Ca fait longtemps que tu n'as pas vu ton cousin. La chose t'a frappé il y a trois jours de ça alors que tu étais plongé dans un dossier concernant ta famille, révélant quelques armoiries ainsi que les liens qui vous unissent avec les autres familles. Le monde des sang-purs anglais est une toile d'araignée, tout le monde se connaît et il n'y a pas de place pour la nouveauté, chacun a un lien avec un autre magicien, une famille ou même une branche entière. Et c'est vers les Abbot qu'on retrouve d'anciens Mulciber, ayant épousé des membres de cette famille d'où vient Cole, un de tes cousins. Vous étiez proches à l'époque ou du moins vous vous entendiez bien, il était un cousin cher à ton cœur mais la vie a fini par vous éloigner l'un de l'autre. Il a étudié les créatures et toi, l'entraînement et ta carrière de Tireur a fini par te prendre tout ton temps. Les enfants, le travail, les années ont passées et les lettres ont finis par s'espacer, les retrouvailles lors des repas n'avaient plus la même saveur et tu étais trop souvent pris par ton travail pour te rendre compte que le monde continuait sa route, tout autour de toi et sans que tu n'y prennes gardes. Le temps a passé, pire encore depuis que tu es engagé en politique et que tu t'es découvert une passion pour cette place au magenmagot qui est la tienne maintenant. Tu ne regrettes rien si ce n'est d'avoir vu dix ans passer sans pouvoir les rattraper. Depuis combien de temps n'as-tu pas invité Cole pour un déjeuner ?
Alors tu as envoyé une lettre, timidement d'abord et tout en craignant qu'il ne te réponde jamais. En lui proposant de te retrouver à la tarte à la mélasse pour manger un morceau et avaler une bierraubeurre bien fraîche qui saura vous délier la langue et vous inciter à parler. Tu n'attendais plus sa réponse quand elle a fini par arriver, avec des excuses concernant le temps de réponse dû au fait qu'il travaille, que Poudlard prend son esprit et puis... Tu sais tout le reste. Tu as su pour sa vie chaotique avec Piper Fawley, tu sais qu'elle est dans le coma maintenant car le monde des sang-purs est minuscule et tu devines sans mal qu'il a dû avoir le cœur brisé. Alors peut-être que, naïvement, tu espères qu'un rendez-vous après quelques temps sans se voir, lui fera du bien ? Ainsi le jour même tu te prépares sobrement après une journée au ministère et tu arrives en avance dans le petit établissement accueillant des familles modestes ou simplement des gens qui veulent avaler un dessert sucré et délicieux.
Tu prends une table au fond après avoir salué le patron et aussitôt tu sors un parchemin contenant les dernières réformes concernant ton travail. Ca occupe ton esprit et ça t'empêche de penser au fait qu'il ne viendra peut-être pas, qu'il aura oublié ou alors qu'il n'aura pas envie de te voir après tout ce temps. Toutes ces années à se passer à côté sans se regarder vraiment, il pourrait avoir la rancune tenace et refuser de te croiser non ? Non Cole n'a pas ce genre de caractère ou de mauvaise pensée. Enfin, tu l'espères... Tu finis par relever la tête quand la clochette au dessus de la porte s'ouvre et ça te fait sourire quand tu reconnais ton cousin. Davantage marqué par la vie certes mais toujours aussi charmant, tu replies ton parchemin avant de te lever pour l'accueillir comme il se doit. « Cole ! Je suis content de te voir ! Et je craignais que tu oublies notre rendez-vous. » Pour ne pas dire qu'il te pose un lapin plutôt. « Comment vas-tu ? »
Il ne s’y attendait pas. En choisissant sa route il y a de cela plusieurs années, Cole s’est plus ou moins volontairement retrouvé écarté d’une partie de sa famille – sa mère et sa nièce faisant partie des exceptions et, il le jure sur la part d’héritage qu’il ne touchera probablement jamais, cela n’est pas dû à sa crainte du rouleau à pâtisserie d’Amélia qu’elle n’hésiterait pas à utiliser si son fils s’abstenait de lui donner des nouvelles ! Il n’est pas seulement question de son frère aîné – avec lequel les choses restent tendues malgré la bonne volonté de chacun –, ni de son père – homme dur dont Cole sait être autant une source de déception que de désintérêt… il s’agit ici d’une famille plus lointaine, nommée par des liens auxquels on peut accorder une importance parfaitement changeante en fonction de certaines variables comme les convictions, les choix de vie et bien d’autres. Des liens qui, à l’origine, répondent au besoin du sang, à cette idéologie de la conservation de ce dernier pour ne pas perdre son rang aussi bien dans la société sorcière britannique que pour sa propre famille. Car ce monde est restreint, tout le monde se connaît. C’est pourquoi il est si facile d’être violemment traîné dans la boue pour peu qu’on jette l’opprobre sur les siens – et il y a mille et une façon d’en arriver là. Cole lui-même aurait parfois pu poser problème mais il a l’avantage de ne pas être héritier. Si des frasques de sa part peuvent être remarquées, elles le seraient toujours moins que celles de son aîné – heureusement, pour eux, Chris est constamment impeccable… en société.
Aujourd’hui, cette famille semble décidée à se rappeler à lui. Voilà bien cinq minutes qu’il reste stoïque, à lire et relire cette lettre qu’il ne pensait pas recevoir un jour. Bartholomew Mulciber l’invite à un déjeuner dans le restaurant de la Tarte à la Mélasse. Durant un instant, Cole envisage simplement de ne pas répondre, confirmant ainsi son refus. Avant de se dire que ce serait là la réaction d’un idiot. Il fut un temps où il aimait être avec son Tireur d’Élite de cousin. Des après-midi passés à faire les quatre-cent coups en compagnie de Chris. Ils étaient des enfants et alors, rien ne comptait plus que leur insouciance et ce qu’ils en faisaient. Puis, il s’est produit ce que chacun finit par expérimenter : la vie. Une succession de choix, de décisions qui les a éloignés. Enfants, carrières, vie de famille… tant d’éléments qui rendent compliqués même la simple prise de nouvelles. Puis le temps défile… et la cinquantaine arrive sans prévenir.
Et malgré l’affection passée envers son cousin, ce serait mentir que d’affirmer que Cole n’a pas pensé à froisser cette lettre, à en faire une boule qu’il aurait négligemment jeté dans la corbeille. Il n’était pas certain d’avoir envie de revoir Barth, surtout maintenant. Surtout dans la période qu’il traverse et tout ce qu’il doit gérer. Cole est souvent épuisé après son travail dans lequel il se donne corps et âme – sans parler de cette relation qu’il tente de nouer avec ce fils de vingt-six ans dont il ignorait l’existence il y a encore quelques mois. Son fils issu de son amour pour cette femme qui ne l’a pas quitté – ne le fera jamais. Piper lui manque terriblement. Il pense à elle chaque jour que Dieu fait, va régulièrement la voir à l’hôpital en faisant de son mieux pour garder l’espoir de franchir la porte de Sainte-Mangouste en recevant une bonne nouvelle… qui ne semble pourtant pas décidée à venir. Tant de raisons qui l’ont poussé à remettre à plus tard sa décision concernant cette invitation. Au bout de quelques jours supplémentaires, il finit par reprendre le papier pour y répondre consciencieusement, s’excusant et expliquant les raisons – du moins, certaines – qui ont retardé cet envoi.
Le jour J arrivant, Cole a toujours quelques doutes concernant ces retrouvailles mais il a donné sa parole et ne manquera pas à celle-ci. À la fin de sa journée, il se prépare pour rejoindre le lieu du rendez-vous. Il lui faut sortir de Poudlard et de ses alentours avant de pouvoir transplaner vers Londres – et plus précisément vers Camden Town puis la place divine, quartier où le restaurant se situe. Saluant les personnes qui l’accueillent, Cole précise qu’il vient rejoindre un certain monsieur Mulciber. On lui désigne alors un homme, installé sur une table du fond. La chevelure châtain-brune parcourue de quelques mèches grisonnantes et les traits tirés par les années écoulées n’empêchent pas Cole de reconnaître son cousin avec certitude. Leurs regards finissent par se croiser et le professeur ose à son tour esquisser un sourire. Il remercie l’hôtesse et rejoint Barth à l’instant où celui-ci se lève pour l’accueillir. « Pourquoi aurais-je oublié ? », crainte justifiée pour tout un tas de raisons plus ou moins légitimes, en réalité. « Moi aussi ça me fait plaisir de te voir, Barth. », dit-il en tirant la chaise pour s’installer face à lui. « Disons simplement que… je vais. Compte tenu de tous les événements de ces derniers mois. », mais il est loin d’être le seul pour qui c’est compliqué alors a-t-il seulement le droit de se plaindre ? « Et toi ? Ça faisait longtemps mais tu n’as… presque pas changé. T’as gagné quelques petits cheveux blancs, par-ci, par-là. »
Seul le mouvement régulier de tes doigts qui tapent sur la table, trahissent ton angoisse mais aussi ton manque d’intérêt pour ce que tu lis. Chaque seconde doit être employée au mieux et surtout à ton travail qui te prend tout ton temps, sauf que tu as beau lire et relire cette phrase alors ça ne vient pas, tu n'arrives pas à te concentrer si ce n'est à l'idée que ton cousin est peut-être en chemin vers la Tarte à la Mélasse pour venir te voir ou alors pas du tout, il va peut-être te poser un lapin. Comment pourrais-tu lui en vouloir ? Voilà des années que vous ne vous êtes pas croisé, il serait plus que logique qu'il ignore ta lettre et fasse l'autruche comme beaucoup le font dans ce milieu, quand ils ne veulent pas revoir des membres de leur famille. C'est ainsi dans votre monde, on ne se dit pas franchement les choses, on préfère juste ignorer l'autre en espérant qu'il ne relance pas le sujet éternellement. C'est faux hypocrite mais le monde des sang-purs est minuscule et ne changera jamais de fonctionnement, malgré les nouvelles générations qui arrivent avec l'espoir de pouvoir faire bouger tout ce qu'elles détestent. En devenant adulte on apprend que si ça tourne comme ça c'est le mieux pour tout le monde. Toi aussi tu avais des espoirs, des rêves lorsque tu étais ado et puis la vie a fait que tu as dû te marier pour le nom des Mulciber, travailler pour atteindre les plus hauts sommets du Ministère et te voilà maintenant, à l'aube de tes 50 ans et de cette crise qu'on déplore tant, à te demander pourquoi tu n'as pas contacté ton cousin plus tôt. La honte ? La crainte de ne pas avoir de réponse? Sans doute un peu de tout ça en même temps.
Alors quand la petite clochette te fait relever la tête, quand tu vois le visage marqué de ton cousin qui approche, tu sens une sorte d'apaisement couler dans tes veines. Aussitôt ça va mieux, tu sais que tu ne rentreras pas après t'être retrouvé tout seul dû à un lapin consciencieusement posé. « Et bien la vie ? Les jours qui défilent ? Parfois je peine à me souvenir de la date du jour alors... » Alors autant dire que lui aussi a peut-être du mal, c'est le problème de ceux qui travaillent beaucoup et qui ne voient pas le temps passer, les journées défilent et quand on se retourne, il faut déjà fêter un nouveau noël, un anniversaire ou une bonne année qui débute. Depuis combien de temps n'as-tu pas pris le temps de juste vivre ? « Oui j'ai su brièvement... Je suis désolé pour toi. Pour tout ce qui te tombe dessus. Si je peux faire la moindre chose, n'hésite pas. » Et tes mots sont assurés avec un regard qui en dit long, tu ne veux pas que ton cousin s'offusque de quelques paroles polies alors que tu es sincère. Tu ne saurais comment l'aider et apaiser ses douleurs, tu peux simplement lui promettre d'essayer si il vient à te demander quoi que ce soit.
Sa remarque t'arrache un petit rire alors que tu te passes une main dans les cheveux pour les discipliner brièvement. Certes tes mèches coulent entre tes doigts tel de l'eau claire, il n'empêche que tu peux sentir le poids du temps qui commence à retomber sur ton dos. Tu sembles parfois ne plus être aussi souple qu'avant... Ou est-ce à force de trop en porter ? Tu ne saurais dire. « Heureusement ils sont cachés au milieu des mèches blondes. » Et ça te permet de gagner quelques mois en apparence, de faire comme si tu n'étais pas si vieux. « Ho j'ai changé... Pas en apparence ou pas beaucoup mais j'ai gagné en sagesse et peut-être un peu en lassitude. De mon côté... Ca va. Le travail va encore mieux que je l'aurais imaginé. » Même si chez toi c'est la guerre froide et que Helen évite soigneusement de t'adresser la parole, au moins tu brilles au ministère et c'est sans doute la seule chose que tu voulais. Tu avais des objectifs pour ta carrière, tu voulais atteindre une sphère assez élevée et surtout y arriver tout seul, sans l'aide de personne. C'est le cas aujourd'hui mais qu'est ce qu'il peut bien te rester après ça ?
« Et toi le travail alors ? J'ai entendu dire que tu brillais dans une carrière de professeur à Poudlard. Nous risquons de nous revoir... J'ai été engagé dans le Conseil des Purs. Pas par... Idéologie cependant. » Tu es puriste c'est un fait mais tu n'as jamais été extrême, tu es pour ainsi dire assez ouvert d'esprit. Et tu as tant déploré que Adriel rejoigne les mangemorts, car c'était à l'opposé de vos propres idées avec sa mère. Heureusement il est revenu à la raison mais parfois tu te demandes jusqu'à quand, car cet enfant semble avoir à cœur de te rendre chèvre.