Malefoy || sous la lueur de la lune

Manoir des Malefoy, 12 Septembre 1980.

A chaque jour suffit sa peine. Voila qu'il me vient des phrases toutes faites, convenues, cruelles, moqueuses. Absolument minables. Enfermé depuis trop longtemps, j'en viens à essayer de me souvenir de la sensation du soleil sur ma peau - mais en Angleterre c'est pas le soleil qui crame l'épiderme.
Que reste-t-il dehors ? Des idéologies tombées en même temps que notre Maitre. Voila que la guerre a pris fin - disent-ils - et qu'ils chassent et traquent les responsables. De quoi ? D'avoir espéré, d'avoir voulu, d'avoir désir - d'avoir sorti les armes pour que la médiocrité cesse de se répandre. Le crime des hommes, c'est d'avoir désir un meilleur monde pour l'avenir.

Elle était plus radieuse que les autres. Il l'observait toujours, se gorgeant du moindre détail de sa personne. Intrigué, fasciné, totalement épris de Narcissa Black depuis le premier jour où leurs chemins se sont croisés. L'amitié qu'il avait espéré avoir avec elle c'était mû en une conviction plus profonde, en un désir plus impérieux. Il l'observait constamment, la cherchait du regard, voulait plus sans oser le dire - et près de lui Rodolphus Lestrange ne faisait pas cas de tant de retenus, levant les yeux au ciel en soufflant fortement. Il te suffirait de lui parler. Sans doute, pensait-il, mais que pouvait-il dire qui lui fasse voir tout ce qu'il rêvait de lui faire vivre, tout ce qu'il rêvait de vivre avec elle ?
Âge de seize ans, il espérait, voyant une de ses plus proches amies comme l'amour de sa vie, et il était incapable de faire le premier pas pour le lui faire entendre. Il ignorait alors que Rodolphus espérait les mêmes choses, qu'il regardait aussi Narcissa constamment, que son palpitant chantait ses louanges et espérait plus. Plus - voila que la belle devenait une succube pour leurs coeurs adolescents. Mais Lucius était patient - patient et profondément romantique, bien qu'aucune fille n'aurait été capable de le dire. Après tout, Narcissa avait toujours été la seule à trouver grâce à ses yeux. Ce n'est pas juste lui parler. Il s'agit de la charmer. Répondit-il, reportant son attention sur le tableau où s'allongeait les chiffres et les nombres qui faisaient leur cours d'Arithmancie.  

Rodolphus parlera le premier, quelques mois plus tard. Assis près des grandes vitres qui leur donnait à voir les poissons et les créatures étranges qui nageaient dans le lac noir. Une bouteille de Whisky purfeu à la main, dans l'autre les cartes qu'ils posaient l'un après l'autre pour remporter une victoire de plus. Difficile de ne pas l'aimer, Cissy. Murmurait-il depuis un moment, après l'aveux de son affection. Mais Lucius ne le retint pas, assez égoïste pour se convaincre d'être l'homme qu'il fallait à Narcissa Black. Peut être qu'il suffisait de lui dire - finalement. Le lendemain, il s'en approcha à la Grande table de déjeuner - Narcissa toujours première levée, lui aussi pour une fois. J'ai une chose à t'avouer, Cissy, et je ne voudrais pas te faire fuir. Admit-il, sa main se joignant à celle de la jeune femme, sourire timide sur la gueule et les étoiles dans les yeux. Le charme n'opéra pas de suite, mais elle admit qu'elle ne pouvait l'empêcher de la courtiser. Ce qu'il fit, assidument - assez pour qu'au creux de l'été, elle lui offre un premier baiser.

Square Grimmaurd, 15 juillet 1979.

Ils fêtent la victoire d'Aloysia au dehors. Ils crient, ils chantent, il se réjouissent. Ils ont enterré la beauté de la magie. Ils ont enterré leur monde et s'en moquent. Ils crient, ils jouent, ils chantent. Les idiots.
Le maitre s'est vu trahit. Ils s'enfuient, les lâches, préférant tourner le dos à celui qui voulait tout faire pour eux. Celui qui voulait défendre la magie, et notre monde, notre suprématie, notre autorité. Que restera-t-il lorsque les moldus viendront tout détruire et rallumer leurs buchers ? Que restera-t-il de la magie quand elle sera diluée dans le sang impur ? Que restera-t-il de notre monde quand ils viendront le dévorer ? A présent il ne reste qu'une certitude : il nous faut les dévorer en premier.  

Le soleil était morne, brillant sans chaleur au-dessus des têtes des sorciers qui s'étaient réunis autour des dolmens. Cela arrivait parfois, Lucius avait déjà connu un moment comme celui-ci. Une fois, mais il était alors bien trop jeune pour s'en souvenir et pour en garder des traces. Affecté, il avait pleuré sans savoir pourquoi, avant que sa mère ne le prenne contre elle pour cacher son visage larmoyant. Pour une fois, son père n'avait tenu mot devant la détresse dont il avait fait preuve. Il lui était apparu qu'il avait droit d'être vulnérable, mais uniquement auprès de ceux qui savaient le protéger.
La main de Narcissa vint trouver la sienne. Les paroles latines s'élevèrent dans les airs, entourant les corps des sorciers qui avaient vécu. Ceux qui disparaitraient auprès des dieux, retournant à la poussière et au vent. Les buchers s'élevèrent, rapidement il ne resta dans l'air que les souvenirs que Lucius garderait longtemps. Son père se trouvait là, abandonnant la vie et son enveloppe charnelle pour rejoindre l'au-delà. L'ailleurs, cet espace qui n'appartenait plus aux vivants. L'énergie qui l'entourait était si pure et violente qu'il sentit son corps se tendre. Il ferma les yeux, les larmes montant jusqu'à ses orbes scellées. Il ne pouvait pas les laisser couler, plus maintenant. A présent il n'avait plus guère le choix que d'être courageux.

Il serra la main de Narcissa, sentant son alliance froide contre son épiderme et il se sentit sourire malgré tout. Il était heureux, réellement, de pouvoir exister dans un temps où elle a pu devenir sa femme. Que d'avoir scellé sa vie à la sienne, par le sortilège que son père avait porté à leurs lèvres. Abraxas Malefoy n'était plus, mais il laissait derrière lui l'avenir de la magie. Il avait donné à son fils toutes les armes pour qu'il continue le combat qu'il avait toujours mené. Pour la pureté. Pour le sang. Pour la magie.
Lucius n'avait pas d'autres choix que de continuer à se battre, que d'être fort, que de mener son existence sans se soucier des règles et des afflictions du présent. La guerre sonnait les tambours et il était prêt à présent. Il était l'héritier des Malefoy. Il était le chef de famille.

Bureau des avocats du Magenmagots, 28 janvier 1978.

Porter un masque - voila la promesse de l'existence. Porter sur soi les bonnes manières, l'intelligence, les conversations, les opinions. Les porter comme étendards, comme mensonge, comme illusion - face au reste de la société, voila ce qu'il fallait pour être accepter, se fondre dans la masse, disparaitre dans le flot. Porter un masque.
Un masque argenté, marqué des symboles des sortilèges sombres qui protègent notre secret. Porter un masque aux yeux du monde, pour faire naitre la peur et leur rappeler de quel côté se trouve le pouvoir. Voila ce que nous pouvons promettre au monde aujourd'hui. Quitte à porter un masque, autant qu'il nous mène vers le sommet du pouvoir.  

Dans la nuit, il pouvait les entendre. Il ne tremblait pas - il ne tremblait jamais, parce qu'il ne pouvait pas se le permettre. Dehors, quelque part, hurlait pour la dernière fois le Maitre des Ténèbres . Il le savait, il le ressentait dans la marque noire qui brûlait sur son avant bras gauche. Il serrait le poing, serrait les dents, essayait de ne pas y penser - de ne pas penser à cette guerre qu'ils s'apprêtaient à perdre. Il jouait déjà son prochain tour, abattait ses cartes, déplaçait sa reine. C'était ce qui comptait après tout - que sa reine ne souffre pas de la défaite qui sera bientôt la leur. Cela faisait longtemps qu'un Malefoy n'était pas venu jusqu'ici. Dois-je en déduire qu'Abraxas est mort ? Il ne se tourna pas, se permettant de ne pas offrir satisfaction à l'Alpha qui s'avançait jusqu'à ses côtés pour observer la forêt sombre comme lui.
Quelque part couraient les loups-garous, mais Greyback ne se transformait pas. Greyback était devenu le loup - il ne souffrait plus d'être prisonnier de la lune. Je suis Lucius, son fils ainé. Un rire lui parvint à l'oreille et il sentit la main griffue de l'autre être s'appuyer sur son épaule. Ainé, je m'en doute bien. Les autres sont à ma merci comme il est de coutume depuis des années. Les autres fils, les fils d'après - Lucius n'avait pas souffert d'avoir un frère et sa soeur était morte alors qu'il était encore jeune. Mais son cousin était parmi les loups. Son oncle, aussi. Un de ses oncles. Certains survivaient, liant des étroites amitiés avec les loups - une famille dysfonctionnelle qui avait su tirer partie d'une malédiction pour en faire un pacte. Il faut protéger ma famille et mon nom; un temps je vais disparaitre et quand je reviendrais il y aura assez de chaire fraiche pour assouvir la faim des tiens. s'entendit-il promettre à l'Alpha, se tournant finalement pour le regarder dans les yeux. En égal.
Car il avait décidé de rabattre ses cartes, et il savait qu'à présent il ne pourrait plus compter que sur lui-même pour réécrire l'avenir de sa maison.

Manoir des Malefoy, 5 juin 1980.

Père. Père. Père.  
Il dort dans mes bras, m'obligeant à regarder les pages noircies de pensées à la lueur faible d'une bougie. Pour ne pas le réveiller. Pour ne pas risquer de l'effrayer. Pour qu'il puisse rester là, paisible, dans mes bras. A côté, Narcissa dort, enfin, se repose après les heures de labeur dû à la libération. Il est là, enfin, l'être le plus vulnérable qui vivra jamais entre ces murs. Mon fils , Drago, fierté du nom des Malefoy, l'héritier de sang pur.
Qu'y a-t-il qui doit exister de plus important que lui encore ? Dehors tout s'effondre, le maitre n'est plus, Bellatrix disparut, la guerre achevée. La pureté mise à mal, foulée aux pieds pas des pensés modernistes qui prétendent pouvoir faire mieux. Mieux pour l'avenir - réécrivant les lignes du passé qui reviendra avec ses bûchers.
Je ne peux pas me faire enfermer. Je n'en n'ai pas le droit. Pas alors qu'il dort dans mes bras, la meilleure raison qui soit de réécrire l'histoire des Malefoy.

Cela dura des mois. Des mois enfermé dans le bureau qu'il affectionnait, transformé en chambre d'alchimiste pour y accueillir les essais et les recherches de son cher ami : Severus Rogue. Il l'accueillait chaque jour à la même heure, lorsque le soleil déclinait à l'horizon. Lui passait des heures à préparer sa venue, à préparer ses plans, à envoyer lettres et courriers, à renouer des liens dans des réseaux cachés qui se défaisaient aisément des règles.
Voila un des avantages a avoir été mangemorts - a avoir couru après les armes, les cibles, les hommes de main. A avoir parcouru des méandres réelles de réalité hors-des-lois. Il avait rencontré des malfrats, des dealers, des créatures fantastiques, des mercenaires. Il s'en était fait des alliés à défaut d'en vouloir en ami - sachant l'importance de s'entourer d'êtres qui n'avaient rien à perdre. Voila qu'il percevait dans ces réseaux une possibilité de s'en sortir, de toucher le monde dans ses travers, de s'en faire un terrain de jeu génial et fructueux. D'être mauvais pour être au sommet - au sommet du dernier cercle infernal s'il devait en être ainsi. Ca y est, j'ai trouvé. murmura Severus un soir, le sortant de sa torpeur pour se tourner vers le potionniste. Talentueux phénomène que celui qui était le parrain de son fils - un meilleur ami qu'il savait trahir d'un choix s'il le fallait, mais pour l'heure la trahison n'était pas de mise. Ils étaient compères, cherchant ensemble une arme qui ferait défaillir le monde et protègerait Lucius et ses intérêts pour longtemps. Elle se tenait là, l'arme, dans une fiole. Une couleur violine, lumineuse et inquiétante, qui miroitait les espérances des deux sorciers. Une drogue parfaite. Elle est parfaite. répondit Severus a une question que Lucius n'avait pas posé à haute voix. Il ferma plutôt son esprit, un regard désapprobateur tourné vers l'autre sorcier. Severus, mon ami. Je crois que le temps est venu de sortir de l'ombre pour voir le chaos que pourra faire vivre cette merveille. Dit-il, heureux, souriant parfaitement. Et tenant dans sa main, ce qui fera sa renommée, et l'imposera comme roi dans le monde des damnés.