Il essaye de comprendre. Vraiment, il fait de son mieux pour ça. Mais il a beau se retourner les méninges, il ne comprend pas pourquoi les réunions secrètes de la Confrérie doivent obligatoirement se dérouler dans la campagne profonde. Oh bien sûr, Percival conçoit parfaitement l’aspect folklorique de la cambrousse ou des arbres mais c’est tout. Qu’on ne lui sorte pas l’argument de la discrétion : la Confrérie possède plusieurs succursales dans nombre de grandes métropoles du monde dans lesquelles ils sont certains de ne pas être inquiétés puisqu’ils connaissent les patrons de ces endroits qui, pour la très grande majorité, leur ont en plus porté allégeance. Alors venir se perdre dans la cambrousse pour être entouré d’arbres et de cailloux, non, il part du principe que ce n’est plus tellement nécessaire. Un caprice assumé du Gaunt qui déteste sentir que ses cordovan redbrown hors de prix pataugent dans la boue – parce qu’il a beau être aveugle, Percival met un point d’honneur à toujours être un homme élégant. Son père faisait la même chose – dans la mesure des moyens qu’il avait à l’époque – et c’est un minimum. Malgré ces désagréments, Percy est attentif durant la réunion, reprenant aussitôt un sérieux exemplaire. Il est capable de passer d’un agacement – exagéré, diront certains – à une totale pokerface en quelques dixièmes de secondes. Une attitude qui décontenance ceux qui n’ont pas l’habitude – et qui l’amuse, il doit l’admettre.

La réunion dure plusieurs heures comme il est coutume dans la Confrérie. Le temps que chacun expose ses dernières nouveautés et les rapports de ses actions. Quand vient son tour, Percival évoque laconiquement ce qui se passe dans le service du ministère dont il a la charge. Les réparateurs font leur travail. Il n’y a rien de bien intéressant à ajouter. Pas de catastrophe plus grande que les autres qui mérite d’être notifiée – ce qui est plutôt une bonne nouvelle, il s’en rend compte en l’annonçant. Puis une fois qu’il termine, c’est un autre maître qui prend la relève et ainsi de suite jusqu’à ce que les douze aient pu s’exprimer. Autant dire qu’il ne les a pas tous écoutés dans le détail et plaint sincèrement la personne qui doit s’occuper de consigner tout cela pour leurs archives.
La messe étant dite, chacun finit par se lever de son siège pour vaquer à d’autres occupations – rentrer ou rester un peu plus longtemps, peu importe. Pour sa part, Percival n’a pas l’intention de s’éterniser dans ce qu’il qualifie de gourbi. Il s’apprête à partir sans attendre quand il sent un long frisson monter le long de son dos jusqu’à sa nuque. Ce changement d’atmosphère, il sait à qui il la doit, même si la présence derrière ne s’est pas encore manifestée. « Pas plus près. », dit-il sèchement, sans se retourner, relevant toutefois son index en guise d’avertissement. « Pas moins d’un bon mètre et demi de distance, tu te souviens ? », il le saura si elle a l’audace de franchir ce périmètre avec lui. « Qu’est-ce que tu veux, cette fois ? Sois brève et concise, la réunion vient d’emporter le peu de patience dont je suis capable. », et comme d’habitude, il va se faire un plaisir de ne pas l’écouter et de systématiquement l’envoyer paître.

À l’époque, le père de Percival appréciait de rester un peu après ces réunions. Il flânait çà et là, discutant avec les autres maîtres qui choisissaient également de rester. Cela permettait à son fils de poursuivre ses propres frasques – parfois seul, parfois en compagnie des amis qu’il s’est fait au fil du temps. Aujourd’hui adulte et maître de la Vierge, Percival prend malgré lui le contre-pied de son père en préférant s’éclipser au plus tôt de ces réunions qui sont déjà particulièrement interminables. Il aurait pu rester un peu, discuter avec Wyatt, Thaddeus ou Hannibal mais il est déjà bien tard et il ne songe qu’à retrouver le confort de sa demeure – là où il sera à l’abri et pas à se geler entre deux arbres. La Confrérie est extrêmement moderne sur certains points mais pour d’autres, elle fait preuve d’un traditionalisme aussi exacerbé qu’agaçant. Un point que Percival a déjà relevé auprès du Maître Suprême mais celui-ci semble, pour ainsi dire, n’en avoir rien à faire. Et chaque fois qu’il y pense, ça le fait grommeler. S’il respecte leur chef, certaines décisions restent totalement incompréhensibles aux yeux du Gaunt. Respecter l’ancien est important, il n’ira certainement pas remettre cela en question mais ne dit-on pas également qu’il faut savoir vivre avec son temps ? Percival a bien assez étudié l’histoire de la Confrérie pour savoir que l’une des raisons pour lesquelles elle persiste depuis tant de siècles, c’est en partie pour sa capacité d’adaptation à travers les âges. Fondamentalement, l’organisation est restée la même que lors de son remaniement à l’époque de Morgane mais son intégration à la société et à l’évolution de cette dernière, c’est ce qui lui a permis de pérenniser jusqu’à nos jours. Cela, il ne faut pas l’oublier.

Ruminant tout cela en son for intérieur, Percival aurait pu rater cette présence dans son dos. Mais le fait est qu’une part de lui est toujours bien attentive aux mouvements dans ses alentours. Surtout que la personne qui l’approche ne cherche pas à se dissimuler. Pourrait-elle seulement se faire invisible pour un esprit aussi sensible et réceptif que celui du Gaunt, aux vues de tout ce qui l’entoure ? Angélique Beauvais est un nid à esprits – plus ou moins malins – et elle n’a pas besoin d’être très proche de Percival pour qu’il se sente quelque peu envahi par ces derniers. Pourtant, ce ne sont pas eux qui dérangent le plus Percy. Ce ne sont pas eux qui le poussent à se méfier aussi intensément de cette femme mais bien son aura. Une aura sombre qui dénote avec son prénom – et probablement avec son visage bien que Percival n’a pas le loisir de le contempler. Il ne doute cependant pas que les femmes les plus dangereuses savent aussi être les plus magnifiques – même si ses propres critères de beauté sont aujourd’hui bien différents d’il y a quelques années. Il somme donc la belle de rester à une distance raisonnable, comme convenu dans leur accord tacite. Il sait que cela amuse l’américaine mais il est prêt à faire avec tant qu’elle respecte cette distanciation. « Ne t’attends pas à des remerciements de ma part. », pour lui, ça change tout, au contraire. Moins proche elle est, moins il prend le risque de se laisser influencer. Pas qu’il soit facile de contrôler l’esprit de Percival Gaunt, bien sûr que non ! Mais il ne tient pas à vérifier si cette femme en est capable – surtout pas quand son petit rire suffit à le faire grimacer. « Excepté un puissant sentiment d’ennui, tu veux dire ? Non, rien qui sorte de l’ordinaire mais j’imagine que ça aurait dû être le cas pour que tu me poses la question. Alors cesse de tourner autour du pot, il me semble t’avoir demandé d’être rapide. », non, le flatter ne le rendra pas plus aimable envers elle mais il salue toutefois la tentative.

Il pensait que cette soirée ne pouvait pas le rendre plus las qu’il ne l’est déjà. C’était sans compter sur l’intervention indésirable d’Angélique Beauvais. Cette femme, Percival s’en méfie comme de la peste tout en ayant conscience qu’elle constitue une alliée de poids ; c’est ainsi qu’il la voit, une alliée, et n’est donc pas particulièrement enclin à avoir des discussions amicales avec elles – encore moins à nouer un lien abondant dans ce sens. Il souhaite donc abréger le plus possible cette entrevue qui fait suite à une réunion déjà bien longue et ennuyeuse. Il arrive que ce soit palpitant mais ce soir, c’était un état des lieux des plus banals et assommants et il ne doute pas que chacun de ses compères soit d’accord à ce propos. Tout en sachant que ça reste une procédure importante pour que tous puissent rester au courant de ce qui se joue dans le monde et dans les domaines dont ils ont respectivement la charge. Même Angélique doit être d’accord avec cette vision. Du moins, c’est ce que pense Percy et c’est ce qui lui a fait se dire – visiblement à tort – qu’elle ne s’approcherait pas de lui. Dès qu’elle se trouve à proximité, ses poils se hérissent et tous ses sens restants se trouvent en alerte. On ne devient pas maître dans la Confrérie par hasard et même si elle est une des dernières arrivées et qu’elle doit encore fournir certaines preuves de ses talents, Percival ne doute pas qu’elle ne soit pas à cette place par hasard. Parce que le danger qu’elle représente, il le sent très clairement. Sa sensibilité exacerbée par ses pouvoirs lui permet – ironiquement – de percevoir ce qui est invisible pour ceux qui se contentent de regarder avec les yeux. Elle n’est pas à prendre à la légère et les personnes persuadées de ne voir en elle qu’une femme fragile sont bien loin de se douter qu’elle est capable de les briser à l’aide de quelques mots.

Même Percival Gaunt – un homme fier, respecté, craint et pleinement conscient de ses capacités – ne prendrait pas le risque de trop faire le malin devant elle, préférant généralement s’en tenir le plus loin possible. Il ne la déteste pas… mais il ne l’aime pas non plus. Il suppose que cette distance forcée entre eux amuse la récemment nommée Maîtresse du Scorpion mais il s’en moque ; acceptant quelques rires de sa part tant qu’elle respecte sa volonté de ne pas trop frayer à ses côtés. C’est pourquoi il se répète malgré son agacement perceptible, rappelant à sa comparse qu’il a demandé à ce qu’elle soit rapide et concise. Bras croisés, il se force à refréner son mécontentement quand le silence s’installe après son dernier rappel. Finalement, elle se racle la gorge – signe que le message est passé. « Développe. », ordonne-t-il sèchement après que le couperet soit tombé, fronçant les sourcils. Si Percival n’est guère surpris de l’annonce, c’est qu’il sait parfaitement qu’il est possible d’être hanté. Ce qui l’étonne en revanche, c’est que ses sens ne l’ont jamais informé de la présence constante d’un esprit à ses côtés et ça, c’est inhabituel pour  un homme qui s’est autant éveillé que le Gaunt. Il s’apprête à lui demander ce qu’elle a fait mais la sorcière devait s’attendre à une telle accusation puisqu’elle s’empresse de préciser que ce n’est pas de son fait. Malgré sa méfiance, il hoche la tête – signe qu’il veut bien la croire sur ce point. Après tout, elle n’aurait aucun intérêt à agir ainsi contre un autre maître – qui plus est un plus ancien qu’elle, qui saurait tirer les bonnes ficelles pour obtenir réparation d’un tel affront. À cet instant, il entend des bruits de pas – signe qu’elle avance dans sa direction. S’il fait savoir son désaccord d’un grognement, cela ne l’empêche pas d’écouter ce qu’elle a à dire. « Comment l’esprit d’une femme peut me suivre depuis quelques jours sans que je m’en aperçoive ? », il a l’habitude d’entendre des stupidités mais celle-ci, c’est la première fois. « Très bien, admettons que j’accepte de te croire – même si c’est difficile sans plus d’informations… elle ne t’a vraiment rien dit ? Ne serait-ce que son identité. Ou laisser un indice quelconque. Si tu veux que je marche, il va me falloir un peu plus d’éléments. Plus convaincants que d’annoncer qu’un esprit me colle encore plus depuis le début de la réunion. », ils parlent d’esprit alors oui, il a conscience que ce n’est pas facile à prouver. Mais si ce qu’elle dit est la vérité, elle devrait être capable de le prouver, non ?