La gueule en biais, le bras à moitié déformée par la brisure d'un os, le sang qui coagule difficilement de ta lèvre, de ton arcade, de ton flanc, de tes ongles retournés. Tu grognes quand tu arrives enfin à passer les portes de Sainte-Mangouste, t'affligeant pas de la gueule que tu donnes à voir aux autres qui se trouvent là. T'es là pour une seule raison - qu'il se trouve ici un être qui a ton entière confiance pour te redonner la forme que tu devrais avoir normalement. Si compté qu'tu ai un physique normal - assez normal pour donner l'air d'être humain la plupart du temps.
C'est pas étonnant chez toi de finir la gueule de travers - ça fait parti du job, quand on se fait payer pour torturer, voler ou tuer des gens. Tu te fais bien à cette vie parce qu'à force de vivre sans savoir de quoi demain sera fait, t'as fini par te faire payer pour cela. Pour vivre au jour le jour sans te soucier des conséquences de tes actes. En général t'es plutôt doué pour ramasser le fric à la fin - sauf que cette fois la mission s'est montrée plus ardue que tu le pensais.
Les blessures ? Causées par des dragons. Tu t'attendais pas à ce qu'ils s'en trouvent trois près de l'hôtel où était ta cible. T'as voulu passer par l'arrière du bâtiment, te ramassant face à ces trois créatures volantes et assoiffées de sang (ou juste territoriales, assez pour vouloir te dévorer comme tu étais l'intrus). T'es pas sûr de savoir comment t'as réussi à t'en sortir, et t'es pas certains de redevenir comme avant. Juste tu veux voir une gueule familière et quand y a un médicomage qui s'approche de toi c'est à peine si tu lui glisses un mot. Le seul que t'as à la gueule, c'est Orthos. Que tu répètes comme une litanie jusqu'à le gueuler quand un autre médicomage cherche à t'approcher.
Finalement, t'es accompagné jusqu'à une salle, au quatrième étage. Prostré dans un coin, tu commences à te demander si t'aurais pas dû apparaitre chez lui plutôt - au moins là t'aurait eu personne d'autres pour t'emmerder ou vouloir te toucher sans ton accord. Mais Orthos finira bien par se montrer, comme tu mords tout ceux qui tentent de t'approcher autrement.
Ils ont essayé de poser des questions - t'as juste répondu Orthos comme un dégénéré et maintenant t'attends. T'attends qu'ils t'amènent enfin ton meilleur ami - l'seul type qui peut te re-casser un bras et que t'embrasseras quand même pour ça.
Quand la porte s'ouvre sur lui tu t'empêches de soupirer d'extase : Enfin, j'ai failli t'attendre. Tu me manquais, j'voulais te proposer à déjeuner. Dis-tu sur le ton de la plaisanterie - d'une voix qui déraille aisément, à force d'avoir gueuler de douleur quand les bestioles s'en sont prises à ton bras puis à t'frapper avec leurs écailles quand t'as roulé en tout sens pour trouver un endroit où leur échapper. Enfin, une fois que je me serais refaire une beauté. Tu crois pouvoir m'arranger ça ? Demandes-tu en lui montrant l'angle étrange de ton bras.
Ce stage au quatrième étage de Sainte-Mangouste était toute une aventure. En se lançant dans la médecine, il s'était bien douté qu'il en verrait des vertes et des pas mûres. Pourtant, il n'avait pu s'empêcher de grimacer face à certaines blessures, lors de sa semaine d'observation. En somme, il avait pu voir beaucoup de structures du corps humain directement devant ses yeux, sur modèles vivants. Ainsi que du sang, beaucoup de sang. Mais cette partie était bien plus agréable que de gérer un patient agressé par un Quintaped. Ces créatures raffolant de la chaire humaine, partaient bien souvent avec des morceaux, rendant les blessures assez immondes à regarder.
- M. Shacklebolt ? - Oui ? - Il y a un patient qui vous demande dans la salle d'observation 12.
Le jeune homme hausse un sourcil, intrigué. Est-ce que @Siobhan A. Mandragoran lui rendait visite ? Ce n'était pas l'étage habituel sur lequel il se rendait, ni sur lequel sa sœur était bien souvent admise. À moins qu'il ne s'était encore fourré dans une histoire invraisemblable et qu'il s'était fait attaqué par une quelconque créature. Quoi qu'il en était, c'était assez rare qu'un patient demande à le voir lui, spécifiquement. Son interrogation toujours accrochée à son visage, il lance un regard à son référent de stage.
- Vas-y, rappelle-toi tous les protocoles, tes sortilèges de stérilité. Je te rejoins dès que j'ai terminé ici.
Un grand sourire de fierté se dessine sur ses traits, laissant apparaître la blancheur de ses dents qui contrastait avec le teint de sa peau. Si son référent lui faisait assez confiance pour faire l'observation clinique par lui-même, cela ne pouvait que signifier qu'il était sur la bonne voie. Ces études lui arrachaient bien trop de patience et de sommeil, heureusement que tout finissait par porter ses fruits.
Il attrape son son cartable de stage à la volée et sort peut-être un peu trop hâtivement, motivé. La salle d'observation 12 se trouvait dans l'aile gauche, non loin de là où il pratiquait avec le médicomage référent. Ses doigts tapotent un rythme rapide sur la surface plane du cartable, tandis que ses yeux scrutent les numéros en haut des chambres. Une fois arrivé à destination, il s'arrête quelques secondes devant la porte, inspirant une grande bouffée d'air pour avoir l'air confiant et rassurant. Dès lorsqu'il passe l'encadrement de la porte, une voix un peu trop familière se fait entendre.
Barty. Évidemment qu'il ne pouvait s'agir que de Barty. Qui d'autres le demanderait avec autant d'insistance ? Son regard scanne l'état de son meilleur ami, tandis qu'il affiche un air blasé sur le visage.
- Va falloir te refaire beau, j'peux clairement pas accepter un déjeuner avec quelqu'un d'aussi sale.
Il ricane en roulant les yeux au ciel, fier de sa réplique sarcastique. Tout comme il était bien trop fier de toutes les joutes verbales avec Barty.
- Ah ouais, tu t'es pas loupé, constate-t-il en l'observant d'un peu plus près. Qu'est-ce que t'as foutu encore ?
Question sûrement rhétorique, Orthos analysait l'étendue des dégâts, regardant de toutes parts, tout en continuant à parler.
- Blessure magique ou pas ? Ça doit faire un mal de chien !
Il grimace, reculant le buste pour avoir une vision plus globale du tableau. Derechef, il attrape le menton de son ami, tournant sa tête de droite à gauche.
- Avec ta mâchoire cassée, sérieux, comment tu fais pour encore réussir à ouvrir ta gueule ?
Il rentre enfin dans la pièce et tu peux te permettre de dire autre chose que son prénom comme une litanie suppliante. Orthos est là comme s'il était chez lui, et tu supposes que c'est plutôt ça comme il doit passer plus de temps dans cet hôpital que chez lui - la preuve en est que les dernières fois que t'as fait irruption dans l'appartement t'as pas été fichu de l'y croiser. Tu t'es contenté de lui laisser des burgers maison pour être sûr qu'il mange un truc une fois rentré. T'es un ami dévoué, après tout. Et t'adore faire des burgers.
Va falloir te refaire beau, j'peux clairement pas accepter un déjeuner avec quelqu'un d'aussi sale. Tu grimaces - enfin tu essaies, parce que ton corps entier te fait mal et que la seule raison pour laquelle tu hurles pas c'est que t'as la voix trop brisée pour le faire encore. Tu sais pas comment tu tiens encore debout ou comment tu restes les yeux ouverts plus que de t'évanouir. Tu devrais t'évanouir, ca passerait plus vite - mais tu pourrais pas profiter de la gueule parfaite d'Orthos. T'es vraiment un type difficile et superficiel. Réponds-tu quand même, parce que tu peux pas laisser le beau gosse s'en sortir à si bon compte. Et parce que tu peux pas reconnaitre qu'il a raison et que t'es clairement dégueu. En plus d'être couvert de ton propre sang, t'es aussi plein de boue, de poussières et de sueur. Ca fait de toi une loque humaine plus qu'un sorcier épris de pouvoir; mais t'es quand même plein de pouvoir et capable de lui faire mordre la poussière. En théorie. Ah ouais, tu t'es pas loupé. Qu'est-ce que t'as foutu encore ? Pose pas de question auxquelles tu veux pas de réponse. T'es certain qu'il aurait du mal à entendre que t'as cru bon de voler un hôtel et que t'as été pris en grippe par trois dragons.
Il pourrait t'expliquer que c'est pas l'idée du siècle de te battre contre des dragons. Pas qu'il aurait tord mais t'as appris cela aujourd'hui. Les dragons sont des ennemis bien trop puissants pour toi. Et ils aiment manger les humains, ou à défaut jouer avec comme des chats. T'es toujours pas certain de savoir comment t'as pu t'en sortir à si bon compte. Blessure magique ou pas ? Ça doit faire un mal de chien ! J'me suis battu avec trois gros chiens. Enfin, pas des chiens. Plutôt des dragons. Donc je suppose que c'est magique. Du moins on parle de blessures causées par animaux fantastiques. Tu as l'impression de brûler de l'intérieur et la poigne douce d'Orthos est sans doute la seule chose qui te prouve que t'es pas totalement mort. Parce que tu le sens sur ta peau - et ça te fait grogner de douleur malgré toi. Avec ta mâchoire cassée, sérieux, comment tu fais pour encore réussir à ouvrir ta gueule ? Je peux pas priver le monde de mon esprit divin. Rétorques-tu. Mais j'avoue que c'est pas agréable - tu peux m'arranger ça alors ou pas ? demandas-tu à nouveau, avec un brin de désespoir dans la voix cette fois.
Décontenancé, un sourcil levé et le regard blasé. C'est un assez bon résumé de l'expression qu'Orthos réserve à son ami. L'évidence même n'aurait pas pu mieux le décrire. Il plaque sa main sur sa poitrine avant d'ajouter :
- Liefie*, tu devrais savoir depuis le temps que je suis une princesse.(*Sweetheart en Afrikaans)
Bien loin de se soucier des strass ou des paillettes, Orthos aimait mettre sous hyperbole son côté précieux. Son sérieux revient néanmoins assez vite — fait plutôt rare chez l'aîné Shacklebolt, il faut l'avouer — face à la gueule d'ange défigurée de son ami. Qui avait osé égratigner cette œuvre d'art ? Si la réponse résidait dans une attaque magique, Orthos devait se douter que le combat était une question de mort ou de survie.
Sa réponse provoque en lui une envie de lui coller une pichenette sur la tempe, mais il se contient. Avoir été en meilleur état, il ne se serait clairement pas gêné pour agresser cet imbécile sur deux jambes. Barty connaissait très bien le côté fouineur et curieux que l'apprenti médicomage abordait. En lui disant de ne pas poser de questions, il voulait en poser encore plus. À la place, il se contente de plisser les yeux d'une menace absolument pas menaçante.
- SÉRIEUSEMENT ?
Un silence règne, tandis que le jeune homme se rend compte que sa voix était sortie un peu plus forte qu'il ne l'aurait voulu. Des dragons. Et trois, en plus ! Pas un, pas deux, trois ! La main glissant sur son visage, il regarde le patient du jour à la fois désespéré que consterné. Alors, au lieu de soupirer, il se contente d'imiter le bruit d'un klaxon, appuyant son erreur.
- Perdu. Les blessures magiques sont causées par la magie. T'es chanceux, ça se répare en quelques potions et sortilèges.
Bien fier de pouvoir enfin étaler sa science, il relâche sa prise sur la pauvre mâchoire victime des circonstances, se tournant pour aller fouiller dans la réserve de potions.
- Tu devrais laisser faire le dressage, je pense que t'es vraiment pas bon pour apprivoiser les bêtes. Essaie des friandises, la prochaine fois.
Une fois la bouteille en main, il revient vers lui, débouchant avec vigueur le capuchon de liège, tandis qu'un bop resonne.
- Et me sort pas que t'es un snack humain, les dragons affamés mangent n'importe quoi qui leur passe sous la patte.
Orthos tend alors le flacon à l'odeur tout sauf agréable à Barty, un regard bien trop sérieux planté dans le sien. Il ne le lâcherait pas l'affaire tant que le contenant ne serait pas totalement vidé. Elle devrait au moins réussir à réparer les os brisés, lui permettant de terminer le traitement grâce à la magie.
- J'dois te payer combien pour que tu me racontes tes fabuleuses aventures de Barty et les mignons dragons ?, un sourire narquois se dessine sur ses lèvres, tandis qu'il croise les bras sur sa poitrine.
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