolante de la famille, sans oublier son importante influence dans différentes sphères de la communauté magique. Non, elle ne voulait pas que Kaiser se transforme en un autre Serpentard décevant, en une autre vipère qui se ferait un malin plaisir de venir lui crachoter son venin au visage. Mais de façon subtile, évidemment, histoire de ne pas avoir la famille sur le dos.

« Oh! » Aisleen se redressa légèrement en voyant un groupe de Gryffondor se lever de table pour aller s’installer à la table des Serdaigle lorsque trois filles à la cape bleue entrèrent dans la salle en riant. « Comme tu peux voir, chaque maison a sa table, mais il n’est évidemment pas interdit d’aller s’asseoir ailleurs pour partager un repas entre amis. Les tables séparées, c’est surtout pour les événements officiels comme à la rentrée, lors de la cérémonie de la répartition, les repas de fêtes ou bien à la fin de l’année, quand le Professeur Dumbledore décerne la coupe des Quatre Maisons. » Un petit sourire vint éclairer son visage. « C’est d’ailleurs l’un des moments où la rivalité Gryffondor-Serpentard est palpable. Ça, et lors des matches de Quidditch. Si nous devenons amis, nous serons obligés de mettre cette amitié en pause l’espace d’un instant. »

Elle prit une bouchée d’œufs brouillées, le regard espiègle. En réalité, elle n’avait que faire du Quidditch. Pour la coupe des Quatre Maisons, c’était une toute autre histoire…