Son regard relisait cette phrase un peu trop souvent depuis ving minutes. Il plisse ses yeux, forçant sa concentration à revenir à lui comme par magie...


Orthos lâche un grognement insatisfait. Maudites glyphes. Il aurait dû étudier avec plus d’attention la magie des runes quand il n’était encore qu’à Poudlard, ça lui aurait facilité la tâche. Il devait donc prendre sur lui et maudire son soi du passé pour avoir préféré rattraper les heures de sommeil dans  cette matière optionnelle plutôt que de la prendre au sérieux. Défaitiste, il laisse son front tomber lourdement contre le livre posé sur son bureau. Son regard roule vers la fenêtre pour constater que la soirée était déjà bien trop avancée et qu’il ne lui restait plus que quelques heures pour revoir ses dernières lacunes pour l’examen à venir. Sous son bureau, sa jambe tressotait, comme impatiente de rester autant de temps à ne rien faire. Accompagnée avec ça de ses mains qu’il sentait trembler et de son coeur qui palpitait beaucoup trop vite.
Derechef, il se dirige vers la salle de bain pour fouiller dans sa trousse de soins, cherchant une boîte de pillule en particulier... Qui fut rapidement source d’une nouvelle frustration. Vide. Désespérement et déjà vide. De rage, il jette la boite avec véhémence sur le sol avant de lui donner un coup de pied. Elle roule jusque sous le meuble et il la maudit de disparaître au moment où il sentait en avoir le plus besoin. Ce fut donc un hibou plus tard qu’Orthos s’étendit sur son canapé, soupirant à nouveau. Il n’arriverait à rien ce soir, pas tant qu’il n’aurait pas de nouveau accès à ce qui l’aidait à se concentrer.

Jamais il n’aurait cru que son hibou serait arrivé aussi vite. Il se redresse sur ses jambes presque en bondissant, accourant à la porte qui se faisait actuellement maltraiter de coups.

- Wow, wow, wow ! Calmos sur la sonnette, tu vas réveiller tout le mond-

Sa phrase s’arrête à mi-chemin, tandis qu’il reconnait le regard et la tignasse se cachant sous la capuche face à lui.

- Vu ta tronche t’as pas besoin que je te gronde pour être dehors aussi tard. Viens, entre.

Il lui lance un sourire presque amusé, sa cadette sachant très bien qu’il n’allait en rien lui faire des remontrances. Ici, ce n’était pas l’hôpital qui se moquant de la charité, il avait fait bien pire que ça. Se décalant sur le côté, il laisse l’espace à sa cadette afin d’entrer dans son appartement avant de refermer la porte derrière eux.

Si elle avait su, Nessie n’aurait peut-être pas pris la peine de participer à cette sortie scolaire. Ça devait être un moment agréable, une balade de routine pour permettre aux élèves de découvrir un ancien village magique d’Irlande. Waterford et ses secrets leur tendaient les bras… peut-être un peu trop généreusement. Ils y sont allés avec le sourire aux lèvres et l’insouciance allant de pair avec la période festive de Samain. Aucun d’entre eux ne s’est douté qu’il s’agissait en réalité d’arènes organisées par le nouveau conseil d’administration de Poudlard. Un examen surprise de mi-trimestre pour tester leurs compétences acquises. Et en plus de la frustration d’avoir échoué, Nessie s’est retrouvée blessée, transportée d’urgence à l’hôpital de Sainte-Mangouste pour soigner les plaies les plus profondes et les quelques côtes cassées. Heureusement, les avancées de la médecine magique ont permis de très rapidement ressouder le tout, lui permettant de ne pas passer des mois entre les quatre murs blancs d’une chambre d’hôpital à manger des plats fades et à rester au lit.

Agacée, également, parce qu’elle se sait très bonne élève. Assidue à tous les cours dans lesquels elle est inscrite – même les moins importants pour elle –, elle ne compte pas ses heures de travail au point de parfois sauter les repas sans le faire exprès. Ses notes globales sont très bonnes et sa maîtrise des sorts l’est aussi – avec ou sans baguette, elle a pris l’habitude de travailler les deux. Sauf que rien n’a été en sa faveur durant cette sortie. Si la Shacklebolt a brillé, c’est par son manque de réussite, par ses échecs consécutifs. Et elle n’aime pas ça… parce que si elle ne prouve pas très vite qu’elle est compétente, le Ministère refusera de la prendre en tant qu’apprentie. Evan l’a prévenue : les langues-de-plomb sont tous des sorciers qui excellent. Et elle veut pouvoir leur faire honneur à son tour.

Toutes ces pensées se bousculent dans son esprit, venant perturber ses nuits jusqu’alors relativement calmes. La peur de l’échec est une sensation désagréable mais à qui peut-elle le confier ? À sa mère ? Certainement pas, Ceridwen n’aurait probablement pas les bons mots pour la rassurer. À sa sœur ? Non plus, ce serait le même problème. À son père ? Au risque d’y lire une déception si redoutée par l’aveu de cet échec ? Elle ne veut pas prendre ce risque. Ne reste alors qu’Orthos. Son grand-frère qu’elle saura muet à ce sujet. S’il est un autre homme de la famille à qui elle peut se confier, c’est bien son aîné. Il ne vit pas très loin de chez ses parents – chez lesquels elle se trouve encore, profitant des quelques jours restants avant la rentrée à Poudlard. Affublée d’un sweat-shirt bordeaux pour combattre le froid, capuche relevée sur la tête, Nessie brave la nuit malgré le temps et l’heure qui commence à se faire tardive pour rejoindre l’appartement de son frère.

Arrivée à la bonne adresse, c’est un martèlement de coups qui s’abat sur la pauvre porte innocente. Même les râleries qu’elle pense comprendre de la part de son frère de l’autre côté ne parviennent pas à la faire cesser. « Réveiller qui ? T’as du monde ? », prend-elle tout de même la peine de demander avant que la porte ne s’ouvre pour dévoiler le visage d’Orthos qui, évidemment, la reconnaît et ne manque pas de lui lancer une pique tout en l’invitant à entrer. Nessie ne se fait pas prier et pénètre dans l’appartement, se disant que oui, elle a une sale tronche. Reste de son séjour à l’hôpital et de ses nuits en dents de scie. Malgré cela, elle comprendrait qu’il lui fasse des reproches parce qu’elle n’a pas non plus grand-chose à faire dehors aussi tard. Pourtant, voir qu’il sourit l’apaise un peu même si la plus jeune se doutait qu’il ne ferait aucune remontrance. Relevant le nez vers lui mais gardant une mine basse, ayant à peine bouger depuis qu’il a fermé la porte, Nessie n’en mène pas large – bien loin de l’air solaire qu’elle affiche habituellement en continu. « Je peux rester un peu avec toi, Tothos ? Si je te dérange pas... »

- Les voisins, tétard, lui réplique-t-il en roulant les yeux au plafond.

Bien loin de la belle maison familiale encadrée d’un jardin, les murs des appartements Londoniens n’étaient pas du genre épais. Les maigres sortilèges permettant de les isonoriser ne suffisaient parfois pas à bloquer tous les bruits du voisinage ou les siens. Alors que le bruit de la porte claquant résonne dans le silence de l’appartement, le grand frère se tourne alors vers la cadette, remarquant que quelque chose n’allait pas. Ses sourcils se froncent tandis qu’il continue de la regarder en l’interrogeant silencieusement. Il ne l’avait pas revue depuis sa sortie de Sainte Mangouste, se demandant si tout était lié aux événements récents ou si d’autres choses se déroulaient. N’ayant pas eu de nouvelles de la part de ses parents récemment, il se doutait que la cause n’était pas familiale. À moins qu’il ne s’agisse d’une énième dispute avec leur mère ? Retournant s’asseoir à sa chaise de bureau d’où la seule lumière émanait, Orthos laisse sa soeur se placer où elle le souhaitait entre la chaise laissée à l’abandon dans la pièce ou le canapé.

- Je révise en tête à tête avec Duma... J’te dirai qu’il est pas bien bavard ces derniers temps.

La belle mygale bleue, nommée guépard en afrikaans, reposait tranquillement dans son terrarium sans demander son reste à personne. Son habitacle était posé sur un buffet en bois de chêne assez robuste, placé juste à côté du bureau sur lequel il étudiait et passait la plupart de son temps. Juste en face de ce dit bureau se tenait le canapé avec une table basse avec de nombreuses tasses de café vidées. Proche de la fenêtre se tenait une bibliothèque prête à craquer sous le poids de tous les manuels de médicomagie.

- Tu fais une tête de six pieds de long. J’connais déjà la réponse mais je vais quand même poser la question : Ça va ?

Assis à l’envers sur sa chaise, le jeune homme croise ses bras sur le dossier de la chaise, posant son menton sur ses poignets joints.

- T’as pas beaucoup parlé non plus, à Sainte Magouste.

Les événements de Samain avaient ramené beaucoup de patients à l’hôpital, rendant l’équipe complètement occupée. Non sans en déplaire à Orthos de pouvoir enfin pratiquer sur des urgences, même s’il n’aimait pas réellement se plaire dans le malheur des autres. Il n’avait malheureusement pas pu s’occuper du cas de sa soeur, tout comme son père, pour des raisons évidentes d’éthique professionnelle. Cela ne lui avait pas empêché de venir lui rendre visite, l’embêter et lui glisser un fruit ou deux supplémentaires dans ses cabarets de repas.

« Pff, quelle drôle d’idée d’avoir des voisins, tu pourrais faire un effort ! », elle ricane, essayant d’instiguer un peu de légèreté dans cette conversation avant d’expliquer à son frère les raisons de sa venue. Elle ne relève pas le surnom, habituée à l’entendre de la bouche d’Orthos et l’acceptant lorsqu’il vient de sa part. Puis, elle entre dans son appartement. Il ne paye pas de mine face à la maison familiale des Shacklebolt qui jouit d’un jardin et de voisins plutôt éloignés. Ici, tout est mitoyen et il est donc facile de déranger ceux qui habitent littéralement derrière le mur. Difficile de s’en rendre compte lorsqu’on n’a pas l’habitude. Pourtant, il doit bien exister quelques moyens d’améliorer l’isolation. Enfin, ce n’est pas vraiment le problème de Nessie qui n’est pas venue là pour s’improviser experte en bâtiment. C’est pourquoi elle fait à peine attention en refermant la porte derrière elle avant de faire face à son frère, la mine basse. Il sait pourquoi elle est ici, il l’a vue à Sainte-Mangouste puisqu’il y travaille et qu’il est régulièrement venu lui rendre visite – à défaut d’avoir le droit de gérer son dossier – mais à ce moment-là, elle était trop mal en point pour songer à entrer dans les détails. Captant les sourcils froncés de son frère, Nessie pousse un soupir. Il va bien falloir qu’elle crève l’abcès mais d’abord, l’envie de prendre des nouvelles de son aîné est plus forte et elle veut profiter de ce dernier instant d’innocence et d’amusement avant d’entrer dans le vif du sujet.

Pendant qu’Orthos retourne sur sa chaise, Nessie ne se fait pas prier pour aller poser son derrière sur le canapé totalement libre – bien plus confortable que la chaise restante, elle y sera mieux pour discuter. « Est-ce que tu t’en occupes bien, au moins ? Tu lui donnes à manger et assez d’amour ? T’as peut-être dit un truc qui l’a vexé. », elle plaisante, portant son regard sur l’arachnide qui se repose dans son terrarium. Les mygales comme Duma ne dérangent pas Nessie habituellement mais depuis sa mésaventure avec l’acromentule des ruines de Waterford, elle a du mal à ne pas penser aux pattes géantes de la créature qui s’abattent sur son torse quand elle voit un de ses congénères, aussi petit soit-il. Alors afin de ne pas trop y penser, elle se force à détourner le regard, laissant plutôt ses yeux vagabonder dans le reste de l’appartement. « C’est toi qui bois dans toutes ces tasses ? Tu les laves de temps en temps ? Tu sais que si t’en utilisais qu’une mais que tu la nettoyais régulièrement, ça te ferait moins de boulot ? », elle essaye de gagner du temps, n’étant plus aussi certaine de vouloir parler de ce qui la travaille depuis quelques jours. Venir ici était peut-être une idée stupide, finalement.

Elle s’apprête à renoncer à l’instant où son frère lui fait une remarque sur sa tête, posant une question à laquelle il a effectivement déjà la réponse. Joignant ses mains pour triturer ses doigts entrelacés, Nessie n’ose pas répondre clairement mais son attitude s’avère bien plus évocatrice que n’importe lequel de ses mots. Non, elle ne va pas bien. Au-delà des blessures qui la tiraillent encore parfois, elle encaisse un préjudice moral qu’on ne soigne pas avec des onguents ou de la magie. « Je… j’avais pas vraiment réalisé, encore… ce qui s’était passé. », qui plus est, elle était sous les effets des médicaments qui la maintenaient dans un état un peu planant. Il a fallu le recul offert par les quelques jours entre la sortie de l’hôpital et aujourd’hui pour qu’elle réalise vraiment d’où elle revient et les conséquences à venir. « C’était un examen. La sortie à Waterford, c’est une évaluation mise en place par le Conseil. », ce qui veut dire que leur père était au courant même si elle a du mal à imaginer qu’il puisse totalement approuver ce fonctionnement. « On s’est retrouvés face à une acromentule et j’ai échoué. J’ai fini dernière et blessée. Je pensais que je valais mieux que ça, tu vois ? Je m’entraîne régulièrement aux sortilèges – que ce soit avec ou sans la baguette. Je demande même à papa de continuer à me faire travailler la magie sans baguette pour ne rien oublier. Et… j’ai pas réussi à lancer un seul sort. », c’est la première fois qu’elle met des mots concrets sur cette situation et ça ne lui fait pas plus de bien. Parler de cet échec, c’est admettre qu’il a bien eu lieu et qu’il constitue désormais une tâche indélébile sur son dossier.