Trois voeux, génie | Nessie & Luke

Il faisait un peu trop froid pour traîner dehors, même en pleine journée. Après tout, c’était l’Écosse ici, et l’hiver semblait déjà s'installer alors que novembre venait à peine de débuter.

Mais les fins d'après-midi libres étaient rares en septième année, entre les cours qui s'enchaînaient, les devoirs qui s'accumulaient et la préparation à l'examen final, et c'était sans compter les entraînements de Quidditch. Contre toutes attentes, Luke parvenait à glisser toutes ces obligations dans son emploi du temps et à trouver encore le moyen de s'ennuyer. Pour quelqu'un de si peu organisé au quotidien, c'était un comble, quand même.

Ou pas. Luke aimait être occupé de tous les côtés. Être occupé lui évitait de penser. Parce que quand il n'avait rien à faire, il finissait par se retrouver à se poser des questions très bizarres mais aussi très spécifiques, comme : "Si je fais le voeu de voir en rêve la réalisation de mon voeu est ce que la fontaine explose ?"

Oui. Luke en était là.

À la base, il était juste venu prendre un peu l'air, en fait. Il fallait vraiment qu'il arrête de s'éparpiller. Bref. Luke était agenouillé près de la fontaine, ses deux bras croisés reposant sur le rebord, son regard fixant le fond de l'eau avec cet air pensif qu'il prenait toujours quand il examinait un problème qui semblait a priori insoluble. Le clapotis de l'eau aurait dû l'apaiser, au lieu de cela il embarquait ses pensées dans des circonvolutions compliquées qu'il aurait pu résoudre très simplement : il lui suffisait d'essayer.

C'était ce que faisaient les mages chercheurs et les scientifiques moldus : ils expérimentaient pour comprendre comment les choses fonctionnaient. Et Luke avait très envie de savoir comment la fontaine à souhaits fonctionnait.

Le problème, c'était la partie "souhait" justement. Il fallait en faire un. Juste un, pas comme dans les histoires de génies évidemment. Arnaque jusqu'au bout, cette fontaine...
Bref, Luke n'était pas très à l'aise avec le concept des souhaits. C'était comme connaître son avenir. Posséder de telles connaissances, c'était prendre le risque de retourner sa baguette contre soi. Un auto-goal, comme on disait au Quidditch. Luke était déjà familier avec ce genre de problèmes.

Et si le voeu se réalisait ? Eh bien, ça n'expliquerait pas forcément que la fontaine était magique, ça pouvait aussi être une coïncidence. Il fallait donc faire un voeu très spéficique, très précis, que seule la fontaine pourrait exaucer, sans aucun équivoque.
Mais un tel voeu, s'il ne se réalisait pas...

"Merlin", siffla Luke en réalisant qu'il se prenait la tête pour une chose aussi stupide qu'une fontaine à voeux qui servait principalement de point de rendez-vous aux romantiques amoureux.

C'était juste une fontaine.
Il n'y avait pas à tergiverser trois heures.
Fais ton voeu.
Qu'importe s'il se réalisait ou pas ?
C'était juste un petit bateau en papier et ça ne signifierait rien pour lui. Luke était Voyant, par Morgane, il n'allait pas baser son avenir sur un petit bateau stupide. Et au pire ?
Au pire, il était rodé aux déceptions.

Luke se redressa, s'assit sur le rebord de la fontaine, et sortit de la poche intérieure de sa robe de sorcier un petit papier blanc, qu'il commença à plier.

Pas en forme de bateau, cela dit. En forme de cygne.

Luke Gaunt était décidé à ne pas laisser une fontaine se sentir plus maligne que lui.

C’est en constatant que le froid commence si rapidement à tomber que Nessie se félicite d’avoir anticipé, ayant acheté une bonne réserve d’écharpes, manteaux chauds et autres lainages nécessaires pour survivre à cette horrible saison qu’est celle de l’hiver. C’est toujours à cette période qu’elle a le cafard, le blues, le manque de son Afrique du Sud natale. Et cette année, elle le ressent plus fort encore à cause des conséquences de son échec à Waterford mais aussi des changements survenus dans son entourage dernièrement. Et si les blessures purement physiques se soignent – ses ancêtres merci, les médicomages britanniques sont doués ! –, les blessures mentales peinent à cicatriser. Doutes sur ses capacités réelles, doutes sur ses approches sentimentales… tout cela vient et revient dans sa tête, perturbant dangereusement sa concentration en cours. Chose qu’elle ne peut pourtant pas se permettre, pas si elle veut atteindre ses objectifs – et nul doute que c’est le cas. Son dossier doit être solide, exempt de tous reproches et depuis cet examen surprise, elle ne peut pas dire qu’il est parfait. Il y a désormais une mauvaise note qui fait tâche alors qu’elle sait, la Serpentard, qu’elle possède les moyens de faire bien mieux. Elle a conscience que cet examen n’est en rien le reflet de ce dont elle est capable. Elle a simplement… cruellement manqué de concentration ce jour-là. Mais elle ne peut pas se laisser penser qu’elle est une incapable – cette pensée a traversé son esprit, à plusieurs reprises. Et parfois, il arrive que cela se produise encore – entre autres pensées négatives qui envahissent son cerveau sans qu’elle ne les invite. Elle s’efforce de les chasser, de leur faire comprendre qu’elles n’ont rien à faire là.

Mais elles sont tenaces, ne cessant de lui renvoyer à la figure ce qu’elle a perdu. Et même ce qu’elle n’a finalement jamais obtenu. Cette pensée arrache une grimace sur son visage habituellement souriant et rayonnant car à cet instant, c’est celui d’une ancienne Serpentard qui apparaît dans son esprit. L’exemple, le mélange parfait entre ce qu’elle a à la fois perdu et qu’elle n’obtiendra pas. Aurora lui manque terriblement et cela terni encore un peu plus cette période de l’année déjà bien maussade. L’hiver écossais est décidément une période bien singulière à laquelle elle ne parviendra jamais à s’habituer. Les jours qui raccourcissent, la lumière bien moins présente… des éléments qui n’aident pas, même en temps normal, à conserver un moral positif. Et cette fois-ci, c’est encore pire.

Alors pour ne pas tomber dans cette spirale de morosité infernale, Nessie cherche des stratagèmes, de quoi s’occuper lorsqu’elle n’est pas en cours – ce qui reste parfois compliqué malgré un emploi du temps chargé de dernière année mais elle s’en sort bien, contrairement à d’autres. Aujourd’hui, les cours terminés, elle décide de faire un détour par la fontaine à souhaits. Un lieu qu’elle ne fréquente habituellement pas mais qu’elle ressent le besoin de voir désormais et ce malgré le temps idéal pour dissuader n’importe qui de mettre le nez dehors. C’est équipée de l’une de ses grosses écharpes et d’un gros lainage bien chaud sur les épaules qu’elle se rend à sa destination. Un lieu qu’elle aurait pensé désert mais qui en l’est finalement pas. Là, devant elle, un de ses camarades – un Serdaigle, à en juger par les lisérés bleus de sa tenue – se tient agenouillé devant la fontaine, à observer les quelques remous de l’eau. « T’as perdu un truc dans l’eau et tu te demandes comment le récupérer ? », finit-elle par demander, signalant par la même sa présence que le garçon ne semble pas avoir remarquée – pas qu’elle se montre discrète mais son camarade semble plus attentif à autre chose. Lorsqu’il se retourne, Nessie le reconnaît et n’est finalement plus si surprise de le voir ici. « Un vœu spécifique à formuler, Luke ? », elle, elle aurait bien quelques-uns mais préfère s’abstenir de le préciser. À la place, elle se contente de le regarder plier son bout de papier pour lui donner la forme d’un très joli cygne. La question étant désormais : que compte-t-il en faire ? Voir s’il flotte ?

Le parc était toujours plus calme sous la neige et il y avait probablement une explication scientifique très raisonnable à cela, mais Luke préférait penser que c’était parce que la neige aimait se faire remarquer. Dans le silence absolu, on pouvait distinctement entendre la poudreuse craquer sous les pas, et qui donc n’avait jamais marqué une pause pour lever les yeux au ciel à l’apparition des premiers flocons ? Luke comprenait la neige. Quand on se laissait autant désirer, il fallait savoir faire une entrée remarquée.

En parlant d’apparition, celle de Nessie Shacklebolt n’avait rien de mystérieux, mais la neige n’était pas assez bruyante pour se faire entendre par-dessus la réflexion très profonde d’un Luke Gaunt extrêmement concentré sur son observation. Il fallut que sa camarade prenne la parole pour que le jeune homme se retourne. L’expression qui était apparue sur son visage pour trahir brièvement sa surprise s’effaça rapidement devant son amie.

Il ne savait pas ce qu’il cherchait exactement dans l’eau alors il ne répondit pas à cette question, préférant se redresser pour faire face à son interlocutrice. Luke passa un doigt dans l’écharpe qui protégeait la moitié de son visage pour dégager son menton avant de parler :

"Mmh... beaucoup trop, je crois, c’est ça le problème", répliqua-t-il sans dissimuler un sourire, à moitié sérieux.

Il posa son cygne dans sa paume ouverte et examina le résultat. Il avait fait une aile un peu plus grande que l’autre, mais rien qui n’entachait l’équilibre de son oiseau de papier. Luke sourit pour lui-même, somme toute satisfait de son travail. Il n’était pas assez manuel pour bloquer sur une aussi petite imperfection. Il reporta son attention sur Nessie. Il ignorait si c’était la luminosité blafarde du ciel gris qui faisait ça, mais elle avait l’air moins lumineuse que d’habitude. Ce n’était peut-être pas le ciel. Ou la neige. À quand cela remontait-il ? Impossible de le dire, il ne pouvait que constater qu’il y avait un avant et un après. Le fait qu’il ne sache pas quand il l’avait remarqué ne faisait peut-être pas de lui un très bon ami, mais il préférait ne pas s'attarder là-dessus pour le moment.

"Tu peux peut-être m’aider ?"

Il n’était pas téméraire au point de lui demander si elle avait un vœu à formuler, après tout, c’était lui qui s’était lancé dans cette affaire.

"Je cherche un vœu que la fontaine ne pourra pas réaliser."

Les élèves de septième année étaient censés être occupés, mais il fallait croire que cela n'empêchait pas Luke de se lancer des défis compliqués. À ce stade, Nessie le connaissait sûrement assez pour savoir que c'était juste une de ses lubies passagères, une des Innombrables Expérimentations de Luke Gaunt (marque déposée) et que la réflexion était aussi sérieuse que le sorcier qui la formulait. Tant qu'il y trouvait de l'intérêt, du moins. Le Serdaigle s'assit sur le rebord de la fontaine et posa son origami à côté de lui.

Il pouvait imaginer assez de voeux pour fabriquer toute une flotte d'oiseaux en papier, mais quel était l'intérêt de les voir tous se réaliser ?

Si la fontaine était infaillible, Luke ne pouvait pas gagner.

Le calme instauré par la saison hivernale est l’un des rares points positifs que Nessie accepte de concéder à cette période de l’année. Cela lui permet de profiter d’un parc calme et fraîchement recouvert d’un épais manteau blanc. Il y a, bien sûr, quelques traces de pas qui s’enfoncent çà et là – signe que d’autres élèves traversent les lieux malgré les températures. Cependant, la plupart ne s’arrête sans doute pas – parce qu’ils sont pressés de retrouver la chaleur d’un feu de cheminée ? Parce qu’ils ne tiennent tout simplement pas à prendre le risque de terminer en bonhomme de neige ? Les raisons peuvent être multiples et en vérité, aucune n’importe réellement. Même Nessie ne compte pas s’attarder bien longtemps, profitant de passer dans le coin et que personne ne la voit pour se rendre à la fontaine à souhaits. Elle ignore si tout ce qu’on raconte à son sujet est vrai mais elle n’a rien à perdre à tenter le coup, à exprimer quelques vœux qu’elle voudrait voir se réaliser plus que tout. Ses pieds émettent un craquement caractéristique à chaque avancée qu’elle fait dans la poudreuse. Persuadée d’être seule, la Serpentard oublie toute notion de discrétion, laissant à n’importe quel passant l’opportunité de savoir qu’elle est là. Pourtant, arrivée devant la fontaine, c’est elle qui doit s’annoncer à l’un de ses camarades.

Ne le voyant pas réagir à son approche, Nessie s’annonce ; avertissant de sa présence à sa manière – simple et sans détour. Ce n’est qu’à ce moment-là que Luke Gaunt – puisqu’il s’agit bien du Serdaigle – daigne tourner sa trombine en direction de la Shacklebolt… qui n’obtient pas pour autant une réponse à sa question d’introduction. Sans s’en formaliser pour autant, elle reste face à son ami, essayant de comprendre ce qui peut bien captiver à ce point son attention pendant qu’il se redresse pour se retrouver face à elle. « Tu as perdu beaucoup trop de choses dans cette fontaine ? », demande-t-elle en plissant les yeux, essayant de suivre la logique parfois confuse du Bleu et Bronze. Elle n’est pas dans son esprit – ses ancêtres merci – et Luke a cette caractéristique des élèves de sa maison qui consiste à tout vouloir comprendre et rationaliser, même ce qui n’a a priori aucune importance. Sauf que chez lui, elle a l’impression que ce trait est encore plus exacerbé que chez ses camarades et par la même, plus complexe à cerner. Paradoxalement, c’est aussi pour cela qu’elle apprécie le garçon. Elle trouve que ses réflexions sont toujours percutantes quoique certaines demeurent encore un mystère à ce jour.

Ces derniers temps, elle a moins à cœur de les apprécier, ayant plus que jamais d’autres préoccupations qui envahissent son esprit. Pourtant, en le voyant ainsi, en pleine réflexion devant la fontaine, avec son oiseau de papier dans les mains et son air d’Aigle qui refuse de botter en touche sur une énigme, Nessie se surprend à se dire qu’elle pourrait accepter de lui donner un peu de temps pour l’aider à résoudre son problème s’il le désire. Et comme un fait exprès, la question qui franchit ensuite les lèvres de Luke vient faire écho aux pensées de la Verte et Argent. « Très bien. Dis-moi ce que je peux faire pour toi ! », répond l’Africaine en forçant un air enthousiasme. Comme toujours avec le Gaunt, elle ignore dans quoi elle s’embarque et lorsque le couperet tombe, ses sourcils se haussent de surprise. Ainsi, il est question de ce que la fontaine peut – ou ne peut hypothétiquement pas – réaliser. « Mais n’est-ce pas une forme de… paradoxe ? Si tu trouves un vœu que la fontaine ne peut réaliser, alors elle risque de perdre les capacités et les croyances qu’on lui associe. L’opinion se transformerait et plus personne ne viendrait déposer d’offrandes ici en espérant qu’un rêve devienne réalité. », malgré tout, si elle devait faire un vœu impossible, là, tout de suite, ce serait probablement celui qu’Aurora revienne et que tout se passe bien entre elles. Parce qu’on ne force pas des personnes à revenir et encore moins l’amour – à moins d’utiliser un philtre mais les effets de celui-ci sont limités dans le temps en plus d’être éthiquement et moralement douteux. Ce n’était peut-être qu’une distraction passagère comme son ami en connaît beaucoup mais elle doit admettre que cette réflexion la taraude plus qu’elle ne le devrait. Elle aurait simplement dû en rire, passer à côté en balançant avec son éclat habituel qu’il ferait mieux de  mettre ses réflexions au service de questionnements bien plus utiles et sérieux. Mais elle n’a pas à coeur de se faire l’amie agaçante, briseuse de moments de détente… alors quand il s’assoit, elle s’approche pour s’installer à son tour sur le rebord de la fontaine, prenant soin de ne pas écraser l’origami. « C’est toi qui l’a fait ? Je te pensais pas manuel, Gaunt. Ton oiseau est très joli. », dit-elle en observant la sculpture de papier. Durant une fraction de seconde, elle envisage de la prendre entre ses doigts avant de se raviser, craignant de froisser cette petite œuvre.