Ambre || Hurler à la lune

❝ Ma chère Tolly,

Te souviens-tu de l'enfant que j'étais ? D'aussi loin que je m'en souvienne, la maison a toujours été trop grande pour moi, et pourtant si petite. Les vêtements sales et déchirés, je venais te déranger pendant ton travail parce que je m'ennuyais. Je voulais que tu joues avec moi et toi, tu refusais, prétextant que tu n'étais pas là pour t'amuser mais pour nous servir, ma famille et moi-même. Père n'était jamais là, Mère passait ses journées enfermée dans son bureau et mon frère n'avait pas le temps de s'occuper de moi. Alors j'insistais, je te suppliais de m'accorder de ton temps si précieux. Je voulais que tu m'accompagnes dehors lorsqu'il faisait beau, que tu me racontes des histoires. Tu étais si douée pour ça et moi, si rêveuse...

J'étais tellement naïve, loin de me soucier de ce que l'avenir allait me réserver. Je voulais seulement m'amuser. Lorsque mes parents m'emmenaient en soirée, je passais le plus clair de mon temps avec Edgard, loin des discussions réservées aux grandes personnes, comme le disait si bien ma mère. Elle était toujours si raffinée, discutait avec tout le monde, me répétait régulièrement qu'une fois que je serai grande, je devrai faire de même. Et moi, je grimaçais, lui demandais quand est-ce qu'on allait rentrer. Je voulais rester avec toi. Ça l'exaspérait.

Te souviens-tu du jour où mon frère a pris le train pour Poudlard pour la première fois ?  Je l'avais accompagné jusqu'à la gare avec Mère. Je me souviens avoir beaucoup pleuré ce jour-là, jusqu'à ce que mon frère me promette de m'écrire chaque semaine et de revenir pendant vacances. Chaque jour, j'attendais son hiboux avec impatience. Il me parlait de Poudlard, des autres élèves, de ses cours, de ses activités. J'étais tellement impatiente à l'idée de le rejoindre et de découvrir cet immense château dont on me disait tant de bien. Même s'il était fréquenté par des impurs.

C'est à ce moment-là que j'ai vraiment commencé à m'intéresser à la magie, à ce que je pouvais faire. J'ai commencé à lire chaque livre de la bibliothèque familiale avec intérêt, du plus innocent au plus compliqué dont je peinais à comprendre le sens, à cette époque. Tu venais m'apporter du chocolat chaud, et Mère avait l'air contente. Elle me disait que je devais continuer comme ça, qu'il n'y a qu'ainsi que je deviendrai une grande sorcière. Et je vous l'avais promis. Tu te souviens du jour où j'ai failli mettre le feu au salon ? Heureusement que tu étais là.

Te souviens-tu de mes premières années à Poudlard ? J'étais tellement excitée. Je pensais que tout irait bien, que je serais dans la même maison que mon frère et Edgard. Père et Mère étaient profondément déçus lorsque je leur ai annoncé que le Choixpeau m'avait envoyé à Serdaigle plutôt qu'à Serpentard. J'avais honte, je ne comprenais pas pourquoi il m'avait envoyé là-bas. Aujourdhui, je pense que je comprends... Enfin. Heureusement, mon frère n'était pas colère, lui. Il m'avait même présenté à ses amis. Ils étaient vraiment sympas avec moi et m'apprenaient  plein de choses. J'adorais ça ! Mes professeurs disaient régulièrement que j'étais une élève très prometteuse, tant j'étais appliquée et d'une curiosité insatiable. Père et Mère semblaient fiers : ça me rassurait car je me disais qu'ils ne devaient plus m'en vouloir pour la répartition. J'aimais tout particulièrement l'Histoire de la magie, les cours de sortilèges et le vol sur balai. J'aimais la sensation de liberté que ça me procurait, l'adrénaline. Les autres s'en amusaient souvent, me demandaient comment je pouvais autant aimer le terrain tout en étant capable de passer des heures dans la bibliothèque de l'école. Surtout le meilleur ami de mon frère qui ne manquait jamais une occasion de me taquiner, de me provoquer. Je pense qu'il m'aimait bien, sans doute trop au goût de mon frère. Et moi, je n'avais de cesse de répondre à ses provocations, de le challenger. J'aurai préféré que Père et Mère me choisissent un fiancé comme lui, plutôt que quelqu'un comme Edgard. On ne se parlait plus comme avant, lui et moi. C'était sans doute de ma faute... Je trouvais qu'il était devenu trop influençable et bête. Malheureusement, dans notre monde, c'est à la femme d'être belle, pas à l'homme. Tolly... Plus je repense à tout ça, plus je me sens mal et en colère. Je n'aimais pas ça, mais je n'osais pas en parler à mes parents de peur de les décevoir... Une nouvelle fois. Est-ce normal, Tolly ? Pourquoi sommes-nous toujours si dépendants des autres ? Papa me répétait souvent que je manquais d'ambitions, que c'était la raison pour laquelle je n'avais pas été envoyée à Serpentard. C'est vraiment ça, l'ambition ? Se donner au plus offrant au détriment de tout le rester ? Être belle et se taire ? Je ne suis pas un objet. J'ai des sentiments. J'en ai toujours eu. Je voulais vivre ma vie. Je voulais aimer. Je voulais tout connaitre de ce monde, de la magie. Est-ce mal, Tolly ?

J'en voulais presque à Edgard, à l'époque. Aujourd'hui, je regrette. Il ne méritait pas ma colère, ou mon indifférence, selon mon humeur. Ce n'était vraiment pas quelqu'un capable de me stimuler intellectuellement mais... C'était quelqu'un de bien. Je ne devrais plus parler de lui comme j'ai pu le faire, pas depuis sa mort, lors de la Nuit Pourpre. Je m'en souviens comme si c'était hier. Les cris. Les pleurs. L'envie de survivre et de me battre. Je ne sais pas ce qui m'a pris ce jour-là. Mon corps bougeait de lui-même. Je voulais juste... aider mes camarades, les protéger, agir. Ces gens... Ils utilisaient la magie noire. Ces sorts n'étaient plus seulement des mots couchés sur papier. C'était bien réel et j'ai dû agir en conséquences. Père et Mère étaient fiers, mon frère inquiet. C'était certainement le seul à s'être réellement soucié de mon état de santé.

Quelle importance aujourd'hui ?

J'ignore pour quelle raison je te parle encore de tout ça, pourquoi j'y repense. Je suppose que j'avais besoin d'en parler, et tu es la seule à qui je peux encore avoir confiance. N'est-ce pas ? Ça me pèse, Tolly. Je ne sais plus trop où j'en suis. Mon frère me fuit, quant à Père et Mère, ils ne font que répéter de belles paroles vides de sens. C'est ce qu'ils savent faire de mieux. Je sais qu'ils m'ont abandonnée, mais ils sont juste trop lâchés pour me le dire clairement, droit dans les yeux. Peut-être même qu'ils auraient préféré que je sois morte, ça leur aurait évité bien des tracas. Ça me fait doucement rire... Pour sauver leur honneur, ils ont bafoué le mien. Maintenant, aux yeux de tous, je ne suis plus que cette jeune sang-pur mal dans sa peau, qui a voulu mettre fin à ses jours. Tout ça parce qu'ils n'assument pas ce qu'il m'est arrivé. Quand je les croise, je ne vois dans leurs yeux que de la honte et du dégoût. Et moi, je ne peux que supporter ça, supporter les regards que l'ont posent sur mes blessures tout en s'excusant. Quelle ironie.

En réalité, je ne me suis jamais sentie aussi vivante. Et pourtant, j'ai peur. Je ne sais pas comment l'expliquer. Je pense que perdre ainsi tout ce que j'ai toujours connu m'effraie, autant que ça me blesse et... me met en colère. Parce que j'ai essayé. Mais il faut se rendre à l'évidence : ce n'était pas moi. Je sais qui je suis, Tolly. Je l'ai toujours su et ce n'est pas parce que je suis devenue un monstre que je me sens perdue. Je suis perdue parce qu'il n'y a plus de rails pour me guider. Tolly... Je me sens plus forte qu'avant et pourtant si faible en même temps. Penses-tu que je devrais le faire ? Rejoindre ce fameux Alpha dont on m'avait parlé au Drunk Broom, l'autre jour ? Je sais qu'il n'est pas bon pour quelqu'un comme moi de rester seule, et je refuse de rejoindre de fou furieux de Greyback. Quel choix me reste-t-il, Tolly ? Je veux vivre. Je veux aussi avoir ma place. Je veux continuer d'apprendre. J'en ai le droit, non ?! Je suis humaine avant tout. J'ai des sentiments. Je ne suis pas qu'une bête dangereuse et assoiffée de sang !

Tolly... Je sais qu'on a toujours été trop proches toi et moi, et que ça n'a pas toujours plu à mes parents. Mais je tiens à te dire que tu me manques. Tu es de loin ma meilleure amie. Je t'aime.
Je te promets de venir te voir dès que j'en aurai l'occasion.

Je t'embrasse.
Ta jeune maitresse, Ambre.❞