Across the stars | Lyra & Orpheus

Il y a quelques jours, une idée m’avait traversé l’esprit, et depuis lors elle ne me quittait plus vraiment. Je savais que j’avais merdé avec Lyra. Que je le veuille ou non, la situation lui pesait et je ne pouvais pas y faire grand chose. Ou du moins, je ne pouvais pas faire ce qu’elle attendait de moi, c’est à dire rompre mes fiançailles et me mettre officiellement avec elle. Elle était de sang-mêlé, j’étais de sang-pur, et rien que ça ça rendait la chose impossible. Malgré tout, je me sentais concerné, si ce n’était coupable, de l’état de la jeune Gryffondor que je percevais triste même si elle cherchait à le dissimuler. Et je crois que ça m’affectais un peu. Alors… je m’étais dit qu’une surprise lui remonterait peut-être un peu le moral.

L’invitation avait été transmise par un message, qu’elle reçut avec le courrier du matin. Quelque chose de très simple et évasif, mais suffisant pour qu’elle puisse comprendre ce dont il s’agissait :

”RDV ce soir 22h au pont en direction de Pré-au-Lard.
Hâte de te voir, tu me manques.”

Ca m’avait laissé la journée du samedi pour tout mettre en place, passé quelques révisions pour ne pas paraitre trop suspect, puis j’avais faussé compagnie à tout le monde avant de faire une brève réapparition lors du dîner. Ou l’art de paraître présent au château sans y avoir été la majorité du temps.

Il faisait nuit depuis une bonne heure lorsque j’arrivai au lieu du rendez-vous, mais le ciel était particulièrement dégagé. A elles seules, la lune et les étoiles éclairaient les lieux d’une lueur opaline, et je me pris à contempler leur miroitement dans l’eau du ruisseau en attendant la belle. La météo, encore douce pour la saison, m’avait fait opter pour une simple chemise ornée de la cravate aux teintes de ma maison, mais nouée de façon assez lache.
J’avais mis du coeur à la préparation d’une petite surprise qui attendait plus loin, à laquelle je comptais amener Lyra en lui faisant fermer les yeux. J’espérai sincérement que ça lui plairait, mais encore fallait-il qu’elle vienne au rendez-vous.

C’est le bruit de pas sur les gravillons du sentier qui me firent tourner la tête. Reconnaissant la silhouette de la Gryffondor sous le clair de lune, je me redressai légèrement, un discret sourire venant orner mes lèvres.

« Bonsoir, belle demoiselle. »

Taquin, mais pas moins romantique, je m’inclinai avant de lui saisir délicatement la main et y poser mes lèvres.

« J’ai quelque chose à te montrer, mais pour ça il va d’abord te falloir fermer les yeux. » ajoutais-je ensuite en l’amenant à moi.

Sans que je ne sois du genre à l’admettre, voir l’état de Lyra m’avait mis une sacrée claque. Est ce que j’avais ma part de responsabilité là dedans ou était-ce, comme pour pas mal de monde, la soudaine montée de niveau de cette rentrée ?  Peut-être avais-je la réponse quelque part au fond de moi, car sans que je ne puisse l’expliquer, ça m’avait rendu un peu nerveux. Mais pas au point de mettre à mal ce jeu d’acteur dans lequel j’excellais. Un baise-main sur ses doigts fins, une demande, un sourire charmeur, et le tour était joué. Je pressais délicatement la main de Lyra au creux de la mienne, l’entraînant à ma suite d’un pas lent et en prenant garde à ne pas l’emmener dans une quelconque embûche.
Ses quelques mots, même si j’avais soufflé un léger rire en réponse, m’avaient troublé, peut-être un peu peiné, mais ce fut d’un ton léger et confiant que je lui répondis pourtant.

« T’en fais pas. »

C’était un silence qui s’était installé alors que nous progressions sur les quelques mètres nous séparant de la surprise que j’avais préparé. Un silence relatif, car brisé par tout ce que la nature savait offrir. On entendait le clapotis léger du ruisseau en contrebas, la brise qui agitait les feuilles aux teintes dorées de la forêt non loin, le chant des grillons qui profitaient des derniers jours de chaleur… et ça avait quelque chose d’apaisant finalement. Ici, c’était un peu une bulle hors du temps, loin de la clameur des foules, de l’écho des pas sur les pierres centenaires des couloirs de l’école, de cette ambiance presque suffocante qu’avait su instaurer le nouveau Conseil régissant Poudlard.

Alors que nous franchissions les derniers mètres, nous amenant au pied des ruines d’une tour qui surplombait le vallon traversé du ruisseau, le lâchais doucement la main délicate de Lyra pour venir me placer derrière elle. Mes doigts se glissant de part et d’autre de ses frêles épaules, je la guidais vers l’avant de quelques pas supplémentaires alors que mes lèvres venaient susurrer quelques mots à son oreille.

« Encore quelques pas et on y est… Ca y est, tu peux ouvrir les yeux. »

A l’abri de pans de murs écroulés, mais ouvert sur la vallée et baignée d’un halo de lumière lunaire, se trouvait une petite table de fer blanc entouré de deux chaises. En son centre, un petit vase servait de réceptacle à une poignée de roses fraîches dont le rouge contrastait nettement avec la lueur opaline éclairait les lieux. Enfin, était posée une petite boîte de carton rayée de rose et vert pastels, dont le contenu était encore masqué à la vue de la belle. Il s’agissait là d’un menu présent, mais j’avais souvenir que Lyra adorait les cookies.

« Vous voici dans le meilleur des restaurants, avec la plus belle vue de Grande Bretagne. Et tous frais payés pour la princesse ~ » que je glissais avec mon habituel ton malicieux.

Ce genre de surprise, c’était bien la première fois que je me donnais la peine d’en préparer une. Même Alice, la seule relation “officielle” que j’avais eu auparavant n’en avait pas bénéficié. Parce que la Flint n’avait été qu’une conquête comme les autres, mais qu’elle avait le sang pur, et le nom allant de pair. Et moi, ça m’avait amusé d’avoir cette blondinette à mon bras durant quelques temps. Avant que ses sautes d’humeur et ses coups de déprime ne me lassent. Pourquoi je me serais fatigué pour ces filles, de toute façon ?  Elles étaient déjà bien assez heureuses de croire à l’attention et l’amour que je pouvais leur porter. Elles se sentaient uniques et merveilleuses, jusqu’à ce que la bulle n’éclate.

Alors pourquoi, pour celle-ci, des fleurs ornaient-elles une table sous le clair de lune ?  Je ne m’étais pas vraiment posé la question. Y’avait peut-être ce sentiment de culpabilité qui m’habitait, lorsque je voyais la belle se morfondre, et l’étincelle dans ses yeux vaciller toujours un peu plus. Ce qui était stupide, avouons-le. Peut-être était-ce aussi, tout simplement, l’envie d’avoir voulu lui faire plaisir, et qu’un sourire n’étire ses lèvres.
Ou peut-être parce que finalement, je l’aimais bien cette fille. Et que jamais je n’avais été aussi longtemps dans une relation, si on pouvait appeler ainsi ce simulacre.

Sans surprise, Lyra s’extasia face à ce qui s’offrait à sa vue. Parce que les filles aimaient ce genre de choses propres au romantisme. Un baiser, aussi tendre que léger, et les yeux plus brillant que des milliers d’étoiles… dans lesquels je me perdis un instant.

La Rouge et Or s’éloigna de quelques pas, afin de mieux apprécier la beauté du paysage et le parfum des roses. Moi je me contentais de l’observer, et si je n’étais pas peu fier de la réussite de cette surprise -et mon sourire parlait pour moi à sa question- je n’en restais pas moins étrangement contemplatif de cette silhouette qui se dessinait sous le halo lunaire. Ce même halo qui soulignait la pâleur des traits d’une demoiselle qui n’allait pas bien. Ce constat me crispa un instant la mâchoire, et je déportais mon regard sur la ruine que nous occupions alors que Lyra venait s’installer sur l’une des chaises. C’est sa question qui me fit revenir à elle, alors que mon esprit, lui, s’alarmait. Pourquoi fallait-il toujours que ce genre de considérations négatives, ces arrières pensées, reviennent sur le devant de la table ?  Ne pouvait-elle pas juste apprécier l’instant…?

J’étirais cependant un bref sourire, et m'approchais d’elle, pour finalement m’asseoir sur la chaise restante.

« Je voulais juste te faire plaisir. » concèdai-je.

Admettre que je me sentais coupable ?  Certainement pas. Quand bien même elle pourrait s’en douter, c’était le genre d’aveu qui me faisait horreur, et que j’avais déjà bien assez de mal à admettre moi-même.
A la place, j’ouvris doucement la boîte posée entre nous, dévoilant une demie douzaine de cookies aux parfums variés. Eux aussi je les avais subtilisés, mais avait-elle besoin de le savoir ?

« J’avais l’impression que… c’était pas trop la forme. Je me suis dis que ça te changerai les idées. »

Parce qu’à Poudlard, dans cette ambiance lourde et anxiogène, on était également à des années lumières de ces deux mois d’été qu’on avait vécu à part. Et en cette soirée, nous troquions les chaleureuses couleurs estivales pour celles argentées d’un clair de lune. Ce contraste… j’avais l’impression de le retrouver dans ce que nous avions vécu. Là où l’été avait été emprunt d’innocence et d’espiègleries dans ce qu’on aurait pu qualifier de début de romance, la lune était témoin de quelque chose de bien plus profond. L’innocence avait laissé place à la tragédie d’une situation qu’aucun de nous n’avait désiré. Il y avait quelque chose à la fois de féérique et dramatique dans cette situation, qui me foutait le cafard.
Peut-être parce qu’on savait tous les deux qu’on allait droit dans le mur.

Alors pourquoi est ce que je continuais ?

Elle était belle, la Gryffondor, sous le pâle halo d’argent. Belle, malgré les affres de la fatigue qui tiraient ses traits et la peine qui habitait ses iris. Et une part de moi se savait coupable de cet état, de ce mal qui la rongeait. Elle n’était pas la première.
Mais c’était facile de fermer les yeux et faire semblant. De s’illusionner, et ce dire que ce n’était pas grand chose. Puis c’était elle, pas moi.
Et pourtant… je ne pouvais pas nier que, pour une fois, ça m’affectait un peu.

Alors au moins, je pouvais toujours essayer de lui faire plaisir, et si ce premier objectif semblait à peu près réussi, le second -à savoir lui changer les idées- ne paraissait pas connaître autant de succès. J’évitais de soupirer, même si le pessimisme avait tendance à m’irriter un peu, et poussait vers elle la boîte que j’avais amenée, et l’ouvrit à sa question pour dévoiler ce qu’elle contenait.

« Des cookies, mon petit doigt m’a dit que t’aimais ~ »

Ces derniers présentaient autant de couleurs que de parfums divers et variés. Fruités, chocolatés, je crois même qu’il y en avait un ou deux présentant des dragées surprises à la place des pépites habituelles. Par contre je n’avais pas réussi à me procurer de boisson dans les temps, et c’était peut-être ce qui pouvait manquer pour accompagner ce petit goûter sous les étoiles.

Alors que je lui laissais la liberté de se servir, mon attention fut attirée par un bruit, pas si lointain, mais indistinct. Je tournais très légèrement la tête, assez incertain mais pas spécialement alarmé. Nous étions dehors en pleine nuit, c’était normal d’entendre des bruits.
Le seul point que j’estimais être particulièrement rassurant, c’était que la lune n’était pas pleine. Jamais je ne me serais aventuré à faire un pique-nique dans ce genre de conditions, même si on estimait les alentours de l’école sûrs. La forêt interdite bordait malgré tout la zone, et seul Merlin savait ce qui se trouvait au fond de ces bois.

Sauf qu’un second bruit, plus marqué, me fit froncer les sourcils. Là, c’était proche. Peut-être de l’autre côté des ruines.

« T’as entendu ? » demandai-je à Lyra, afin d’être sûr qu’il ne s’agisse pas de mon imagination.

Coupable. Un sentiment ténu, une petite voix dans ma tête, à laquelle je ne prêtais pas attention. Ce genre de ressenti que j’avais tendance à cloisonner, et enfermer à double-tour afin de ne pas me pourrir l’existence. Les conditions de notre couple, à Lyra et moi, elles avaient été posées très rapidement, malgré quelques fausses promesses formulées. Dès lors, la demoiselle savait à quoi s’en tenir, n’est ce pas ?

Pourtant, cette culpabilité, elle était bien là. Et elle ne me lâchait jamais. Qu’il s’agisse des fois où on me rappelait cette place à laquelle j’avais échoué, à la tête de ma famille, alors que je ne m’en sentais pas légitime, ou lorsque Lyra m’observait au loin, de ses yeux songeurs. Mais j’étais censé faire quoi au juste ? Tout envoyer balader ? Si seulement les choses étaient si simples… mais ce n’était jamais le cas lorsqu’on appartenait à une famille de sang-pur. Et ça, la Fawley semblait avoir bien du mal à le comprendre.

Cependant, alors que je m’employais à lui redonner un semblant de sourire, un bruit attira mon attention. Et il ne s’agissait pas du craquement du cookie que la belle rouge et or était en train de déguster. Non… mais peut-être s’agissait-il juste d’un animal ? J’avais souvent traîné dehors, quand j’étais gamin, dans la campagne. Or, dès lors que les humains étaient au chaud dans leurs maisons, rassemblés autour de chandelles, la nuit devenait le royaume des animaux, et ils ne se privaient pas de l’exprimer et se faire entendre.
Sauf que ce son reprit, bien plus proche. Et j’étais du genre à penser que les animaux sauvages étaient plus prompts à éviter le contact qu’à le rechercher. Ce qui me mit, immanquablement, en état d’alerte. Lyra, elle, ne semblait pas l’avoir entendu, et tint quelques propos ne manquant pas de me faire tiquer.

« Quoi…? » lâchais-je, un peu abasourdi, mes iris revenant à elle.

Et mes sourcils s’étaient froncés, trahissant un certain agacement qu’elle puisse penser ceci, tout comme… une once de tension.

« Bien sûr que non, Lyra ! J’te jure que… »

Ou alors j’avais rêvé ? Non, certainement pas deux fois d’affilé. Instinctivement, je portais ma main à ma baguette, alors que mon regard sondait les alentours dans la direction où il m’avait semblé percevoir du mouvement. Sauf que cette fois, c’est à l’opposé que j’entendis un bruit, me faisant me retourner. Est ce que la créature, ou la personne, s’était déplacée ? Je préférais cette option que croire qu’ils soient plusieurs.

« Et là, t’as toujours rien entendu ?! Il y a quelque chose qui nous tourne autour. »

Clairement, je n’avais pas particulièrement envie de m’éterniser. Mais plutôt qu’imaginer le pire, j’essayais de rationaliser. Peut-être était-ce tout simplement un chat ou un renard qui chassait ? Ou quelques rongeurs ? Autant en avoir le coeur net.

« J’vais voir. »

Bien que le “attends-moi là” était largement sous entendu, je ne le formulais pas, conscient qu’elle risquait encore de prendre ce propos pour ce qu’il n’était pas : une tentative de lui fausser compagnie -et cette simple pensée m’exaspérait. Aussi, je me levais, baguette en main, bien décidé à faire le tour de cette ruine, avec ou sans elle.